Magdi Masaraa, 31 ans, a intégré en 2020 le cursus pour réfugiés de Sciences Po, à Paris. Crédit : DR
Magdi Masaraa, 31 ans, a intégré en 2020 le cursus pour réfugiés de Sciences Po, à Paris. Crédit : DR

Magdi Masaraa n'a jamais été à l'école. À 31 ans, après des années d'exil, ce Soudanais a intégré un cursus professionnel spécial, dans les locaux de la prestigieuse école parisienne, Sciences Po. Pour l'étudiant qui n'avait "aucune idée de ce qu'était une soustraction" à sa première rentrée scolaire en 2020, le défi est grand. Un fossé, estime-t-il, le sépare de ses camarades.

Magdi Masaraa a été contraint de fuir le Darfour, région de l’ouest du Soudan, en 2003, à l'âge de 13 ans. Au terme de nombreuses années d'errance entre l'Afrique de l'est, l'Egypte, la Libye, l'Italie et la France, il a obtenu le statut de réfugié en 2017 et s'est installé à Paris.

Via une amie, il entend alors parler du programme "Welcome Refugees", un cursus à Sciences Po réservé aux réfugiés, pour lequel aucun pré-requis de qualification n’est demandé. L'occasion, pour celui qui n'a jamais connu les bancs de l'école primaire, de concrétiser un rêve d'enfant : faire des études dans l'espoir d'avoir, peut-être, un jour, une "carrière". Mais dans cet établissement prestigieux, le trentenaire se sent comme un étudiant de seconde zone.

"J'ai commencé ce cursus à la rentrée 2020 et ça a été très compliqué. On a des cours de droit, d'histoire, de sciences sociales, de sciences politiques, de mathématiques appliquées.

Avant d'entrer dans ce cursus, je n'avais aucune idée de ce qu'était une multiplication ou une soustraction. J'ai été obligé d'apprendre. J'ai travaillé deux fois plus que les autres étudiants car je suis la seule personne qui n'a pas de parcours académique dans le groupe.

"Quand je me compare aux autres étudiants, je suis zéro"

Il y a eu des moments chargés d'émotions pour moi. À chaque nouvelle rencontre avec un professeur, on fait des tours de table pour se présenter et tous mes camarades se présentent, ils ont fait l'école primaire, secondaire... Quand je me compare à leur parcours, je suis zéro. Moi, je ne sais pas comment me présenter. Dans ces moments là, je dis juste mon prénom, mon origine et la date de mon arrivée en France. Je ne dis rien d'autre car je n'ai rien d'autre à dire.

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Une fois, le professeur m'a demandé de développer, de dire dans quelle fac ou école j'avais fait mes études et quel type de diplôme j'avais eu. J'ai dû dire : 'Je ne suis jamais allé à l'école', ça m'a fait mal. C'était impossible pour moi alors de calmer mon émotion. Je suis allé me cacher aux toilettes pour pleurer car il n'y avait personne d'autre qui pouvait partager ce sentiment. Quand les autres me demandaient si ça allait, je disais : 'Oui, ça va'.

Je me sentais très mal, parce que je ne suis pas comme les autres étudiants, je me sens tout seul dans cet établissement. Je ne sais pas créer des relations avec les professeurs et les étudiants. Mais tout cela m'a donné une leçon : je ne dois pas me comparer aux autres.

"L'école primaire la plus proche de mon village était à trois heures de marche"

Depuis que je suis enfant, j'ai toujours eu envie d'aller à l'école. Mais l'école primaire la plus proche de mon village était à six heures de marche aller retour. Certains enfants faisaient ce trajet dès l'âge de 7 ans, quand ils pouvaient bien marcher et être autonomes, mais pas moi. Moi, j'allais à l'école coranique et j'étudiais la religion.

J'ai fait un an là-bas, j'ai appris à lire et à écrire l'arabe puis la guerre civile a éclaté.

Depuis 2003, le conflit au Darfour, qui oppose des forces pro-gouvernementales à des rebelles de minorités ethniques qui accusaient le régime d'Omar el-Béchir de marginaliser la région, a fait plus de 300 000 morts et près de 3 millions de déplacés.

La guerre, ça détruit tout, tu ne penses plus à rien, juste à te sauver toi-même. J'ai été séparé de ma famille. Enfant, la journée, je cherchais à manger. Je mangeais des fruits dans la forêt. Je ne me sentais jamais en sécurité.

Aujourd'hui, je suis heureux même si je me sens seul. Ma famille, elle, vivait avant dans le camp de réfugiés de Krinding [ce camp situé à Geneina, la capitale du Darfour-Occidental, a été réduit en cendres en janvier 2021 lors d'attaques attribuées aux janjawids, ndlr]. J'ai une petite sœur et deux petits frères que je n'ai jamais rencontrés car ils sont nés après mon départ. Ils vivent toujours tous au Darfour, dans un centre d'accueil installé... dans un établissement scolaire."

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Les sélections pour intégrer le cursus "Welcome Refugees" sont menées par l'organisme "Each One" et non par l'école Sciences Po.

Le programme n'est pas diplômant mais il débouche sur un certificat équivalent à un niveau bac +2. Un étudiant qui n'a pas obtenu le bac peut ainsi, s'il a suivi l'entièreté du programme et validé les examens, obtenir un niveau d'études bac +2. Toutefois, l'enseignement étant très généraliste, ce certificat ne permet pas de s'inscrire dans n'importe quelle licence au niveau L3.

Le cursus comprend des cours de français, des cours d'anglais et "cours de vivre en France et d'employabilité". Le site de Sciences Po indique que, pour y accéder, il faut :

-avoir le statut de réfugié, la protection subsidiaire, ou être primo-arrivant en France

-avoir au moins 18 ans

-avoir un niveau A2 minimum en français

-faire preuve d’une grande motivation et ambition pour poursuivre son parcours en France

-être disponible pendant la totalité de la période durant laquelle se déroulent les programmes.

 

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