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RD Congo : Le massacre oublié des autochtones de Bianga

Il n’y a pas eu de véritable enquête sur le meurtre de 66 autochtones Iyeke et l’incendie de leurs villages

(Kinshasa) - Les autorités de la République démocratique du Congo n’ont pas mené d’enquête approfondie sur le meurtre d’au moins 66 autochtones Iyeke dans le secteur de Bianga du territoire de Monkoto, en février 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. L’Assemblée nationale de la RD Congo a voté en 2021 une loi qui, pour la première fois, prévoit la protection et la promotion des droits des peuples autochtones, mais la proposition de loi reste bloquée au Sénat.

Une maison brûlée et détruite par des assaillants Nkundo lors de l'attaque de février 2021 contre le village autochtone de Sambwakoy, dans la province de la Tshuapa, en République démocratique du Congo. Octobre 2021. © 2021 Thomas Fessy/Human Rights Watch

Du 1er au 3 février 2021, des centaines d’assaillants de l’ethnie Nkundo ont tué plusieurs dizaines de villageois autochtones Iyeke, dont au moins 40 enfants, 22 hommes et 4 femmes, et en ont blessé beaucoup d’autres dans huit villages. Les assaillants ont également brûlé plus de 1 000 maisons, ainsi que des écoles, des églises et des centres de santé, selon des survivants, des témoins, des groupes de la société civile et des responsables provinciaux. Les autorités ont initialement ouvert une enquête, mais n’ont pas mené de recherches sur le terrain. Un an plus tard, personne n’a été inculpé pour ces tueries, qui n’ont pratiquement pas fait l’objet de couverture médiatique. Deux personnes ont été jugées et acquittées de moindres chef d’accusations, et l’affaire est désormais close.

« Le silence entourant les tueries effroyables des villageois Iyeke et le fait que personne n’en soit tenu responsable soulignent la discrimination de longue date dont sont victimes les populations autochtones en RD Congo », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal sur la RD Congo à Human Rights Watch. « Les autorités congolaises devraient reconnaitre l’échec de poursuivre quiconque pour meurtre, mener une enquête approfondie et poursuivre de manière équitable tous les responsables de ces massacres ».

Les conclusions de Human Rights Watch reposent sur une mission de recherche, effectuée en octobre 2021 dans le territoire de Monkoto, dans l’ouest du pays. Human Rights Watch a interrogé 44 personnes, notamment des survivants Iyeke et témoins des attaques, des villageois Nkundo, du personnel judiciaire, des activistes de la société civile, des membres du parlement, des responsables provinciaux et du personnel militaire.

Les Iyeke – un peuple autochtone faisant partie de la communauté Batwa – et les Nkundo vivent dans des villages séparés mais voisins, disséminés sur un tronçon d’une centaine de kilomètres qui forment le secteur reculé de Bianga, en bordure du parc national de la Salonga, la plus grande réserve de forêt tropicale d’Afrique, dans la province de la Tshuapa. L’accès à la terre et la servitude pour dettes sont au cœur des tensions de longue date entre les deux groupes.

© 2022 Human Rights Watch

 Le 31 janvier, une bagarre a éclaté dans le village autochtone de Manga entre un commerçant de café de la communauté Nkundo et un villageois Iyeke au sujet d’une dette, et le commerçant aurait juré de se venger. Le lendemain, des dizaines de villageois Nkundo ont pris d’assaut Manga, pillant et brûlant des dizaines de maisons et causant la mort de deux enfants en bas âge. Le lendemain, des dizaines de villageois Nkundo ont pris d’assaut Manga, pillant et brûlant des dizaines de maisons et causant la mort de deux enfants en bas âge.

Plusieurs témoins ont affirmé que de nombreux assaillants avaient recouvert leurs visages au charbon de bois et portaient des bandeaux rouges ainsi que des bracelets de ficelles noires autour des poignets comme fétiches protecteurs. Certains étaient armés de fusils de chasse localement appelés « Calibre 12 » ou « Baikal », tandis que d’autres étaient armés de machettes, de couteaux et de lances.

Un homme de 66 ans a décrit comment il a perdu sa petite-fille de 3 mois. « Ma fille avait deux bébés jumeaux », a-t-il dit. « C’est en courant qu’elle a soudainement réalisé [que l’une d’eux] était reste derrière quand nous avons fui, mais on ne pouvait pas retourner car ils tiraient ». Il a raconté que trois jours plus tard, lorsqu’ils sont brièvement sortis de la forêt pour vérifier la situation, ils ont retrouvé le corps carbonisé de la petite fille.

