Parlement européen

L’extrême droite indifférente au sort des travailleurs précaires et aux abus des multinationales

Parlement européen

par Emma Bougerol, Ivan du Roy, Rachel Knaebel

Que votent les députés d’extrême-droite au Parlement européen soutenant Marine Le Pen ou ralliant Eric Zemmour ? La protection des travailleurs ubérisés ou la lutte contre les abus des multinationales ne font pas partie de leurs préoccupations.

Que votent les députés français au Parlement européen ? Les débats au sein de l’hémicycle strasbourgeois sont beaucoup moins médiatisés que ceux qui agitent le Palais Bourbon. Ils sont pourtant riches d’enseignement sur les positions prises par les partis qui y siègent. Surtout en campagne présidentielle, lorsqu’il s’agit de mesurer le degré de sincérité derrière les propositions des programmes et les grandes tirades des meetings.

79 députés français siègent au Parlement européen. Les deux groupes les plus importants sont celui d’En marche, soutien d’Emmanuel Macron, et celui du Rassemblement national, soutien de Marine Le Pen, avec respectivement 29 élus (dont deux élus qui sont, depuis, passés chez Éric Zemmour). Viennent ensuite les écologistes, qui soutiennent Yannick Jadot (13 députés), LR avec Valérie Pécresse (8 députés), puis la France insoumise (Jean-Luc Mélenchon, 6 députés) et le groupe socialiste (6 députés), partagé pour l’instant entre Anne Hidalgo et Christiane Taubira. Nous nous sommes intéressés à plusieurs votes sur des enjeux que basta! juge essentiels, en matière sociale, économique, écologique et démocratique (lire également notre analyse ici).

Les parlementaires européens ont un rôle de codécision pour voter des législations comme la Politique agricole commune (PAC), qui dépendent du budget de l’Union européenne. Le plus souvent, ils se prononcent sur des résolutions et des rapports. Leurs votes participent à définir les priorités politiques de l’Union européenne, influencent de futures directives, ou appuient la défense des droits et libertés au sein des pays membres.

Protection des travailleurs ubérisés : LREM en contradiction avec Macron

Protection des travailleurs ubérisés
Une avancée majeure pour la défense des droits des travailleurs des plateformes de livraison : en septembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution pour promouvoir la présomption de salariat les concernant. L’extrême droite s’est abstenue...

C’est une avancée majeure pour la défense des droits des travailleurs des plateformes de livraison. En septembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution pour promouvoir la présomption de salariat les concernant. Ainsi, un livreur Deliveroo ou un chauffeur Uber devra bénéficier des mêmes protections sociales que n’importe quel salarié, et ce, dès son embauche. « C’est une victoire, confiait à basta! la députée européenne Leïla Chaibi (LFI), l’une des chevilles ouvrières de cette résolution, en octobre dernier. Mais une étape seulement dans le rapport de force avec les plateformes. » Pour contrer l’action du Parlement européen, les grandes plateformes comme Uber Eats, Deliveroo ou Glovo, se sont coordonnées au sein d’un même lobby, Delivery Platforms Europe. La Commission européenne n’a toutefois pas cédé. Bruxelles a proposé en décembre une directive qui permettrait de requalifier près de 4 millions de personnes en salariées.

De LFI aux Républicains, la protection des travailleurs ubérisés fait consensus. Ce n’est pas le cas des députés du Rassemblement national, qui ont préféré s’abstenir. Le texte, porté par l’élue LREM Sylvie Brunet, a été en revanche approuvé par l’intégralité des députés européens de la majorité présidentielle, ainsi que par le groupe libéral dont ils font partie. Les députés LREM ont ainsi voté en contradiction avec la position du gouvernement, qui défend la pérennisation d’un statut d’indépendant pour les travailleurs ubérisés, avec bien moins de protections sociales.

Le RN vote pour l’impunité des multinationales

En 2017, la France a adopté une loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Elle donne la possibilité de saisir la justice française lorsqu’une entreprise multinationale basée sur notre territoire est mise en cause pour des atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, commises en France comme à l’étranger. Cela vaut même si ces atteintes sont commises par le biais de ses filiales et ses sous-traitants.

L’Union européenne discute depuis 2019 d’adopter une directive similaire qui vaudrait pour tous les pays de l’UE. Le 10 mars 2021, le Parlement européen approuve une position en ce sens : un devoir de vigilance européen permettrait de tenir responsables les multinationales en cas de violations des droits humains – le recours au travail forcé par exemple – ou de dommages environnementaux perpétrés par leurs sous-traitants, partout dans le monde. La proposition vise à obliger les entreprises à identifier et corriger les conséquences les plus néfastes de leurs activités, tout au long de leur chaîne de sous-traitance. C’est un texte « d’intérêt général », saluent alors des associations de défense des droits, dont Amnesty, Oxfam et Sherpa.

