Le massacre de Charonne en 1962, ils s'en souviennent

Un manifestant frappé à la tête, au métro Charonne le 8 février 1962
Un manifestant frappé à la tête, au métro Charonne le 8 février 1962
Le massacre de Charonne en 1962, ils s'en souviennent
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Le massacre de Charonne en 1962, ils s'en souviennent

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Bilan du “massacre de Charonne” ce 8 février 1962 à Paris en pleine guerre d'Algérie : 9 morts et plus de 250 blessés. Des années plus tard, des rescapés se souviennent de cette répression sanglante menée par une police sous autorité du préfet Maurice Papon.

Bilan du “massacre de Charonne” ce 8 février 1962 à Paris : 9 morts et plus de 250 blessés. En pleine guerre d’Algérie, après 8 ans de violences, des milliers de manifestants, la plupart militants de gauche, avaient bravé l’état d’urgence pour réclamer la paix. Ils manifestent suite à une série d'attentats de l’Organisation armée secrète (OAS), opposée à l’indépendance de l’Algérie. La veille, une de ces explosions avait défiguré une fillette de 4 ans. A 19h30, alors que l’ordre de dispersion a été donné près du métro Charonne, la police, noyautée par l’extrême droite et sous l’autorité du préfet Maurice Papon, s’en prend aux manifestants. Des années plus tard, des manifestants présents se souviennent de ce traumatisme, qui ne sera jamais jugé. 

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

Une attaque sans sommation

René Tardiveau, un policier syndiqué sur place, qui n'a pas participé à l'attaque, se souvient pour un reportage de FR3 en 1982 : "On est en renfort, on est stationné et on nous a muni du bidule, cette grande matraque qui ressemble à un manche de pioche."

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Claude Bouret, président de la CFTC en 1962. 20 ans après, il se souvient : "Plusieurs rangs de policiers qui étaient dans le noir et qu'on distinguait assez mal se sont rués sur le premier rang et ont provoqué le mouvement de reflux des premiers rangs, la panique.

Roger Gillot, président de la CFTC en 1962, se souvient, 20 ans plus tard : "Sans aucun avertissement, sans aucune sommation, ça je l’affirme, les premiers coups ont plu sur les manifestants."

Axel Kahn, généticien, se souvenait en 2010 au micro de Laure Adler sur France Culture : "En tant que jeune dirigeant des Jeunesses communistes à l'époque, j'ai contribué à organiser la manifestation. Nul manifestant n'était armé. Il y avait un très profond sentiment d'indignation."

Jean Faucher, militant communiste, se souvenait pour FR3 en 1982 : "J'entends encore, sous la pression, des vitres qui éclatent, des cris, des hurlements de douleur. On tournait la tête et on voyait des visages en sang. Et puis les forces de police, avec leur grandes matraques, qui cognaient, cognaient avec un acharnement bestial."

Un rescapé : "_Ils frappaient et tout en frappant ils disaient : '_Sales communistes, on va vous faire crever'". 

Julien Guérin, militant CGT : "C'était plus ceux qui étaient à terre que ceux qui étaient encore debout qui étaient attaqués par la police. Et j'ai eu la jambe cassée à ce moment-là. Et heureusement, un camarade, que je ne connaissais pas d'ailleurs, m'a aidé à me relever et m'a aidé à pénétrer dans le café."

Marina Vlady, comédienne, en 1996 sur France Inter : "Une avalanche de gens qui sont tombés debout dans cette bouche de métro. Et en plus, la police a commencé à nous jeter des grilles d'arbres dessus, ce qui fait qu'il y a eu huit morts. J'ai réussi à m'en sortir je pense, en piétinant ce qui était en dessous de moi et je suis sortie de cette mêlée à moitié déshabillée. J'ai couru, j'ai sauté la grille du métro, ce qui est incroyable."

Régine Hayem, militante CGT, pour FR3 en 1982 : "Cette vision absolument dantesque du boulevard, dans une brume étonnante, avec ces gardes mobiles, la matraque à la main, essayant de casser les chaussures des femmes, les chaussures à talons. Ils tapaient dessus pour les casser. C'était une vision folle. Ils étaient dans un état d'excitation que je ne concevais pas possible."

Jean Faucher, militant communiste : "Avec quelle férocité, on voyait des gens qu'on appelle des hommes s'acharner sur cette population qui venait manifester sa volonté de paix en Algérie contre l'OAS."

Des manifestants à terre le 8 février 1962 près du métro Charonne
Des manifestants à terre le 8 février 1962 près du métro Charonne
© AFP

Le traumatisme 

Un rescapé, 20 ans plus tard : "J’avais le crâne ouvert et ils m’ont suturé avec trois points de suture. Ensuite, j'avais mal partout, j'avais mal aux épaules, j'avais mal aux bras suite aux coups et deux jours après, j'avais les épaules et les bras tout noirs suite aux hématomes."

