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Culture

Gérard Depardieu au JDD : « Je pense parfois à rendre mon passeport français »

Dans « Maigret » et « Robuste », Gérard Depardieu incarne avec talent des hommes qui lui ressemblent, à moins que ce ne soit l’inverse. L'acteur se confie sur les auteurs qui l’inspirent, le cinéma et la politique qui l’ennuient, ses envies de départ en mer.

Stéphane Joby etBarbara Théate , Mis à jour le
Gérard Depardieu chez lui à Paris, mardi.
Gérard Depardieu chez lui à Paris, mardi. © Corentin Fohlen/Divergence pour le JDD

C’est qui ? Poussez ! », hurle la voix rêche sortie de l’interphone. Gérard Depardieu reçoit chez lui, dans l’immense pièce remplie d’œuvres d’art et de livres qui lui sert de bureau, de cuisine et de salon. Cette année, on le verra beaucoup à l’écran, avec pas moins de sept films à l’affiche. Il y a des petits rôles acceptés par amitié (Adieu Paris, d’Édouard Baer, toujours en salles) ou par facilité (Maison de retraite, de Thomas Gilou, sorti mercredi). Et il y a des films pour lui et portés par lui, comme Maigret, adapté de ­Maigret et la jeune morte, de Simenon, par Patrice Leconte, qui le montre en commissaire presque sentimental. Ou Robuste, de Constance Meyer, qui capture la fragilité plus rare encore d’un acteur star désabusé.

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Le comédien de 73 ans dit ne vouloir parler que de cinéma (et ne souhaite pas répondre à la question posée sur la mise en examen pour « viols » et « agressions sexuelles » qui le vise, et qu’il conteste). Mais il déborde, de son plein gré le plus souvent, sur les chemins de traverse de son existence. 

On sait votre amour pour la littérature. Quelle place tient Simenon dans votre panthéon personnel ?
C’est un grand homme qui révèle beaucoup de la conscience humaine. Je me souviens de ses dernières grandes interviews, de ce qu’il disait de la disparition de sa fille. Son œuvre est magnifique : il a écrit 75 Maigret et tellement d’autres livres avec une puissance d’écriture qui lui permettait de boucler un roman en neuf jours ! J’aime beaucoup sa période américaine, avec Le Fond de la bouteille [1949]. Mais la référence, pour moi, c’est Les Anneaux de Bicêtre [1963] : l’histoire d’un homme puissant victime d’un AVC et qui, s’il ne peut plus parler, entend les confidences de ses amis autour de lui à l’hôpital. C’est tellement beau ! Simenon est un maître dans l’art du détail et ses histoires ne sont pas négatives : chez lui, il n’y a jamais de vraies ordures.

Quel regard portez-vous sur le personnage de Maigret, souvent joué au cinéma et à la télévision ?
C’est un policier qui ne mène pas vraiment d’enquête, qui ne colle pas les suspects, il se laisse porter. J’aime la façon dont Patrice Leconte, qui connaît son sujet, en fait un bloc humain et monolithique qui ne prépare rien mais écoute tout. Je trouve que Jean Gabin le jouait un peu trop inspecteur, mais Harry Baur et Charles Laughton l’ont très bien interprété, de même que Bruno Cremer dans la série qui passe encore régulièrement l’après-midi à la télévision. J’ai donné la réplique au Maigret de Jean Richard, dans un épisode tourné à Hyères [Mon ami Maigret, 1973] : j’incarnais un peintre suspecté de meurtre. C’était à mes débuts, j’étais encore un jeune comédien un peu conneau. Je ne dis pas que je suis moins con aujourd’hui, mais je suis moins acteur.