Les 2 et 3 février, des hommes Nkundo armés ont simultanément attaqué sept autres villages Iyeke, pillant et brûlant des maisons, des églises, des centres de santé et des écoles. Selon des témoins et des sources officielles, au moins une arme automatique a été utilisée lors de ces attaques. Certains blessés sont morts plus tard dans la forêt.

Une femme autochtone de 55 ans du village de Sambwakoy a déclaré qu’elle et son mari revenaient des champs lorsque ce dernier a été tué. « Il est tombé au sol juste devant notre maison », a-t-elle raconté. « Il a reçu des balles au visage et à la poitrine ».           

Un homme autochtone Iyeke montre la cicatrice d’une blessure par un coup de machette à Sambwakoy, dans la province de la Tshuapa, en République démocratique du Congo, en octobre 2021. © 2021 Thomas Fessy/Human Rights Watch

Lorsque les attaques ont commencé, de nombreux jeunes enfants, y compris des tout petits, se sont retrouvés seuls car leurs parents travaillaient dans les champs. Les assaillants ne les ont pas épargnés. Sur les 40 enfants tués, 33 avaient moins de 10 ans, selon les listes établies par les responsables du territoire de Monkoto.

Ces attaques ont poussé plus de 8 000 Iyeke à fuir dans la forêt, où la plupart sont restés pendant au moins six mois. Les autorités provinciales et les membres du parlement national ont distribué des aides en espèces à la suite des attaques, notamment pour dédommager les pertes en vies humaines. L’aide fournie n’a pas été adéquate pour réparer les pertes subies, a déclaré Human Rights Watch.

Les massacres se sont produits alors que les tensions entre communautés Nkundo et Iyeke s’étaient accrues, suite au meurtre non résolu d’un travailleur autochtone Iyeke le 29 décembre 2020, près du village de Bondjindo. Son corps a été retrouvé mutilé dans un champ agricole appartenant à un Nkundo. Des villageois Iyeke auraient soupçonné la famille du propriétaire du terrain, et pillé et brûlé leur maison en représailles.

Selon un rapport parlementaire de mars 2021 que Human Rights Watch a pu examiner, les autorités locales « ne se souciaient pas de la détérioration du climat sécuritaire du secteur de Bianga... faisant comme si de rien n’était ».

La réponse du gouvernement aux massacres de Bianga a été totalement inadéquate, a déclaré Human Rights Watch. Le 16 février, l’armée congolaise a déployé sept militaires pour sécuriser ce vaste secteur, sans moyens de transport et de communication.  

Le 23 avril, les autorités ont arrêté sept hommes en relation avec ces tueries, dont cinq ont finalement été relâchés. Trois fonctionnaires de justice ont indiqué que le commandant de la police du secteur de Bianga était soupçonné d’être impliqué dans les attaques, mais qu’il était jusque-là introuvable. Fin décembre, un tribunal de Boende a acquitté les deux prévenus Nkundo lors d’un procès précipité durant lequel aucune victime autochtone n’était présente.

Plusieurs sources ont allégué que des hommes politiques de la province avaient tenté de bloquer ou de mettre un terme à l’enquête criminelle, l’empêchant de progresser pour protéger les responsables.

Un Iyeke de 52 ans, père de six enfants et qui accueille quatre personnes déplacées par le massacre, a déclaré que « pour que la paix revienne, il faut prendre les armes et arrêter ceux nous ont attaqués. On a peur qu’ils vont nous exterminer – le pire sera la prochaine fois ».

Les autorités congolaises ont l’obligation de mener une enquête complète et équitable sur les tueries de Bianga et de traduire les responsables en justice, a déclaré Human Rights Watch. Pour s’assurer que les enquêteurs disposent de ressources adéquates, le gouvernement devrait demander un soutien technique, notamment une assistance logistique et médico-légale, au Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH). Le gouvernement devrait renforcer la sécurité dans la zone avec une police bien formée. Il devrait fournir, avec l’aide internationale, les soins de santé et le soutien psychologique nécessaires aux survivants. Le gouvernement devrait également travailler avec les agences humanitaires pour réparer et reconstruire les maisons, écoles et centres de santé.

