Bernard Lavilliers: "Une piqûre dans l'épaule, c'est ça la dictature ? Que les gens aillent 3 mois dans un régime dictatorial, ils verront"
Les 24, 25 et 26 février, Bernard Lavilliers sera en concert au Cirque royal, au Forum de Liège et au Théâtre royal de Mons. Il y présentera son nouvel album Sous un soleil énorme.
- Publié le 12-02-2022 à 18h56
- Mis à jour le 12-02-2022 à 19h45
Muselées depuis bientôt deux ans, les salles de concert commencent à reprendre du service chez nous. Enfin ! Et l'un des premiers à refouler la scène s'appelle Bernard Lavilliers. "Nous faisons une date en banlieue parisienne, là où nous répétons, mais la première vraie date de tournée, c'est Bruxelles. Ça va faire bizarre parce que je suis rarement resté aussi longtemps sans réunir un groupe pour monter sur scène. D'habitude, j'avais un projet qui n'avait rien à voir avec un album quand je n'étais pas en concert." L'éternel baroudeur sera au Cirque royal, "la salle que je préfère", insiste-t-il, le 18 février et le lendemain au Forum de Liège, avant de se produire aux Solidarités.
Il y présentera les titres de son 22e album, Sous un soleil énorme, paru en novembre dernier. Un disque varié dans lequel il est question du climat mais aussi de la politique. "Rassurez-vous, je ne parlerai pas que de politique sur scène, dit-il. Ce sera un bon concert, avec pas mal d'humour et des musiciens hors pair, dont deux Belges. Un Liégeois et un Bruxellois." Appréhende-t-il ce retour scénique après la longue interruption provoquée par la pandémie ? "Je connais le job mais avec la pandémie, ça a changé. On a l'impression, désormais, de chanter devant un congrès de chirurgiens-dentistes puisque tout le public sera masqué. Ça ne m'est jamais arrivé d'être devant 1800 personnes avec des masques blancs. Pourtant, les concerts dans des conditions épouvantables, je connais : jouer sous la pluie, dormir dans mon camion, etc."
Comment l’éternel globe-trotter que vous êtes a vécu les confinements ?
"Au départ, j’ai pris cette garde à vue comme une blague. Ils ont d’abord annoncé 15 jours de confinement, puis trois semaines. Mais en fait, ils n’en savaient rien, ils ne connaissaient pas plus le virus que quiconque. C’est là que les théories fumeuses ont commencé à sortir, comme quoi les Chinois voulaient éliminer une partie de la population mondiale, que ce serait plus pratique que la pollution, etc. (rire). Il y a eu ces lois complètement bidon pour pouvoir circuler (les fameuses autorisations imposées en France, NdlR) alors qu’on pouvait faire des faux papiers pour aller à l’autre bout du monde. Certains pays européens ont aussi tout misé sur la vaccination mais ça n’a pas non plus forcément marché. C’était surtout de la vocifération de petits marquis plutôt que des choses objectives."
Qu’avez-vous fait pendant tout ce temps ?
"J’ai commencé à écouter des vieux vinyles et à relire des livres. Début avril dernier, j’ai travaillé sur le nouvel album. J’avais déjà 5 à 6 chansons écrites en Argentine. Je suis rentré de là-bas juste avant que le Covid n’arrive. J’ai fait des Ausweis comme on le disait à l’époque en Allemagne pour faire venir des musiciens chez moi parce qu’on ne me met pas aussi facilement en taule. J’avais contacté Éric Cantona, Hervé, Izia (Higelin) et Gaëtan Roussel pour mettre en boîte la chanson de Bob Dylan ‘Qui a tué Davy Moore ?’ que j’enregistrais dans un studio à Saint-Rémy-de-Provence. Le couvre-feu était à 21 heures mais nous avions tous des Ausweis. Nous nous sommes retrouvés pendant deux jours, ça m’a fait du bien de voir du monde. À la fin de l’été, j’ai été dans le studio de Romain Humeau (du groupe Eiffel, NdlR), à Bordeaux, pour faire des arrangements et enregistrer des voix aussi. Après, on nous a dit que nous devions rentrer à la maison. Je ne revivrais pas ça volontiers. Résoudre des questions musicales par WeTransfer, ça prend beaucoup de temps, alors qu’en ayant les gens face à moi, ça va très vite. Maintenant qu’on remet les pieds sur scène, on va conjurer le sort."
Ce nouvel album est plus intime sur le plan musical, ?
"Il y a des choses qui le sont mais ça n’a rien à voir avec le Covid. Pour ‘Le cœur du monde’, le titre qui ouvre le disque, si j’avais fait un arrangement plus envahissant et chanté fort, c’eut été trop tragique. Dedans, je me pose des questions sur la démocratie. Peut-être n’est-ce plus une idée à la mode puisque dans de nombreux pays, ils élisent des tyrans sous la couverture démocratique. Bientôt, ceux-ci prendront le pouvoir avec l’armée."