Devoir de vigilance face aux multinationales
Le 10 mars 2021, le Parlement européen approuve le principe d’un devoir de vigilance européen : il permettra de tenir responsables les multinationales en cas de violations des droits humains ou de dommages environnementaux. L’extrême droite s’y oppose...

Le texte est adopté à une large majorité. Parmi les eurodéputés français, les groupes France insoumise, Verts et socialistes votent positivement ; les groupes macronistes et LR également [1]. Une fois de plus, seuls les eurodéputés d’extrême droite s’y opposent. La Commission européenne doit désormais respecter le souhait des eurodéputés et proposer une directive, dont la concrétisation est repoussée depuis plus de six mois.

Sur la « responsabilité des entreprises dans les dommages causés à l’environnement », le clivage est le même. Le 20 mai 2021, les députés européens adoptent une résolution pour muscler une directive sur la responsabilité environnementale et la criminalité environnementale des entreprises. Ils demandent d’étudier la reconnaissance de l’écocide par le droit européen, et déplorent les lacunes de la lutte contre les crimes environnementaux (avec un nombre de condamnations très faible). Parmi les 79 élus français, l’extrême droite est la seule à s’y opposer. Tous les autres groupes politiques français votent favorablement.

Levée des brevets sur les vaccins : Le RN et LR contre, LREM évolue

Le 28 avril 2021, le groupe de la Gauche au Parlement européen – qui rassemble, outre LFI, Die Linke (Allemagne), Podemos (Espagne), Syriza (Grèce), Bloc de gauche ( Portugal)... – présente un amendement demandant la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid.

Les élus écologistes approuvent l’initiative, ainsi qu’une partie du groupe socialiste (Place publique et Nouvelle Donne). Les trois élus membre PS s’y opposent – ils se défendront en expliquant que c’était un amendement proposé au sein d’un texte concernant un autre sujet [2]. Les élus LR, LREM et RN votent également contre.

Levée des brevets sur les vaccins
Le groupe de la Gauche au Parlement européen a bataillé pour demander la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid. L’initiative, soutenue par les écologistes, obtient finalement le soutien des macronistes. Droite et extrême droite s’y opposent.

Un nouveau vote sur le sujet a lieu 19 mai 2021, cette fois dans le cadre du texte « Progresser plus vite et lutter contre les inégalités afin que le Sida cesse d’être une menace pour la santé publique d’ici à 2030 ». Le groupe de gauche réintroduit un amendement sur la levée temporaire des brevets « pour les vaccins, les équipements et les traitements contre la Covid-19, et demande instamment aux entreprises pharmaceutiques de partager leurs connaissances et leurs données ». L’amendement est adopté, mais du côté français, les élus RN et LR s’y opposent. La majorité des députés LREM s’abstiennent.

Le 9 juin 2021, nouveau vote, à l’occasion d’une résolution consacrée entièrement à la question, initiée par les Verts et le groupe des Socialistes et démocrates. La majorité du Parlement confirme son soutien à la levée temporaire des brevets, malgré l’opposition de la Commission européenne, et l’hostilité des élus LR et RN. Cette fois, les députés du groupe LREM basculent et approuvent le texte. La Commission européenne bloque toujours cette résolution.

Accord de libre-échange : LREM favorable, peu importe les conséquences sur le climat

En février 2020, le Parlement adopte un nouvel accord de commerce et d’investissements, entre l’UE et le Vietnam. En amont du vote, des dizaines d’organisations de la société civile appellent les parlementaires européens à ne pas ratifier le traité de libre-échange. « Peut-on encore ratifier des accords de commerce qui concourent à approfondir la mondialisation des échanges et l’aggravation des émissions de gaz à effet de serre et la crise écologique ? », interrogent ces organisations (voir notre dossier).

Les élus Verts, LFI et socialistes suivent l’avis de la société civile et s’opposent au traité commercial. Celui-ci sera cependant approuvé par une majorité du parlement, dont les élus français LR et LREM (sauf cinq). « Je préfère voter pour cet accord, car il fait bouger les lignes au Vietnam, tout en reconnaissant qu’il est encore loin d’être satisfaisant », se justifie l’élu LREM (et ancien Vert) Pascal Canfin [3]. Les parlementaires du RN votent contre, à l’exception de Thierry Mariani. Déjà, lors de la précédente législature européenne (2014-2019), alors que Marine Le Pen cherchaient déjà à se poser en défenseuse des travailleurs et des protections sociales, les eurodéputés frontistes montraient un tout autre visage : ils se désintéressaient des accords de libre-échange, refusaient de lutter contre les délocalisations, soutenaient le « secret des affaires » qui protège les multinationales, et s’opposaient à l’égalité femmes-hommes au travail.

Emma Bougerol, Ivan du Roy, Rachel Knaebel

Infographies : Christophe Andrieu

Photo : CC-BY-4.0 © European Union 2019 via flickr.