Rien ne résiste à l’appel des NFT (ou « jetons non fongible », en français), ces titres de propriété numérique renvoyant à des images enregistrées dans la blockchain. Après le monde de l’art, du luxe et du sport, c’est au tour des musées de s’engouffrer dans la brèche. Le British Museum, à Londres, met ainsi en vente jusqu’au 4 mars vingt NFT représentant des aquarelles du peintre britannique William Turner. Des reproductions, comme Internet en regorge, mais qui jouent sur l’effet de rareté. Les éditions qualifiées de « super rares » par le musée sont mises à prix à 4 999 euros. Quant aux moins « rares », elles ont toutes trouvé preneur en moins d’un mois au prix unitaire de 999 euros.
Le musée londonien n’en est pas à son coup d’essai. En septembre déjà, il avait vendu deux cents NFT de Hokusai pour un montant « à sept chiffres », précise Jean-Sébastien Beaucamps, fondateur de LaCollection, start-up spécialisée dans la vente de cette technologie et partenaire de l’opération. Les retombées ne compensent pas la chute des recettes de billetterie. Mais elles ne sont pas négligeables pour un musée aux abois, dont les revenus ont fondu de 97 % entre 2020 et mars 2021. « Au-delà du chèque, l’opération a donné au British Museum accès à toute une génération de nouveaux collectionneurs qui pourraient devenir autant de donateurs », fait valoir Nicolas Reynaud, associé au sein de LaCollection.
« Le musée se déprécie en voulant nous persuader qu’un JPEG reproductible à l’infini mérite de s’échanger comme des pièces à tirage limité », estime l’historien d’art Bendor Grosvenor
C’est en janvier 2021, alors que les vagues de Covid-19 se succèdent, que M. Beaucamps a l’idée de lancer LaCollection. « Je voyais que des musées américains en étaient réduits à vendre des œuvres pour payer leurs salariés, et dans le même temps, le marché de l’art semblait plus renforcé que jamais », rembobine le jeune entrepreneur, qui propose alors à une centaine de musées de s’engouffrer dans le phénomène NFT.
Au même moment, d’autres sociétés flairent le potentiel. En mai 2021, la galerie des Offices, à Florence, s’associe à l’entreprise italienne Cinello pour reproduire en NFT une peinture de Michel-Ange, pour laquelle elle récolte 140 000 euros. L’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, lui emboîte le pas en lançant durant l’été 2021 cinq NFT, reproduisant des tableaux de Léonard de Vinci, de Van Gogh et de Monet, qui rapportent plus de 440 000 dollars (près de 388 000 euros).
« Incertitude juridique »
Le Belvédère, à Vienne, vient aussi de prendre le pli. A l’occasion de la Saint-Valentin, le musée autrichien a mis en vente 10 000 NFT du célèbre Baiser, de Klimt, à 1 850 euros l’unité. Vendues comme des « lithographies numériques », ces reproductions n’offrent pas plus d’intérêt que de vulgaires posters, aux yeux des historiens d’art. « Le musée se déprécie en voulant nous persuader qu’un JPEG reproductible à l’infini mérite de s’échanger comme des pièces à tirage limité », grince ainsi l’historien d’art Bendor Grosvenor dans l’Art Newspaper.
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