Ces enfants d’Idleb qui travaillent dans des dépotoirs pour survivre

Pour Oum Ahmad, cela aurait pu être un jour de décembre comme un autre à Idleb. Mais, lorsque cette veuve mère de trois enfants se réveille à l’aube au son de fortes pluies, elle est envahie par un mauvais pressentiment. Au même moment, son plus jeune fils Jamal Moubarak, âgé de 13 ans, se prépare pour se rendre sur son lieu de travail. À l’instar de centaines d’autres enfants de la région, le jeune adolescent se rend alors quotidiennement dans l’une des décharges du gouvernorat situé dans le Nord-Ouest syrien. Au milieu des montagnes de déchets qui s’amoncellent, les silhouettes de ces « petites mains » sont à peine reconnaissables. À longueur de journée, elles s’affairent avec un même objectif : ramasser tous les détritus qui pourraient être ensuite revendus : plastique, cannettes métalliques, matériaux recyclables... L’activité est dangereuse mais vitale pour Jamal et sa famille. Les quelques sous qu’il récolte permettent de payer l’abonnement d’électricité. Conscient du poids de la responsabilité et malgré les protestations de sa mère, le jeune adolescent se met en route et quitte son domicile le matin à 5h30. Il n’est jamais revenu.

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Ce matin-là, la ville d’Idleb s’éveille en état de choc : trois enfants, dont Jamal, sont morts d’étouffement et de froid dans la déchetterie. Selon deux autres jeunes présents sur les lieux, des tas d’ordures se sont effondrés sur leurs camarades. Après six heures de recherches acharnées à l’aide de pelleteuses, les équipes de secours de la Défense civile dégagent sept tonnes et demie de déchets et parviennent à extraire des décombres leurs petites dépouilles mortelles. « Deux heures après l’accident, un cousin est venu me dire que Jamal s’était cassé la jambe et qu’on l’avait transporté à l’hôpital », se souvient Oum Ahmad. « Il savait pourtant la vérité et il me l’a cachée. À midi, on est venu m’annoncer la mort de mon fils », souffle-t-elle.

Jamal, qui avait l’habitude d’aller avec son grand frère Bachar à la décharge, s’y était rendu seul ce jour-là. L’aîné, âgé de 14 ans, était resté à la maison en raison d’un problème de santé. « Les circonstances les ont forcés à quitter l’école pour joindre les deux bouts », raconte Oum Ahmad. L’époux de cette mère au foyer est décédé à la suite d’une infection pulmonaire. Son premier fils a été tué dans un accident de voiture alors qu’il se rendait sur son lieu de travail. Pour subvenir aux besoins de la famille, Jamal avait 9 ans et Bachar 10 quand ils ont commencé à aller à la déchetterie. « Ils revenaient à 15 ou 16 heures. Certains jours, ils y restaient jusqu’au soir à 19 heures », relate leur mère.

Dangers physiques et sanitaires

Sans équipement de protection adapté, les « petites mains » des décharges font face à divers dangers physiques et sanitaires. Difficultés respiratoires liées aux vapeurs et aux gaz, problèmes de peau, risques de contracter des maladies au contact de matériaux contaminés ou des infections sanguines suite à des morsures d’insectes… Le docteur Absi el-Fouad, médecin généraliste dans un des hôpitaux d’Idleb, brosse un sombre tableau. « Les enfants sont exposés à des infections s’ils se blessent avec des bouts de verre, ou même à des maladies graves comme l’hépatite et le HIV s’ils tombent sur du matériel médical usagé », explique-t-il. Des situations qui, en l’absence de surveillance accrue, sont récurrentes. « Les enfants doivent aller à la pharmacie pour prendre une seringue antitétanique et un antibiotique lorsqu’ils se blessent aux mains à cause des aiguilles médicales, souligne Oum Ahmad. Cela coûte entre un et deux dollars. »

Propriétaire d’un centre de recyclage de cartons endommagés, Mohammad Seflo se rend régulièrement dans cette même décharge pour s’approvisionner en matériaux récupérés dans les poubelles. « Mais nous n’achetons pas aux enfants pour ne pas les inciter à travailler », assure-t-il. Un jour, plus de quinze gamins sont venus jusqu’à son usine pour lui vendre des cartons qu’ils avaient collectés. Lorsque Mohammad Seflo a refusé, leurs parents sont revenus pour tenter leur chance. « Les enfants gagnent au plus 3 dollars par jour après avoir travaillé 12 heures d’affilée. Ils travaillent pour aider leurs parents et assurer les dépenses de la famille mais, en fin de compte, l’argent qu’ils reçoivent est dépensé principalement en soins médicaux à cause de la détérioration de leur santé », poursuit-il.

Pour mémoire

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Malgré le décès de son frère et malgré les risques pour sa santé, Bachar continue de se rendre à la décharge tous les matins, avec ses cinq cousins dont le plus âgé a 17 ans. Tous subviennent aux besoins de leurs familles. « J’ai peur d’avoir une fin similaire à celle de Jamal, mais je n’ai pas d’autre choix », avoue Bachar. Ce dernier, qui souffre de difficultés respiratoires chroniques et a été blessé au dos lorsqu’un camion déversait des détritus, rêve d’ouvrir sa propre entreprise. « Je n’ai pas de capital et je ne maîtrise aucun métier à exercer », soupire-t-il. Quant à sa mère, chaque jour amène son lot d’appréhensions. « J’ai tellement peur pour lui et je crains aussi qu’il ne connaisse le même sort que son père, car il se plaint aujourd’hui de douleurs à la poitrine. Je prie Dieu tous les jours après son départ à la décharge qu’il le fasse rentrer à la maison sain et sauf. »