Elles ont entre 14 et 23 ans, sont en troisième, terminale spécialité maths et physique, ou cumulent les masters. Toutes manient plus ou moins l’art de la réalisation et du montage pour faire des vidéos virales sur les réseaux sociaux. Mais le point commun de ces adolescentes et jeunes filles ne se situe pas dans le choix des filtres ou des danses à la mode. Elles correspondent avec des prisonniers.

Depuis l’été dernier, sur fond de I’m In love with a criminal de Britney Spears, on peut voir des milliers de jeunes filles filmer la correspondance qu’elles entretiennent avec des détenus. Cette mode, ou trend en vocabulaire anglais Tiktok, tout droit débarquée des Etats-Unis s’est aussi propagée chez certaines adolescentes françaises.

@alizeelegrand Il y plus d’un an j’ai décidé d’écrire à un prisonnier américain de mon âge #writeaprisoner #prisonerpenpal #penpal #prisonpenpal #prison #prisoner ♬ Criminal – Britney Spears


Sur la plateforme, les utilisatrices exhibent les courriers reçus en anglais et les correspondances avec les détenus. 

Une plateforme dédiée pour écrire aux détenus américains

Outre-Atlantique, ces jeunes filles s’inscrivent sur le site américain Write A Prisoner, et choisissent grâce à des photos mis en ligne par les prisonniers, celui avec lequel elles veulent correspondre. Une plateforme créée en 2000 pour prévenir la récidive en accompagnant les détenus avec un premier contact à l’extérieur.

Une fois identifiées sur la plate-forme, les jeunes filles ont le choix entre l’envoi d’un mail ou d’une lettre manuscrite. C’est la jeune fille qui est à l’initiative du premier échange, il lui appartient donc d’entamer la conversation en créant le contact avec le détenu. Les nombreux Tiktok comportant le #writeaprisoner démontrent que malgré le progrès technologique et le développement de nouveaux moyens de communications, les échanges se font majoritairement par textes manuscrits.

@saveurs_stars J’ai pas toutes les lettres à ma portée du coup j’en ai mis deux ✌🏻 #trend #tendance_sur_tiktok #prisoner #writeaprisoner #francaise ♬ Criminal – Britney Spears


Des correspondances qui peuvent durer dans le temps, et alimenter les fils des jeunes créatrices de contenus. 

Écrire à un détenu n’est pas anodin, et pourtant pas nouveau. Déjà le journal Libération en 1980 publiait dans son supplément «  Sandwich », les petites annonces des détenus français qui voulaient entretenir une correspondance. Ce n’est donc pas tant le fait d’échanger avec des détenus qui interroge mais plutôt l’intérêt des jeunes filles françaises pour les prisonniers américains.

Une fascination pour le milieu carcéral américain

Dans une pop culture mondialisée, l’imagerie autour du prisonnier américain n’a jamais cessé d’être développée par l’industrie cinématographique et musicale. Entre empathie et envie de ressentir “le grand frisson”, les raisons pour lesquelles des jeunes femmes s’engagent dans des relations épistolaires, voire amoureuses, avec des détenues sont multiples.

Il est aussi question de la facilité d’accès aux détenus américains. Un argument qu’explicite Isabelle Horlans, journaliste et écrivaine, dans son ouvrage L’amour (fou) pour des prisonniers (Le Cherche midi, 2015), décrit ce phénomène d’attirance de certaines jeunes filles pour des hommes condamnés.

Il est vrai, que la majorité des plateformes dédiées à ce type d’échange sont américaines. L’accès à de telles plateformes, y est plus simple qu’en France d’après les témoignages recueillis. Les prisonniers n’ont besoin que de leur numéro d’écrou, et de l’État où ils se trouvent pour s’y inscrire et ainsi pouvoir reçevoir du courrier.

@clara_lftr Comment envoyer une lettre à un detenu en France ? #lettre#prison#detention#jail#couple#prisonfrance#courriers#manque#pourtoi#amour#vitelafin#viral ♬ son original – Clara


Sur la plateforme, certaines expliquent aussi comment écrire à des détenus incarcérés en France. 

 

 

Mais en France, ces relations épistolaires constituent aussi une réalité. C’est d’ailleurs dans cet objectif de maintenir le lien social, que des associations comme le Courrier de Bovet, mettent en place un système d’échanges épistolaire. L’association comptait ainsi en 2019, 750 adhérents qui discutaient avec 650 détenus.

Soumis à une condition principale: être âgé au moins de 25 ans. Les jeunes filles, encore mineures, à la recherche de la grande aventure, sont exclues. Il est précisé sur le bulletin d’inscription que cette correspondance « demande une réelle maturité affective, une certaine expérience de la vie et de la réalité sociale ».

 

@lucie_drg

I’m in love with a criminal✨ #writeaprisoner#pourtoi

♬ Criminal – Britney Spears

La fascination pour les prisonniers est aussi affichée sans complexe sur la plateforme. 

Le réseau social Tiktok  voit ainsi une prolifération de compte décrivant autant la vie des détenus que les correspondances qu’ils peuvent entretenir avec de jeunes tiktokeuses. On constate une sorte de retour en force du mythe du prisonnier.

Selon Isabelle Horlans ces échanges ne sont pas sans « dégâts, des influences néfastes ». À travers l’idée de réintégrer ces hommes à la société, ces tiktokeuses se construisent une idole, à travers l’image du prisonnier, un sentiment de fascination peut naître alors.

Je voulais montrer que nous sommes tous humains et que chacun de nous mérite de recevoir de l’attention.

Pour Alizée, tiktokeuse et titulaire d’un Master 1 en marketing digital, c’est une envie de découvrir le milieu carcéral américain qui l’a guidée jusqu’à écrire à un détenu. Pour Marwa, lycéenne, c’est juste une envie de suivre la mode et d’expérimenter une nouvelle trend promue par la plateforme. Le criminologue suisse Philipp Jaffé a pu observer et étudier le milieu carcéral américain, pendant près de quinze ans. Il met en avant le fait que certaines sont à la recherche du danger, du grand frisson, tandis que d’autres sont dans une démarche « humanitaire ».

«  À travers ce Tiktok, je voulais montrer que nous sommes tous humains et que chacun de nous mérite de recevoir de l’attention », raconte Marwa, 17 ans. Elle estime que sa démarche a « été très mal interprétée » par certains, à cause de « la mentalité française », suppose-t-elle.

L’ampleur de cette mode s’est quelque peu essoufflé ces derniers mois, mais il est important de noter, que les  femmes détenues sont les grandes absentes de cette trend Tiktok, qui continue de faire écrire et de faire parler.

Alienor De Matos

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