Les parlementaires congolais devraient adopter des mesures pour reconnaître et protéger les droits des peuples autochtones conformément aux normes internationales, a déclaré Human Rights Watch.

« Un an après ces massacres, les familles Iyeke vivent dans la peur de leurs agresseurs qui sont toujours en liberté », a conclu Thomas Fessy. « Le gouvernement doit poursuivre les responsables de ces crimes odieux, mais aussi adopter une législation pour que les populations autochtones ne soient plus traitées comme des citoyens de seconde zone ».

Informations complémentaires

Discrimination contre les peuples autochtones en RD Congo

La RD Congo compte entre 700 000 et deux millions d’autochtones, selon les chiffres du gouvernement et les groupes de la société civile. Leurs communautés mènent une vie semi-nomade fondée sur un lien profond avec la forêt du bassin du Congo. Ce sont des chasseurs-cueilleurs qui dépendent de l’écosystème forestier depuis des millénaires, leur vie et leur culture étant étroitement liées à la forêt tropicale et à ses ressources.

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples désigne les populations autochtones comme « ces groupes spécifiques qui ont été laissés en marge du développement, qui sont perçus négativement par les paradigmes dominants du développement et dont les cultures et les vies font l’objet de discrimination et de mépris ». Ils vivent souvent dans des régions inaccessibles et souffrent de diverses formes de marginalisation, tant sur le plan politique que social, de domination, et d’exploitation.

Les peuples autochtones de la RD Congo souffrent depuis longtemps de stéréotypes, de préjugés et de discrimination, notamment d’exclusion sociale, de ségrégation, de privation de droits et de violations de leurs droits fondamentaux. Leur accès aux services tels que la santé ou l’éducation est limité.

Les droits des populations autochtones de la RD Congo sont protégés par des normes internationales et régionales, mais le gouvernement congolais néglige leurs droits coutumiers depuis longtemps. Ils ont été expulsés et déplacés de force de forêts en raison de l’expropriation historique des terres autochtones à des fins de conservation et d’exploitation forestière, sans compensation, ce qui a perturbé leurs moyens de subsistance et violé leurs droits à la terre, à la culture et à l’autodétermination.

« Avant [les massacres de Bianga], c’était la cohabitation mais [les Nkundo] nous considéraient comme des animaux », a déclaré un homme Iyeke du village de Manga. « Nous ne pouvons pas manger ensemble, et ils ne prendraient pas notre nourriture, mais on travaille pour eux aux champs et nous faisons leurs travaux de construction ».

Plusieurs villageois Iyeke ont affirmé que les Nkundo n’autorisaient pas les mariages mixtes. « Ils viennent quand même courtiser nos filles, mais si nous courtisions les leurs, ils nous tueraient », a expliqué un habitant de Swambwakoy.

Les peuples autochtones restent menacés dans tout le pays et les attaques mortelles contre certaines communautés sont récurrentes. « Trois de nos enseignants sont des Bantous de Lingombe qui nous ont attaqués », a déclaré un homme Iyeke de Manga. « Nos enfants ont peur de leurs enseignants maintenant. Nous voulons une école pour nous ».

Depuis longtemps, le terme péjoratif « pygmées » – qui étymologiquement fait référence à leur petite taille – est utilisé en RD Congo pour désigner les peuples autochtones du pays. Même si ce terme est encore souvent utilisé de manière condescendante, les groupes de peuples autochtones l’ont approuvé ces dernières années pour s’unifier autour des défis communs qui caractérisent leur situation et leur traitement par les communautés non-autochtones, communément appelées Bantous.

Un habitant Nkundo de Wafanya a décrit les relations entretenues avec les Iyeke : « Selon la coutume, nous sommes leurs maîtres, et la coutume impose la ségrégation. Nous pouvons prier ensemble et aller dans les mêmes écoles, mais on ne se marie pas avec eux et on ne mange pas ensemble. Ils sont nos serviteurs, mais pas par la force. »

Il a déclaré que les populations autochtones « cherchent l’égalité sociale, c’est une cause de conflits ».

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones stipule que les peuples autochtones ont des droits à la fois individuels et collectifs. Les peuples autochtones « ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis ». Ils sont « libres et égaux à tous les autres et ont le droit de ne faire l’objet, dans l’exercice de leurs droits, d’aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur leur origine ou leur identité autochtones ».

