Steppe by steppe, la puissance des empires nomades : épisode • 2/4 du podcast Nomades, une histoire en mouvement

Kublai Khan à la chasse, détail d'une peinture sur rouleau de soie par Liu Guandao, 1280 ©Getty - Picturenow / Universal Images Group
Kublai Khan à la chasse, détail d'une peinture sur rouleau de soie par Liu Guandao, 1280 ©Getty - Picturenow / Universal Images Group
Kublai Khan à la chasse, détail d'une peinture sur rouleau de soie par Liu Guandao, 1280 ©Getty - Picturenow / Universal Images Group
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Au XIIe siècle, les Mongols de Gengis Khan triomphent de leurs rivaux des steppes et bâtissent des empires. Ces populations nomades et frustres entreprennent de grandes guerres et visent à conquérir le monde. Retour sur l'histoire souvent méconnue des nomades des steppes.

Avec
  • Iaroslav Lebedynsky Historien, enseignant à l'INALCO
  • Carole Ferret Anthropologue, chargée de recherches au CNRS et directrice adjointe du Laboratoire d'anthropologie sociale.

En 1842, Victor Hugo écrit Le Rhin, lettres à un ami. Sous la forme d’un journal de voyage, l’écrivain livre ses réflexions sur le monde, sur l’histoire. Il évoque "le grand khan de Tartarie, qui répétait par intervalles d’un air terrible ces paroles gravées sur son sceau : Dieu au ciel, le grand-khan sur terre. Les oisifs parisiens racontaient du khan, comme du knez, des choses merveilleuses. L’empire du khan des tartares avait été fondé, disait-on, par le maréchal Canguiste, que nous nommons aujourd’hui Gengis-Khan. L’autorité de ce maréchal était telle, qu’il fut obéi un jour par sept princes auxquels il avait commandé de tuer leurs enfants". Il y a beaucoup de mythes et de fantasmes dans l’histoire de Gengis Khan. Elle est en effet fascinante : comment les nomades des steppes ont-ils triomphé de leurs rivaux au point de prétendre à la domination universelle ?

Qui sont les nomades des steppes ?

Les Européens qui voient les premiers cavaliers mongols franchir la Volga au XIIIe siècle sont pour le moins perplexes. Dans les Chroniques de Novgorod, on peut ainsi lire : "Pour nos péchés (...) sont venus des peuples inconnus et dont personne ne sait rien : qui ils sont, d’où ils viennent, quelle est leur langue, quelle est leur race et quelle est leur foi (...). Et les Tatars ont quitté le Don et s’en sont retournés. Et nous ne savons point d’où ils venaient, ni où ils sont allés". Encore aujourd’hui, notre vision des nomades des steppes est entachée de stéréotypes : ceux-ci seraient innombrables, pillards, ou encore désorganisés.

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Ces cavaliers mongols viennent d’un monde très mal connu des sédentaires et des Occidentaux en particulier : le monde des steppes. L’historien Iaroslav Lebedynsky nous explique que "les steppes sont vues comme une espèce de vide entre ce que l'on considère comme les grandes civilisations – occidentale, iranienne, indienne, chinoise... En réalité, la steppe a sa propre civilisation, très ancienne puisqu'elle remonte au début du premier millénaire avant notre ère."

Ces civilisations des steppes sont liées au nomadisme et au pastoralisme. "Le pastoralisme, c'est l'élevage des herbivores en troupeaux, un élevage extensif, (qui) nécessite de grandes aires de pâturage. Le nomadisme, c'est la mobilité résidentielle des gens qui accompagnent les mouvements des troupeaux, rappelle l’anthropologue Carole Ferret. Les troupeaux se déplacent à la fois pour éviter l'épuisement des ressources, mais aussi pour bénéficier de l'hétérogénéité des ressources. En fait, c'est l'idée d'être à chaque moment de l'année à l'endroit le plus favorable en fonction des cycles saisonniers". Contrairement à l’idée reçue qui associe le nomadisme à un âge premier de l’humanité, première étape d’une évolution linéaire, "l'archéologie prouve que tous ces groupes nomades de la steppe descendent de sédentaires. Ces sédentaires ont mené une existence de plus en plus mobile à la suite de leurs troupeaux. Ils ont décidé, à un moment donné, de larguer les amarres pour aller exploiter le milieu particulier de la steppe grâce à ce véhicule qu'était le cheval", nous enseigne Iaroslav Lebedynsky.

