C’est une scène que Myriam Dergham se remémore souvent. Il y a quatre ans, alors qu’elle commence son externat en médecine, elle assiste à l’annonce d’un terrible diagnostic. « Le patient, un étudiant d’une vingtaine d’années, venait d’apprendre qu’il était atteint d’une tumeur au cerveau, raconte-t-elle. Il est resté interdit. Pas un mot ne sortait de sa bouche. Devant son absence de réaction, le médecin s’est mis à lui crier dessus en articulant chaque mot : “Vous parlez français ?” Parce que le patient avait la peau mate, le médecin s’est empressé de penser qu’il ne parlait pas français, alors qu’il était simplement choqué. Ce jour-là, j’ai compris que la couleur de peau pouvait déterminer la qualité d’une prise en charge », lâche celle qui, depuis, est devenue spécialiste des discriminations en santé et plus particulièrement du « syndrome méditerranéen » (1).

Une catégorisation dangereuse

Encore peu documenté, ce syndrome désigne le « fantasme selon lequel les personnes originaires du pourtour méditerranéen seraient moins résistantes à la douleur » et exagéreraient leurs plaintes, résume le sociologue et anthropologue David Le Breton, spécialiste des expressions de la douleur. « Cela concerne principalement les personnes originaires du Maghreb et d’Afrique noire, mais aussi d’Europe de l’Est, complète Myriam Dergham. Parce qu’on s’imagine qu’elles ont une tendance à théâtraliser les choses, on va leur donner moins d’antalgiques qu’aux autres. Plus largement, il y a cette idée que le patient étranger ou perçu comme tel est un mauvais malade qui pose problème. »

Souvent taboue au sein de la communauté médicale, cette catégorisation peut conduire à de mauvaises prises en charge. Voire à « des accidents liés aux soins », avertit Myriam Dergham, citant le décès, en décembre 2017, de Naomi Musenga, jeune Strasbourgeoise d’origine congolaise dont l’appel aux urgences, pour de fortes douleurs abdominales, n’a pas été pris au sérieux.

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Si le rapport de l’Igas, remis six mois plus tard, ne fait pas mention du « syndrome méditerranéen », il note le ton « dur, intimidant et déplacé » de l’assistante du Samu et estime que « (ses) réponses non adaptées ont conduit à un retard global de prise en charge de près de 2 h 20 ».

« Un vrai malaise chez certains patients noirs »

Pour Myriam Dergham, la publication sur les réseaux sociaux, à l’été 2020, d’une liste de soignants noirs témoigne elle aussi des discriminations subies par certains patients. « Beaucoup de médecins avaient très vivement réagi, criant au communautarisme, mais cette liste reflétait un vrai malaise chez certains patients noirs et une volonté de reprendre la main sur leur santé », défend la jeune médecin, pour qui les autorités ne s’emparent pas suffisamment de ces questions.

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« On reçoit toutes les deux semaines des recommandations sur la prise en charge de tout un tas de maladies, mais rien sur la manière d’améliorer notre rapport aux patients, fustige-t-elle. Les nouveaux médicaments, c’est bien, mais où est l’humain dans tout ça ? »

(1) Coautrice avec Rodolphe Charles de l’article Le « syndrome méditerranéen » : une stigmatisation par catégorisation des conduites de maladies, paru en janvier 2021 dans la revue Médecine.