Covid-19 : la transition vers un « schéma stable » devrait prendre entre 2 et 10 ans

Covid-19 : la transition vers un « schéma stable » devrait prendre entre 2 et 10 ans
Image d'illustration © Erik Mclean / Unsplash (CC)

Le Scientific Advisory Group for Emergencies (SAGE), l’équivalent du Conseil scientifique au Royaume-Uni, a publié le 10 février dernier un document présentant quatre voies possibles quant à l’évolution future de la pandémie, du plus optimiste au plus pessimiste. Tous les scénarios s’accordent cependant sur un point : la phase de transition vers un schéma de circulation et d’infection « relativement stable et répétitif » devrait prendre « entre 2 et 10 ans ».

Comment la pandémie va-t-elle évoluer dans les prochains mois ? Depuis quelques semaines, la question est sur toutes les lèvres. Si, à court terme, le Conseil scientifique français estime que l’impact de l’actuelle cinquième vague « va se poursuivre durablement jusqu’à mi-mars 2022 », du côté des dirigeants (occidentaux), beaucoup espèrent le passage du Covid-19 à un « stade endémique » – soit l’idée selon laquelle, plus de deux ans après son émergence, le Covid-19 pourrait enfin devenir une maladie quasi « banale », avec laquelle l’humanité pourrait enfin « apprendre à vivre » sans bouleverser son quotidien. Mais, comme l’ont déjà relevé un certain nombre de spécialistes, ces prédictions ne sont pas toujours fondées scientifiquement, le niveau de circulation du virus variant encore fortement selon les pays… et au gré des (futurs) variants qui se propagent d’un territoire à l’autre.

Pour y voir un peu plus clair, le Scientific Advisory Group for Emergencies (SAGE), un organisme placé sous la tutelle du gouvernement britannique et chargé de conseiller le gouvernement dans certaines situations d’urgence, a publié le 10 février dernier un document présentant « quatre scénarios » pour le futur de la pandémie. Plus exactement, les scientifiques (épidémiologistes, mais aussi virologues, cliniciens, et autres spécialistes des données) s’intéressent ici à l’évolution possible de la circulation du virus sur le (seul) territoire britannique, dans un délai compris entre « 12 à 18 mois » et « quelques années ». Si la lecture de ce document ne peut donc faire office de « prédiction » à proprement parler, elle permet néanmoins de tirer quelques enseignements. En voici un bref résumé.

Scénario 1 : des futures vagues « mineures » 

Dans le premier scénario exposé par le SAGE, de nouvelles vagues « mineures » ont lieu au fil de l’année 2022, en partie à cause d’une « diminution de l’immunité » (que celle-ci soit conférée par les vaccins ou les infections antérieures). Ces vagues restent toutefois circonscrites à la fois d’un point de vue temporel (elles ne durent pas longtemps) et régional (elles ne s’étendent pas à tout le territoire). À l’hiver 2022/2023, la résurgence des infections demeure donc « relativement faible », avec un nombre de formes graves lui aussi assez restreint et des doses de rappel administrées uniquement aux plus vulnérables. À noter que c’est bien l’émergence de nouveaux variants (certes moins dangereux) qui explique une nouvelle fois l’apparition de nouvelles vagues. Celles-ci deviennent cependant moins dangereuses au fil du temps, point sur lequel insiste le document en présentant cette hypothèse comme « la plus optimiste » des quatre.

« Des infections saisonnières annuelles pourraient avoir lieu, avec des variants comportant une transmissibilité élevée et une sévérité similaire à celle de Delta »

Scénario 2 : des « infections saisonnières annuelles » 

Deuxième hypothèse, celle d’« infections saisonnières annuelles avec des situations qui varient d’une période à l’autre », en raison de variants comportant « une transmissibilité élevée et une sévérité similaire à celle de Delta ». Concrètement, ici, l’épisode de la vague Omicron (dont nous sortons à peine en France) se répète plus ou moins de la même façon lors des prochaines saisons hivernales. Dans cette situation, « seules » les personnes âgées ou vulnérables ne présentant pas d’immunité préalable développent des formes graves… pouvant aller jusqu’au décès. Les vaccins, régulièrement mis à jour pour s’adapter à la cadence des nouveaux variants, sont administrés aux plus vulnérables mais aussi « à tous les autres » si la situation l’exige. À plus long terme, « la résistance antivirale commence à apparaître (…) jusqu’à ce que des traitements adaptés soient rendus disponibles ». Dans un délai que les scientifiques britanniques ne se risquent pas à prévoir…

