Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines : "Mon père a pratiqué mon excision sur la table de la cuisine"

Lonely woman sitting in room

Ce dimanche 6 février 2022 est marqué par la journée internationale de la tolérance zéro à l'égard des mutilations génitales féminines. Bien que reconnues comme une violation des droits humains à l’échelle internationale, ces actes intolérables sont toujours pratiqués un peu partout dans le monde.

4 millions. Tel est le nombre de filles qui sont chaque année exposées au risque de subir des mutilations génitales féminines. À l'heure actuelle, selon les chiffres de l'Unicef, 200 millions de filles et de femmes en vie aujourd’hui ont été victimes de ces terribles pratiques, profondément ancrées dans une culture patriarcale d'inégalité des sexes. En effet, selon les associations qui luttent chaque année contre l'excision, les mutilations génitales sont souvent vues comme un moyen d’asservir la sexualité des filles ou une garantie de chasteté. Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, elles ne sont en aucun cas approuvées par les grandes religions du livre.

Si elles subsistent, c'est bien souvent pour des raisons culturelles, et par crainte : bon nombre de parents des pays où ces mutilations sont toujours très pratiquées agissent par peur que leurs filles soient mises à l'écart, et jugées inaptes au mariage si elles ne passent pas par cette atrocité. Il n'y a en effet pas d'autre mot pour décrire cet acte abject qui peut prendre quatre formes : une ablation totale ou partielle du clitoris (clitoridectomie), une ablation totale ou partielle du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans ablation des grandes lèvres (excision), un rétrécissement de l’orifice vaginal par ablation et accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans ablation du clitoris (infibulation), ou toute autre intervention nocive ou potentiellement nocive pratiquée sur les organes sexuels féminins à des fins non thérapeutiques.

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"J'avais 6 ans. J'ai rien compris, à part la douleur"

Selon Santé Publique France, 120 000 victimes de mutilations génitales vivent dans notre pays. Et toutes essayent de se reconstruire et d'avoir une vie épanouie en dépit des actes qu'elles ont subis pendant leur enfance. Inaya* a aujourd'hui 37 ans. Elle est vierge et célibataire. Et elle compte le rester pour toujours. "Bien sûr, j'ai déjà été amoureuse. Mais il est hors de question que je laisse quelqu'un s'approcher de mon intimité après ce que j'ai subi. Je ne veux pas de regard, pas de questions, pas de pitié."

Durant son enfance, au Sénégal, son père lui a imposé une excision, pratiquée à même la table de la cuisine de leur maison familiale, sans anesthésie ni désinfection. "Je me souviens que ma mère pleurait, qu'elle disait qu'il ne fallait pas faire ça. De mon père, qui m'attachait à la table. De la nappe cirée à fleurs. Sur le coup, j'ai cru à un jeu. J'avais 6 ans. Je n'ai pas compris." Inaya se souvient du visage fermé de son père. "Il n'a pas prononcé un mot. Il a retiré ma culotte, écarté mes cuisses. Et la douleur est arrivée."

"Mon père m'a dit qu'il avait fait ça pour moi"

Pendant plusieurs jours, Inaya n'a pas pu quitter son lit. "La douleur me coupait les jambes. Faire pipi était une torture. Ma mère me lavait et changeait mon pansement, sans rien dire. Nous ne parlions plus. La peur était partout." Finalement, un jour, la mère de la trentenaire a fait leurs valises. "Nous sommes parties pendant que mon père était au travail. J'ai pris l'avion pour la première fois, et nous nous sommes installées en France, grâce à des amis de ma mère. J'ai appris plus tard qu'elle avait prévu de nous faire prendre la fuite avant que mon père ne pratique cette excision, mais qu'elle n'a pas eu le temps de tout organiser à temps. Que son passeport est arrivé trop tard. Elle l'a reçu une semaine trop tard."