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Les problèmes d’acteur ne m’intéressent pas, j’ai d’autres doutes…

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Ça veut dire quoi ?
Ça veut dire que j’ai une autre vie, qui ne passe pas qu’à travers le prisme de l’acteur qui s’interroge sur lui-même. Les problèmes d’acteur ne m’intéressent pas, j’ai d’autres doutes…

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Dans le film, on découvre un Maigret qui a perdu sa propre fille. Ce deuil d’un enfant vous a-t‑il rapproché du personnage ?
Je ne connais pas le deuil : mon fils Guillaume est en moi, comme le sont Jean Carmet, Maurice Pialat, François Truffaut ou ­Barbara. Si l’absence nous pèse, c’est à cause du vide qu’elle laisse. Je veille à le remplir en me disant que Guillaume aurait aimé telle ou telle chose.

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La mort ne m’angoisse pas [...] Ce qui est difficile, c’est ce qui se passe avant

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La mort, vous y pensez ?
Non, sauf parfois quand je m’endors et que je me dis que je ne me réveillerai peut-être pas le lendemain. Mais ce n’est pas plus mal de mourir dans son sommeil, comme Michel Galabru. La mort ne m’angoisse pas, la vie se termine toujours à l’horizontale. Ce qui est difficile, c’est ce qui se passe avant : la souffrance, l’agonie, l’impuissance de la médecine. Avec tout ce qui m’est arrivé, les accidents de la route et les comas, c’est comme si j’étais mort plein de fois. Même certaines cuites que j’ai prises m’ont fait mourir ! Voilà pourquoi j’ai arrêté.

Revenons à Simenon. On vous verra aussi en octobre dans Les Volets verts, un de vos livres préférés, paraît-il.
Oui, c’est très beau. J’avais déjà le projet de le monter avec Maurice Pialat. Le film de Jean Becker se rapproche beaucoup du roman de Simenon, mais Michèle Halberstadt [productrice et distributrice] et Jean-Loup Dabadie [qui a signé le scénario avant son décès en mai 2020] l’ont adapté à l’époque et on a remanié le rapport amoureux entre mon personnage et cette femme qu’il aimait, jouée par Fanny [Ardant].

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Souvent, je dis que je ne peux pas [accepter un projet], sauf s’il est possible de ne tourner que deux ou trois jours

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Ce personnage d’acteur célèbre vous ressemble, tout comme celui de Robuste, de Constance Meyer, en salles le 2 mars…
Comme Simenon l’écrit dans Les Volets verts : « Il peut ressembler à un acteur que vous connaissez, mais ce n’est pas celui-là. » Quant à Constance, elle a un sens aigu de l’observation. Elle venait souvent ici quand elle était mon assistante pour La Bête dans la jungle, de Henry James, que je jouais au Théâtre de la Madeleine en 2004 avec Fanny. C’est elle qui me parlait dans l’oreillette. On me l’a beaucoup reproché d’ailleurs, mais cet exercice n’est pas si facile… Constance a vu mon attachement à ma liberté. Elle m’a touché car elle a une vraie patte de cinéaste en ayant fait ses armes toute seule. Et ce n’est pas facile en ces temps où on trouve tout et n’importe quoi sur les plateformes.

Pour quelqu’un qui répète en avoir marre du cinéma, vous avez plusieurs films à l’affiche en quelques mois…
Il faut bien vivre… Cet embouteillage est lié aux sorties décalées à cause du Covid . Je n’accepte plus que des projets intéressants portés par des gens enthousiasmants comme Patrice Leconte et Constance Meyer. Souvent, je dis que je ne peux pas, sauf s’il est possible de ne tourner que deux ou trois jours. [Il rit.] Quand les réalisateurs se débrouillent, je me retrouve coincé ! Ce n’est pas ce qui s’est passé avec Maison de retraite [de Thomas Gilou, avec Kev Adams, sorti mercredi] : ils ont pu monter le film grâce à moi…

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J’ai l’impression qu’il n’y a plus de producteurs, simplement des ­distributeurs et des grands studios

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Comment trouvez-vous le cinéma actuel ?
J’ai l’impression qu’il n’y a plus de producteurs, simplement des ­distributeurs et des grands studios qui imposent des quotas : on ne voit plus que des polars et des comédies qui suivent le même rythme et m’ennuient profondément. Mais j’aime toujours le cinématographe. J’ai revu récemment La Prise du pouvoir par Louis XIV [1966] de Roberto Rossellini. Et l’avantage des plateformes, c’est de pouvoir voir des films de pays qu’on ne connaît pas.