Les États ont la responsabilité de mettre en place des mécanismes de prévention et de réparation visant tout acte les dépossédant de leurs terres, territoires ou ressources, ainsi que toute forme de propagande dirigée contre eux dans le but d’encourager ou inciter à la discrimination raciale ou ethnique. 

Depuis l’entrée en fonction du président Félix Tshisekedi en 2019, le gouvernement congolais s’est engagé à faire progresser les droits des peuples autochtones, notamment en adoptant une loi spécifique. L’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi sur la protection et la promotion des droits des peuples autochtones pygmées en avril 2021, mais elle est, depuis lors, bloquée au Sénat. 

Cette proposition de loi reconnaît que les « conditions de vie [des peuples autochtones] se caractérisent par la discrimination, la stigmatisation et tant d’autre formes de maltraitance qui sont à la base de la marginalisation sur le plan politique, administratif, économique, social et culturel ».

La législation, si elle est adoptée, « garanti[ra] particulièrement » aux peuples autochtones « la reconnaissance de [leurs] usages, coutumes et de la pharmacopée non contraire à la loi », « les facilités d’accès à la justice et aux services sociaux de base » et « le droit aux terres et aux ressources naturelles qu’ils possèdent, occupent ou utilisent, conformément à la loi en vigueur ».  

Les sénateurs congolais devraient adopter sans plus tarder la législation proposée et le gouvernement devrait prendre les mesures nécessaires pour que la loi entre rapidement en vigueur, a déclaré Human Rights Watch.

Les tueries de Bianga

Le 1er février 2021, des dizaines de Nkundo du village de Lingombe ont attaqué le village voisin de Manga. Un habitant autochtone Iyeke a décrit l’attaque : « C’était comme si tout un village nous attaquait avec des fusils. On était tellement dépassés qu’on a fui. Ils ont tout pillé et brûlé, même nos panneaux solaires et nos batteries, et même nos cartes d’électeurs. Nous avons fui dans la forêt. »

Les traces de cette attaque étaient encore nettement visibles lorsque Human Rights Watch s’est rendu à Manga au mois d’octobre. Des dizaines de maisons ont été totalement ou partiellement détruites, tandis que les murs qui tenaient encore debout étaient calcinés.

Un survivant a affirmé que sa fille de 8 mois était morte pendant l’attaque. « Ma femme portait notre fille quand on courait pour fuir », a-t-il expliqué. « Elle [ma fille] est tombée par devant et s’est cassé la nuque ».

Les assaillants ont brûlé au moins 244 maisons et une église à Manga, selon les registres officiels de la province. Au moins 17 personnes ont été blessées. Les registres provinciaux ne font état d’aucun décès à Manga, mais Human Rights Watch a confirmé la mort d’au moins deux enfants en bas âge, dont la fillette de 8 mois.

Les habitants de Manga ont déclaré que les attaquants avaient pillé l’école primaire mais ne l’avait pas brûlée car trois des enseignants étaient Nkundo.

Les 2 et 3 février, des Nkundo ont attaqué les autochtones Iyeke dans les villages de Sambwakoy, Bondongo, Ilemba, Bakako, Bombelenge B, Ikolongo, Inkandja et Bokombo Ifale. Les assaillants ont systématiquement pillé les biens et brûlé environ 1 000 maisons, 7 écoles, 3 centres de santé et 5 églises, selon les registres officiels et les informations fournies par la société civile.

Les Nkundo ont attaqué les villages avec des fusils de chasse traditionnels, des machettes et des lances, et au moins une arme automatique. Les enfants et les personnes âgées, incapables de prendre fuite, représentent la plupart des victimes. 

Certains Iyeke auraient tenté de défendre leurs villages avec des arcs et des flèches empoisonnées, mais sans résultat.

Les pires massacres ont eu lieu à Sambwakoy, Bondongo et Bombelenge B, où le nombre de morts a respectivement atteint au moins 20, 22 et 18 personnes autochtones selon les listes officielles et les informations fournies par des activistes de la société civile.

Les registres officiels de la province indiquent que trois Nkundo ont également été tués au cours de ces violences. Cependant, plusieurs Nkundo, des sources judiciaires et des activistes ont déclaré qu’aucun Nkundo n’était mort durant ces trois jours. Le rapport parlementaire du mois de mars indique également qu’« aucun mort » n’a été enregistré parmi les Nkundo.