Bien des années plus tard, Inaya a fini par reprendre contact avec son père. Elle lui a demandé des explications, et reçu exactement la réponse à laquelle elle s'attendait : "Il m'a dit qu'il avait fait ça pour mon bien, pour que je trouve un époux, que je sois respectée. Il n'avait aucun regret, à part celui de ne pas avoir pu empêcher ma mère de m'emmener. Après ces mots, j'ai raccroché. Je ne veux plus jamais avoir affaire à cet homme." L'excision d'Inaya a eu lieu il y a plus de 30 ans, mais le traumatisme, lui, n'est jamais parti. "Je ne vais pas chez le médecin. Je n'ai jamais vu de gynéco. Je ne laisse personne me voir nue, et je fuis les hommes, car je n'ai plus confiance. Tant pis pour le sexe, tant pis pour l'amour. Tout ça a disparu quand j'avais 6 ans." Aujourd'hui, la trentenaire se concentre uniquement sur son travail et sa collaboration avec différentes associations. "Tout l'argent que j'arrive à mettre de côté sert à financer des billets d'avion pour aider les filles de mon pays à fuir l'excision. Qu'elles puissent avoir la chance que je n'ai pas eue."

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"Ma grand-mère m'a embarquée sans rien dire à mes parents"

L'histoire de Fatou* est différente, mais aussi plus récente que celle d'Inaya. La jeune femme n'a que 20 ans. Sa famille est originaire de Mauritanie, mais elle est née et a grandi dans le sud de la France, près de Marseille. "L'été de mes cinq ans, nous sommes partis en Mauritanie pendant les vacances, pour rendre visite à mes grands-parents maternels qui vivent toujours là-bas. La veille de notre départ, ma grand-mère a profité du fait que mes parents soient en train de faire la sieste pour me prendre par la main et me dire de venir faire une promenade avec elle. Je l'ai suivie sans vraiment m'inquiéter."

Sa grand-mère l'a entraînée chez une amie à elle. "À peine avais-je passé la porte, j'ai senti des bras qui m'attrapaient. Je me suis débattue, j'ai appelé ma grand-mère à l'aide. On m'a arraché mes vêtements. J'ai vu une lame étinceler, et je me suis évanouie." Quand elle reprend conscience quelques heures plus tard, c'est dans une chambre d'hôpital, son père en larmes à ses côtés. Et au son des hurlements de sa mère. "Elle criait : "Je leur avais dit non, je leur avais interdit, ils m'avaient promis !" Ils n'étaient au courant de rien, ma grand-mère a agi dans leur dos, et ils ont compris en la voyant revenir, portant leur petite fille inconsciente, couverte de sang. Ils ne lui ont jamais pardonné, mais en Mauritanie, la police locale n'a jamais accepté de prendre leur plainte."

Une chirurgie réparatrice, mais jamais de sensations

Sous le choc, les parents de Fatou ont attendu qu'elle aille mieux pour la ramener en France. Dès lors, les rendez-vous médicaux se sont enchaînés pour la fillette. "Je fais partie des chanceuses, mes parents ont pris les choses très au sérieux. Ils ont consulté les plus grands spécialistes pour trouver une solution. A l'adolescence, j'ai pu bénéficier d'une chirurgie réparatrice qui a redonné à ma vulve une apparence plus saine, moins meurtrie. Mais cela n'a pas suffi."

Développée à la fin des années 1980 par le médecin humanitaire et urologue Pierre Foldes, l'opération permet de retirer les tissus cicatriciels et de faire avancer le clitoris, pour que sa partie interne, non touchée par l'excision, soit plus exposée. Dans 80% des cas, cette opération permet de retrouver des sensations lors d'un rapport sexuel. "Malheureusement, cela n'a pas été mon cas", regrette Fatou. "Je ne ressens toujours rien. Mais grâce à la chirurgie, je n'ai plus l'impression d'être cassée, et ma partenaire est très compréhensive. On a trouvé d'autres façons de prendre du plaisir à deux." Et comme Inaya, cette tragique expérience a convaincu Fatou de la nécessité d'agir. "Avec ma compagne, on envisage d'aller s'installer en Mauritanie pour pouvoir mener une action concrète, via de l'information, de la prévention et de la protection." La Mauritanie fait en effet partie des pays où l'excision est encore largement pratiquée. D'après une enquête de l'Unicef menée en 2015, 67% des femmes de 15 à 49 ans vivant dans ce pays ont été victimes de mutilations génitales.

* Pour des raisons d'anonymat, les prénoms ont été modifiés.

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