L'Empire mongol et la conquête des steppes

L’Empire mongol est le dernier – et le plus grand – empire des steppes. Son histoire est liée à la figure incontournable au titre honorifique de Gengis Khan.

"Temüdjin, avant qu'il ne devienne Gengis Khan, le Khan universel, est né dans ce qui était la Mongolie de la seconde moitié du XIIe siècle, (...) à un moment qui était un peu le creux de la vague pour les Mongols. Les tribus mongoles avaient connu des tentatives d'organisation politique, de construction de Khana, d'Empire, etc. qui avaient toutes avorté du fait de leurs voisins, notamment des Tatars et des Chinois, décrit Iaroslav Lebedynsky. Gengis Khan a été l'homme providentiel qui a réussi à réunir les clans mongols, les tribus mongolophones, certaines tribus turcophones, et ensuite à partir à la conquête de nouveaux territoires en dehors de ce noyau de l'actuelle Mongolie".

Le Cours de l'histoire
51 min

Les Mongols de Gengis Khan ont bâti un empire en quelques années et contrôlé un territoire qui s’étendrait aujourd’hui de l’Iran au Vietnam.

Iaroslav Lebedynsky nous livre son hypothèse quant à ce qui a fait émerger l’idée de conquête chez les Mongols, jusqu'alors seulement en conflit avec les tribus et clans voisins : "Les premières conquêtes de Gengis Khan ont été largement opportunistes. Il a entamé ces guerres par vengeance (et) par nécessité. Il a été attaqué par un certain nombre d'adversaires et a constitué au fur et à mesure un premier embryon d'empire. Le projet de conquête universelle est venu comme l'appétit vient en mangeant, note l’historien. Il est venu principalement sous le premier de ses successeurs, son fils Ögödeï, qui, en 1235, réunit une grande assemblée des chefs mongols et décide de terminer la conquête du monde en lançant ses armées vers ce qui reste de la Chine, vers l'Europe et vers l'Orient".

Comment s’est construite l’ascension du grand Khan ? Comment son armée était-elle organisée ? Comment l’empire mongol s’est-il disloqué ? Et comment rompre avec l’idée que les nomades des steppes n’ont pas d’histoire ?

Pour en parler

Iaroslav Lebedynsky est historien, spécialiste des anciennes cultures guerrières de la steppe et du Caucase. Il enseigne l'histoire de l'Ukraine à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) à Paris. Il a notamment publié :

Carole Ferret est anthropologue, chargée de recherches au CNRS. Son projet de recherches est intitulé Traitement de la nature et traitement d'autrui. Une anthropologie de l'action chez deux peuples pasteurs d'Asie centrale et de Sibérie orientale. Elle a notamment publié :

Sons diffusés dans l'émission

  • Archive de l'historien Jean-Paul Roux à propos de la gloire de l'empire mongol dans Les Chemins de la connaissance sur France Culture le 11 avril 1994
  • Lecture par Olivier Martinaud de la citation que Rachîd ad-Dîn attribue à Gengis Khan (fin du XIIIe, début du XIVe siècle),et de la lettre de Güyük (successeur de Gengis Khan) au pape, datée du 11 novembre 1246 et rédigée en persan. Traduction par Iaroslav Lebedynsky .
  • Archive sur les jeux mondiaux nomades de Kirghizie dans le Journal de France 2 en 2018
  • Extrait de la série Marco Polo, créée par John Fusco, 2014
  • Tsogtgerel, improvisation de chant diphonique et vièle à tête de cheval

Générique de l'émission : Origami de Rone

L'équipe