Que pensez-vous de ceux qui dénoncent l’atteinte aux droits et aux libertés en parlant des mesures sanitaires prises pour lutter contre le Covid et crient à la dictature ?
"Une petite piqûre dans l’épaule (la vaccination, NdlR), c’est une dictature ? Ça va loin. J’invite les gens qui, en France, en Belgique ou au Canada, crient à la dictature d’aller pendant 3 ou 4 mois dans des pays où il y en a vraiment une. Quand ils reviendront, ils verront la différence."
Vous avez séjourné dans plusieurs pays aux régimes dictatoriaux…
"Je suis resté au Brésil pendant un an et je peux vous dire que ce n’était pas comme ici en France ou en Belgique. J’ai aussi été au Nicaragua où le président était élu ‘démocratiquement’avec 99 pourcent des voix… J’y ai vécu avec la police secrète et tout le bazar. J’étais aussi souvent en Russie à partir des années 70… Je ne pense pas non plus que les braves gens qui demandent ‘un bon général pour une bonne dictature afin de nettoyer tout ça’se rendent compte de ce qu’ils disent. Sous dictature, si la vaccination est imposée, comme en Chine, personne ne moufte. Les personnes qui admirent ces régimes espèrent être du bon côté du bâton. Il y a une remontée de l’extrême droite qui se sert de n’importe quel élément pour provoquer la crise des élites. Éric Zemmour, par exemple, est apparu grâce au Covid…"
Zemmour, une créature engendrée par le Covid ?
"Il a pris son importance à ce moment-là. Quant aux milliardaires, qui sont de plus en plus d’extrême droite, ils en profitent pour acheter tous les médias et faire croire à la population, qui n’a pas d’analyse politique, soyons clairs, que la faute incombe aux étrangers."
Que pensez-vous de la campagne présidentielle en cours en France ?
"C’est au ras des pâquerettes. Même l’intellectuel de service ne plane plus, il rampe. Il envoie des flèches de curare. Ce sont des règlements de compte de très bas niveau."
Cette situation vous inquiète ?
"C’est déjà arrivé par le passé. Les gens qui disent que c’était mieux avant n’ont pas de mémoire. J’ai 75 ans, donc je suis un peu au courant. Mais rassurez-vous, pendant mon concert, je ne vais pas parler tout le temps de politique. Les gens sont déjà assez emmerdés comme ça."
Vous allez profiter un maximum des scènes après en avoir été privé si longtemps ?
"Je vais donner 100 à 110 concerts et je m’arrêterai à la fin du mois de décembre. Des tournées comme ça, c’est épuisant. Je recase des dates quand les salles sont libres et entre celles-ci, je dois me reposer. À cause du Covid, il y a tellement de tournées qui ont été annulées ou reportées que les salles disponibles pour des concerts vont être archi bourrées jusqu’en 2024. Parce que les concerts pour lesquels des places ont été vendues et non pas été remboursées vont se faire. Il y a un embouteillage colossal."
Ça va vous laisser un peu de temps pour voyager à nouveau puisque vous aimez tant ça ?
"Pas tout de suite, à cause de mes performances à moto sur les circuits. Je suis trop tombé et je dois me faire placer une prothèse à l’épaule gauche. Quand on fait des sports violents comme j’en ai pratiqué, boxe, parachutisme, moto, et que l’on prend de l’âge, les articulations ont morflé. Pendant une bonne partie du confinement début 2021, j’étais aussi à l’hôpital à Marseille. Je me suis fait réparer le cœur. Je suis sorti avec la valve aortique toute neuve. Je fais énormément d’efforts pour faire travailler ce cœur qui est tout de même ancien. Je fais gaffe mais je peux donner une centaine de concerts. J’ai vraiment envie de monter sur scène, ne serait-ce que pour chanter les nouvelles chansons où de très anciennes que je n’ai plus faites depuis longtemps comme ‘La grande marée’."
Moto, boxe, parachutisme… Avec vous, le sport n’est jamais loin. La preuve avec la présence d’Éric Cantona sur un de vos titres.
"J’ai commencé le sport par le foot. J’ai joué avec les minimes de l’A.S. Saint-Étienne. À l’entraînement, on croisait des mecs incroyables. Parce qu’à un moment, Les Verts, c’était une grande équipe, même si actuellement, ce n’est pas terrible. Puis, j’ai été au Boxing Club de la rue du Soleil, à côté du quartier de Terrenoire, toujours à Saint-Étienne. J’étais un bagarreur et ça m’a calmé. Avec la boxe, si on fait les entraînements, on doit être très cadré. J’ai longtemps pratiqué ce sport. J’ai même fait des combats professionnels. Et le fait d’avoir travaillé très jeune à l’usine où bossait mon père, parce que j’allais très sérieusement mal tourner, m’a fait retomber sur mes pieds."
En concert le 24 février au Cirque Royal, le 25 au Forum de Liège et le 26 au Théâtre royal de Mons. Infos et rés. : www.ticketmaster.be