Pour aider les victimes de pédocriminalité, les évêques cassent leur tirelire
Les diocèses vendent notamment des biens immobiliers pour abonder le fonds des victimes de pédocriminalité.
Les dons continuent d’arriver. Ce jour-là, deux nouveaux diocèses ont donné une contribution. Et un couple de croyants, mariés depuis soixante ans, a envoyé un chèque, avec ce mot: «Pour aider l’Église à réparer ses torts.» «Des messages de ce type, j’en reçois chaque jour», assure Gilles Vermot-Desroches, le président du Fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs (Selam). L’instance chargée de financer l’accompagnement des victimes de prêtres pédocriminels a déjà réuni les 20millions d’euros annoncés par l’épiscopat. En novembre, la Conférence des évêques de France (CEF) a en effet reconnu la responsabilité de l’institution et le caractère systémique des abus sexuels.
Pour réparer les préjudices subis par les victimes (330000 depuis 1950 selon le rapport de Jean-Marc Sauvé), chacun est invité à mettre la main à la poche. Sans règle de répartition. Les contributions varient selon la taille du diocèse, les moyens ou… l’intérêt porté au dossier.
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Le premier donateur était une victime
Une règle d’or cependant: pas question de piocher dans les dons des fidèles ni d’utiliser les legs destinés à des activités cultuelles. «Les chrétiens considèrent que ce n’est pas à eux de réparer les crimes de l’Église», prévient un économe. Certains contribuent malgré tout à titre individuel: le premier donateur est… une victime. Les trois quarts des évêques ont déjà participé. «Certains ont cassé leur tirelire, assure Ambroise Laurent, responsable financier de la CEF. Avec 1000euros par mois, ils ne roulent pas en Mercedes!» Environ 95% du fonds provient des diocèses. Certains cèdent des biens immobiliers (construits après 1905, les autres appartenant aux communes ou à l’État). Créteil, par exemple, espère vendre 1,25million d’euros le pavillon en meulière de 250mètres carrés, agrémenté d’un jardin, occupé par MgrBlanchet. «Nous avons versé 200000euros au fonds Selam, et garderons le reste pour faire face à de nouvelles demandes», explique l’économe Philippe Guyard.
"L’objectif est que ça n’impacte pas nos actions pastorales
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Le diocèse de Paris, qui pèse près de 10% des ressources financières de l’Église, a déjà acquitté 700000euros sur les 2millions promis. Prélevés sur les 9millions de revenus locatifs annuels, qui servent à financer des œuvres de charité et à entretenir ses 28églises, 50000mètres carrés de presbytères et 90000mètres carrés d’écoles catholiques. Pas besoin, pour l’instant, de vendre les hôtels particuliers des beaux quartiers qui vaudraient plus de 700millions d’euros.
D’autres gros diocèses devraient faire preuve de générosité. Lyon, secoué par plusieurs affaires de pédocriminalité, a déjà versé 750000euros. Nantes et Rennes, 500000euros chacun. Le premier en vendant un centre spirituel à l’université catholique de l’Ouest. Le second en puisant dans ses revenus mobiliers: «L’objectif est que ça n’impacte pas nos actions pastorales.» D’autres prennent leur temps. Marseille «va bien sûr contribuer», nous dit-on, mais «les modalités sont à l’étude». Arras, le «sixième diocèse de France», mais aussi Poitiers, Moulins ou la Corse doivent encore réunir les instances gouvernantes. «Avec le Covid, certains hésitent à participer aux réunions, explique Thierry Castillo, l’économe du diocèse de Périgueux. Mais on s’est engagés à apporter 50000euros.» Sans parler des endroits qui n’avaient plus d’évêque (Troyes, Le Puy-en-Velay).
"Le reste, les églises, les presbytères, le sanctuaire accueillant les pèlerins de Compostelle, on ne peut pas s’en dessaisir…
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Chacun des 98diocèses du pays est libre de déterminer sa quote-part. Celui de Saint-Brieuc a divisé 20millions d’euros par cent. Il versera donc 200000euros d’ici à fin mars grâce à la vente d’un lycée à une congrégation religieuse. Annecy a donné la même somme. D’autres s’appuient sur l’indice Wasselynck (la «clé de répartition» souvent utilisée pour répartir les charges communes). Angers paiera ainsi 250000euros, en plusieurs fois, à partir des revenus financiers. Angoulême table sur 85000euros: «La situation économique du diocèse est encore fragile. Avant le Covid, le budget était de 4millions d’euros, contre 3 aujourd’hui. Il ne faut pas présumer de nos forces.»
Langres, petit diocèse rural, va réunir 45000euros, en intégrant notamment le produit d’une coupe de bois à côté d’une chapelle. Cahors espère récupérer 50000euros en cédant une maison individuelle. Sens-Auxerre a utilisé la trésorerie disponible, 23000euros, issue de la vente d’un petit jardin. «Le reste, les églises, les presbytères, le sanctuaire accueillant les pèlerins de Compostelle, on ne peut pas s’en dessaisir…», indique l’économe Vincent Dano.
Don de legs de prêtres agresseurs
D’autres transfèrent tout ou partie des legs reçus de prêtres agresseurs: Pamiers (30000euros), Nevers (80000euros), Coutances (190000euros), Autun (44000euros sur 250000), Bordeaux (une partie des 100000euros), Rouen (64000euros sur 200000) ou… Reims, le fief de Mgrde Moulins-Beaufort, le président de la CEF. «Parmi les 11prêtres mis en cause dans le cadre de la mission Sauvé, quatre avaient fait un legs à l’association diocésaine, indique son service de communication. Nous arrivons donc à 357400euros.»
À Évreux, l’évêque Christian Nourrichard répond lui-même par téléphone: «Nous avons déjà envoyé 72225euros correspondant à deux legs de prêtres agresseurs. Nous vendrons un presbytère pour compléter ce don.» Beaucoup se montrent moins transparents. «C’est confidentiel, l’évêque ne veut pas en parler», indique-t-on à Dijon. «Nous avons contribué en vendant les titres du diocèse», confie-t-on à Blois, l’un des plus pauvres de France. «Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret», explique un autre, en se référant à l’Évangile. Meaux, Évry, Verdun, Gap, Toulouse, Rodez, Dax, Nancy ou Mende ne souhaitent pas dévoiler le montant collecté. Le président du fonds Selam se félicite de l’élan collectif: «Ce n’est pas un sprint où chacun reste dans son couloir, mais une course de relais.»
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