Liliane Mattinguais, militante CGT : "Et ce qui a été pénible, surtout, ça a été le lendemain, quand on s'est retrouvé dans un atelier où il manquait deux personnes. Dans la nuit, j'ai effectivement su que Suzanne Martorell avait été tuée. Et le petit Daniel Féry, je ne l'ai su que le lendemain matin. Alors évidemment, en arrivant au travail le lendemain, devoir prendre la place des camarades qui avaient été tués la veille c'est quelque chose qu'on ne peut pas s'imaginer, finalement."

Liliane, rescapée du massacre de Charonne, témoignait de ses souvenirs dans l'émission de France Inter "Là-bas si j'y suis" en 1992 : "C'est vrai que tous ceux qui sont morts pratiquement étaient communistes. Et j'ai trouvé que ça prenait une autre ampleur. Alors, j'ai adhéré au Parti communiste."

Dans la même émission, en 1992, une rescapée de Charonne : "Je n'ai pas pu contourner la bouche de métro et je suis tombée dedans. Après, j'en ai eu des séquelles psychologiques et de santé. Je suis devenue très claustrophobe. Impossible de prendre le métro. Et en plus, impossible d'agir, c'est-à-dire que c'est un non-événement. Il n'y a pas eu de jugement, il n'y a pas eu de coupable."

La parole politique 

Le lendemain, le 9 février 1962, Maurice Legay, directeur général de la police municipale, a prononcé ces mots : "L'action de la police n'y est pour rien, sinon dans le fait qui est son devoir, d'avoir cherché à dégager la voie publique."

Roger Frey, ministre de l'Intérieur, le 9 février 1962 : "Des groupes organisés, de véritables émeutiers, armés de manches de pioche, de boulons, de morceaux de grilles, de pavés, d'outils divers ont attaqué le service d'ordre, en particulier boulevard Beaumarchais, rue de Charonne et rue de Turenne. Aucune manifestation qui trouble l'ordre public ne peut constituer un soutien. Bien au contraire. Elle représente alors un élément de la subversion même, en exacerbant les passions et en empêchant surtout les forces de l'ordre de remplir leur mission."

Michel Debré, premier ministre, le 12 février 1962 commente ainsi l'événement : "Il n'y a point d'État si la première mission dont il est chargé, c'est à dire l'ordre public, n'est pas respectée."

Michel Debré a même félicité le préfet de police, Maurice Papon, quelques jours plus tard pour sa fermeté. Les policiers auteurs des violences n'ont jamais été sanctionnés. Un début d'enquête a été amorcé : des auditions de la police judiciaire, des convocations chez un juge d'instruction. Mais devant les protestations des policiers impliqués, le juge a été déplacé et l'enquête s'est arrêtée.

Les obsèques

Les funérailles des victimes du 8 février ont lieu le 13 février 1962 en direction du Père-Lachaise à Paris. 

Un journaliste commente d'impressionnantes images ce 13 février : "À ses huit victimes, Paris a fait les funérailles les plus éloquentes. De la Bourse du travail, où les cercueils avaient été exposés et avaient reçu un premier hommage, jusqu'au cimetière du Père-Lachaise, une foule immense dont le nombre peut s'évaluer à plusieurs centaines de milliers de personnes, a suivi le cortège. Cortège silencieux, seulement ponctué des accents d'une marche funèbre et dont nul cri, nul incident n'a troublé le déroulement. Des monceaux de fleurs, gerbes coûteuses ou humbles bouquets, ont donné le ton de la piété populaire. Ce cortège funèbre, qu'on évalue à 150 000 à 1 million de présence, avait la valeur d'une affirmation solennelle : il ne faut plus que la paix intérieure soit troublée."

Urida Gherab, rescapée du massacre de Charonne, se souvenait dans l'émission "La Fabrique de l'Histoire" pour France Culture en 2001 : "Plus d'un million de personnes. Pas une seule force de l'ordre sur le chemin. Donc, il y avait cette rage, cette peine et cette envie de paix en Algérie. Je crois que c'est ça qui ressortait de tout ça."

En 1966, une loi a amnistié tous les faits en rapport avec la guerre d'Algérie. Les responsables de la répression du métro Charonne n'ont jamais été inquiétés. 

Archives : “Round-up” RTF 1962 ; JT de 20H, RTF 1962, “Charonne 62” FR3, 1982 ; journal A2 1982, “Là-bas si j’y suis”, France Inter 1992, “La Fabrique de l’histoire” France Culture, 2001 (doc INA : A. Delaveau)