Sambwakoy

Le 2 février 2021, des assaillants Nkundo ont attaqué le village de Sambwakoy, où vivent environ 3 800 Iyeke. Des témoins ont déclaré que certains des assaillants avaient recouvert leur visage de charbon de bois et portaient des bandeaux rouges ainsi que des ficelles noires autour des poignets en guise de fétiches protecteurs.

Les assaillants ont tué au moins 20 habitants, dont 14 enfants de moins de dix ans, selon des témoins et les documents officiels. Ils ont brûlé au moins 246 maisons, une église et 2 écoles, et pillé le centre de santé.

Un survivant a déclaré avoir été blessé par balle mais avoir réussi à s’échapper dans la forêt :

Je venais juste d’arriver à la maison quand j’ai entendu des cris à l’extérieur, des gens criaient : « Les Nkundo sont venus nous attaquer ! Ils viennent nous tuer ! » Je suis sorti de la maison pour voir ce qu’il se passait, et j’ai reçu une balle de fusil de chasse de calibre 12. J’ai crié. J’ai été touché au visage, au genou droit et à la cuisse droite, et à l’abdomen.

Il ne savait pas où se trouvaient sa femme et ses enfants, a-t-il encore expliqué. « Je voyais un groupe de Nkundo qui tiraient sur nous, mais je n’ai pas vu celui qui a tiré sur moi », a-t-il dit. « Si j’étais tombé au sol, ils m’auraient tué, j’ai donc fui dans la forêt et je me suis couché ailleurs. D’autres autochtones m’ont retrouvé en suivant à la trace de sang ». Ceux qui l’ont secouru lui ont permis de retrouver sa femme et ses enfants, qui avaient fui dans la forêt, trois jours plus tard.

Un homme autochtone a déclaré que les Nkundo l’avaient battu et forcé à les suivre. « Ils m’ont attaché les bras en hauteur avec une liane dans le dos », a-t-il raconté. « Ils m’ont tabassé puis ils m’ont frappé avec une machette et avec une lance ». Les cicatrices de ses blessures étaient visibles sur son dos et sa jambe. « Ils m’ont forcé d’aller avec eux pendant qu’ils brûlaient des maisons et tiraient sur les gens », a-t-il expliqué :

Ils ont brûlé l’église [principale], puis nous sommes allés au centre de santé. Il [la sentinelle] se cachait derrière [le bâtiment] mais ils ont tiré pour le tuer, il est mort. Ensuite, ils sont entrés dans une maison et ont trouvé [un homme] à l’intérieur, ils l’ont fait sortir par l’arrière. Un jeune l’a coupé à la tête avec une machette et d’autres lui ont tiré dans les côtes. Il est tombé mort. Nous sommes entrés dans une autre église et ils ont tiré sur quelqu’un d’autre qu’ils ont tué et laissé là.

Les agresseurs ont délibérément brûlé vive une femme âgée dans sa maison. L’homme forcé de suivre les assaillants a affirmé : « Vers l’autre bout du village, ils se sont arrêtés à la maison de l’infirmier et ont vu la maman dans la maison. Elle ne pouvait pas se déplacer seule. Ils ont fermé les portes, versé de l’essence sur la maison et y ont mis le feu ».

Il a raconté qu’il pensait que les assaillants finiraient par le tuer : « Avant de quitter le village, le leader m’a dit : "On voulait vous tuer et vous jeter dans la rivière, mais vous avez de la chance". Ils m’ont délié et m’ont laissé partir ».

Les attaquants n’ont pas épargné les enfants.   

« Plus tard dans la journée, quand la tranquillité est revenue, certains d’entre nous sont revenus au village pour un moment », a déclaré un témoin. Montrant le seuil d’une maison, il se souvient avoir trouvé les petits corps de deux sœurs : « Les deux petites étaient couchées juste ici. Le bébé de quelques mois seulement, a été touchée au côté droit par plusieurs balles. Sa sœur de 2 ans, avait une balle coincée dans la gorge. On les a enterrées derrière la maison. »

Les survivants ont déclaré que certains des blessés étaient morts dans la forêt, où ils ont été enterrés.

Point de vue des villageois de Nkundo

Le 16 octobre, Human Rights Watch a rencontré un groupe d’une vingtaine de villageois Nkundo à Lingombe pour discuter de leur implication dans les attaques de février. Ils ont refusé une demande d’entretiens individuels.