Vous avez joué nombre de grands auteurs : Pagnol, Rostand, Aymé, Balzac… Il y a un plaisir particulier à dire leurs mots ?
J’ai lu tout Balzac quand j’étais à New York pour préparer Green Card, de Peter Weir [1990]. Je suis fasciné par la comédie humaine qu’il décrit, comme le monde de la presse dans Illusions perdues, adapté au cinéma par Xavier Giannoli [où lui-même incarne l’éditeur doucereux Dauriat]. On se dit d’ailleurs que les choses n’ont pas tellement changé…

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Je n’ai pas foi dans les journalistes qui sont des flics. Je n’aime pas les fouille-merde

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Vous voulez dire que les journalistes sont achetés ?
On ne les paie pas forcément, mais il y a d’autres avantages que l’argent… Je n’ai pas foi dans les journalistes qui sont des flics. Je n’aime pas les fouille-merde. Je n’en vois plus de grands dans la veine d’un Joseph Kessel. Il y en a peut-être, mais je ne les connais pas.

Vous continuez à chanter Barbara, à Clermont-Ferrand le 2 mars puis au Théâtre des Champs-Élysées en avril. Vous attendiez-vous à un tel succès ?
Je n’y suis pour rien, ce sont ses chansons, ses mots. Je ne me lasse pas de les dire : « Je ne suis pas une héroïne, je ne vis pas dans les tentures noires, je suis une femme qui chante. » Toute l’âme de Barbara est là. Quand j’entre en scène avec le pianiste Gérard Daguerre, avec qui j’ai mis au point des gouttes de notes, ça résonne. Je ne sais même pas comment ça vient, la voix. Je ne suis pas chanteur. C’est pourquoi j’ai refusé les propositions de producteurs de dire des textes de Serge Reggiani : je l’ai bien connu aussi, mais moins que Barbara, avec qui j’ai beaucoup vécu quand on a fait Lily Passion [1986].

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J’aime beaucoup Valérie Pécresse car l’Île-de-France est une Région difficile, et elle s’est montrée bonne gestionnaire

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Que vous évoque la campagne électorale ?
J’aime beaucoup Valérie Pécresse car l’Île-de-France est une Région difficile, et elle s’est montrée bonne gestionnaire. Mais tout cela ne m’intéresse pas, je pense parfois à rendre mon passeport français. J’ai plein de nationalités et de vies qui m’attendent. Mon pays, je l’ai dans la tête, je porte sa beauté en moi mais je veux être libre de partir. J’ai envie de naviguer sur la Méditerranée : Venise, les côtes de l’Albanie, la Grèce, puis la Turquie, revenir par la Sicile, Alger… Je suis d’ailleurs en train de faire transformer en Turquie un ancien thonier algérien que j’ai racheté à un ami pêcheur et sur lequel j’envisage de passer six ou sept mois de l’année. Pas un de ces énormes bateaux de riches, juste un petit appartement flottant avec un vrai marin et sa femme.

De tous vos passeports, quel est votre préféré ?
Le mien !

Maigret **

De Patrice Leconte, avec Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier. 1h28. Sortie mercredi.

Alors qu’il songe à la retraite, le commissaire Maigret doit enquêter sur le meurtre d’une jeune fille, retrouvée morte en robe de soirée. Rien ne lui permettant de l’identifier, il tente de reconstituer le puzzle de la vie d’une victime dont personne ne semble rien avoir à faire… Gérard Depardieu tire parti de son imposante corpulence pour donner une autre dimension à l’inusable homme à la pipe (qui tente d’arrêter) : avare de mots, lassé par le métier, il va à son rythme alourdi et fatigué sur les traces d’une inconnue qui le renvoie à un drame personnel. Dans une mise en scène contemplative qui tente de saisir les non-dits entre les silences, le comédien, tout en intériorité et en sensibilité rentrée, sonde les individus plutôt que les indices au fil d’une intrigue d’un autre temps. B.T.

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