Scénario 3 : des variants encore plus contagieux qu’Omicron

Cette fois, le ton des scientifiques est « relativement pessimiste » : une incidence mondiale élevée entraîne l’émergence « imprévisible » de variants pendant encore de nombreuses années, avec d’une part « une capacité d’échappement immunitaire accrue » et d’autre part « une plus grande transmissibilité par rapport à Omicron ». Les infections bénignes et les vaccins continuent de fournir une bonne protection contre les formes les plus graves mais les vagues d’infection répétées provoquent par ailleurs « des perturbations généralisées [en termes de santé publique], avec des impacts disproportionnés dans certains groupes, par exemple celui des enfants en bas âge ». Le respect des gestes barrières est lui aussi en baisse, et certains pays se retrouvent contraints d’imposer à nouveau des mesures de restriction assez lourdes (jauges, fermetures anticipées, obligation du port du masque, etc.). De quoi tempérer les ardeurs de ceux qui voudraient déjà mettre le Covid derrière eux.

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Image d'illustration © Chapman Chow / Unsplash (CC)

Scénario 4 : des perturbations imprévisibles sources de « conflits sociétaux » 

Le dernier scénario – le plus pessimiste ou le plus réaliste, c’est selon – fait se croiser plusieurs facteurs inquiétants. À savoir : un taux d’incidence à l’échelle mondiale élevé et ce « de façon continue » ; un niveau de vaccination encore trop faible (et inégal selon les zones géographiques) ; et une circulation virale accrue au sein des « réservoirs » que constituent certaines espèces animales. Ce qui conduit à l’émergence répétée de variants plus dangereux, y compris par recombinaison (c’est-à-dire échange de matériel génétique entre différents variants infectant la même cellule). Et si, dans les 18 prochains mois, les formes graves continuent de toucher avant tout les plus fragiles, à plus long terme, « des changements imprévisibles dans la façon dont le virus agit modifient le taux et le profil d’âge des personnes développant des formes graves, avec des impacts à long terme accrus après l’infection », détaillent les scientifiques. Une campagne de vaccination annuelle généralisée, avec des doses adaptées et « mises à jour », devient indispensable, mais les comportements volontaires de protection sont largement absents… voire « source de conflits sociétaux ».

Inquiétant ? Comme prennent bien soin de le préciser les scientifiques britanniques, ces scénarios ne font qu’« illustrer une gamme d’avenirs possibles ». « Des passages d’un scénario à un autre dans le temps sont également possibles », assure le SAGE, de même qu’un résultat « se situant en dehors du spectre couvert » ici. Surtout, si, dans chaque scénario, les scientifiques partent du principe qu’un schéma de circulation et d’infection « relativement stable et répétitif » sera atteint au bout d’un certain temps, il est probable « que la transition vers ce schéma sera très dynamique et imprévisible ». Cette période de transition devrait selon eux prendre entre « 2 et 10 ans ».

Autre fait marquant, le document invite ses lecteurs à prendre en compte deux facteurs clés pour envisager l’évolution de la situation épidémique : le respect des gestes barrières (à l’échelle individuelle) et la mise en place de mesures de prévention (à l’échelle gouvernementale), évidemment ; mais aussi les « possibles interactions du Sars-CoV-2 avec d’autres virus respiratoires » tels que la grippe ou le virus respiratoire syncytial (VRS), deux vagues successives de ces différentes maladies pouvant alors mettre sous pression le système de santé britannique pendant une « longue période ».

Redoutez-vous, comme les scientifiques britanniques, les « conflits sociétaux » que pourraient entraîner les prochaines vagues ?

Comme l’ont relevé certains scientifiques, le document britannique présente cependant l’inconvénient de ne se focaliser que sur les conséquences à court terme des périodes de forte circulation virale (en termes de décès et de saturation du système hospitalier), oubliant ainsi les reports d’opération contraints, les conséquences sociales de ces vagues et le statut des personnes présentant des formes de Covid longs… voire des risques accrus de développer d’autres maladies, notamment cardiovasculaires. « Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils ne se concentrent que sur le court terme et les décès, s’étonne ainsi Andrew Ewing, membre de l’Académie scientifique de Suède. Or, il s’agit d’une maladie systémique, donc une vision globale est nécessaire. Les effets négatifs à plus long terme sur la société pourraient bien provenir principalement de lésions immunitaires, organiques, cérébrales, en particulier lors de réinfections. » Preuve que d’autres types de projections seront sans doute encore nécessaires pour mieux comprendre les évolutions futures du Covid-19.