Les villageois n’ont pas démenti les attaques mais ont reproché aux Iyeke une série de « provocations », notamment l’incident qui a conduit à la dispute de Manga le 31 janvier. Certains ont également accusé les Iyeke d’avoir tué du bétail appartenant aux Nkundo. « Nous n’avions pas d’autre choix que de nous battre », a déclaré l’un d’eux.

« On a vu des flèches empoisonnées et on a pensé que peut-être on va mourir, donc nous avons brûlé leurs maisons », a déclaré un autre homme, qui a ajouté qu’ils ne pouvaient pas avoir utilisé de fusils parce qu’ils « n’en av[aient] pas ». Ces mots ont provoqué de vives réactions d’autres membres du groupe, réalisant que cette déclaration n’était pas crédible.

« Nous avons des fusils de chasse mais on ne les a pas utilisés », a affirmé l’un d’entre eux. « On a utilisé des machettes parce que [les Iyeke] utilisaient aussi des machettes. Les autochtones sont des gens qui aiment commenter, mais ce n’est pas vrai ».

Les soldats de l’armée nationale déployés pour sécuriser la zone ont déclaré qu’ils « n’a[vaient] pas eu l’ordre de désarmer les assaillants », même s’ils ont reconnu que des fusils de chasse et une arme automatique avaient été utilisés lors des attaques. « Si notre mission se termine, il y aura encore des incidents », a averti le commandant de la patrouille. « Le gouvernement doit aborder [les deux communautés] pour qu’elles abandonnent les hostilités ».

Enquête et ingérence politique

Le rapport parlementaire du mois de mars note que la « manipulation » des deux communautés par les politiciens au cours de la dernière décennie a conduit à « un climat de défiance [et] d’intolérance entre les Bantous [Nkundo] et les Pygmées indigènes dans le secteur de Bianga ».

Le rapport indique : « cela va dans le sens de la thèse de l’existence d’une main politique qui serait à l’origine des conflits actuels ». Il conclut qu’il y avait « des acteurs tirant les ficelles pour [manipuler] les deux communautés dans le but de bénéficier de leur soutien lors des prochaines élections de 2023 ».

Les autorités judiciaires de Boende, la capitale provinciale de Tshuapa, ont déclaré qu’une enquête sur ces tueries avait été ouverte peu après les attaques. Deux suspects Nkundo ont été jugés fin décembre pour incendie volontaire, association de malfaiteurs et pillages, selon l’un de leurs avocats. Ils ont été tous les deux acquittés.

Les autorités n’ont procédé à aucune enquête sur le terrain. Elles ont déclaré ne pas avoir les moyens d’atteindre la zone, située à plus de 200 kilomètres au sud de Boende. Coupé par la rivière Luilaka dans la forêt équatoriale, le secteur de Bianga n’est accessible qu’à moto et en pirogue, et n’est couvert par aucun réseau téléphonique. 

Les autorités judiciaires militaire à Boende ont déclaré que le commandant de la police du secteur de Bianga était soupçonné d’être impliqué dans les attaques et qu’elles avaient essayé de le localiser, mais qu’il restait jusque-là introuvable.

Deux fonctionnaires de justice et des activistes de la société civile ont indiqué qu’en plus des obstacles logistiques aux enquêtes sur le terrain, des politiciens provinciaux et locaux s’étaient directement ingérés dans l’affaire.

« Il y a une tentative d’étouffer cette affaire ici, c’est grave », a déclaré une source judiciaire. « Certains acteurs provinciaux, notamment des députés provinciaux, veulent contrôler la justice... On a politisé la justice ».

« Pas moins de 80 personnes auraient déjà dû être interrogées, mais presque personne n’est venu à cause de l’ingérence politique », a déclaré une autre source judiciaire. « Le dossier est freiné par les politiciens ».

Un activiste a déclaré que « certains députés provinciaux [membres du parlement] [faisaient] tout pour enterrer le dossier », car en tant que Bantous, comme les Nkundo, ils étaient prêts à les protéger.

Plusieurs témoins Iyeke ont affirmé que pendant les attaques, certains Nkundo avaient scandé : « L’Honorable [membre du parlement] nous a dit de tuer les Iyeke – il va lui-même se justifier » (ou en lingala : « Honorable, apesa biso mitindo toboma Iyeke, ye moko okosamba »).

Une enquête crédible sur les tueries de Bianga devrait déterminer si des responsables locaux ou provinciaux ont joué un rôle dans ces attaques, a déclaré Human Rights Watch. Les personnes impliquées devraient être rigoureusement poursuivies.

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