L'étrange histoire des 25 œuvres retrouvées de Jean-Michel Basquiat

En Floride, le Orlando Museum of Art a récemment fait l'actualité en exposant 25 œuvres disparues de Jean-Michel Basquiat. Des experts défendent l'idée qu'il pourrait s'agir de contrefaçons et ne manquent pas d'arguments pour le prouver.
L'trange histoire des 25 œuvres retrouves de JeanMichel Basquiat
Rose Hartman/Getty Images

L'opportunité était sans doute trop belle pour être vraie. En 2012, un scénariste du nom de Thad Mumford, connu pour son travail sur la série M*A*S*H, met aux enchères l'intérieur de son entrepôt pour rembourser ses factures impayées. Situé à Los Angeles, le local abrite 25 œuvres méconnues du peintre Jean-Michel Basquiat. L'artiste américain les aurait réalisées en 1982, six ans avant sa disparition tragique causée par une overdose d'héroïne et de cocaïne. Mumford les avait acquises pour la somme de 5000 dollars à l'époque, au moment où le pionnier de l'underground finançait son train de vie à coups de tableaux. « C'était la façon dont il choisissait d'être payé, en liquide, en troc, avec des vêtements, ou en disant "Paye un voyage à Paris à ma copine" », raconte Larry Gagosian, l'un des anciens voisins de Jean-Michel Basquiat, dans les colonnes du New York Times.

Contraint de se séparer de ces œuvres, Thad Mumford les écoule à William Force, un chasseur de trésors du Massachusetts habitué à sillonner les vide geniers à la recherche de joyaux disparus, et à son soutien financier Lee Mangin, contre 15 000 dollars. Une aubaine quand on sait qu'en 2017, un seul tableau du peintre avait été acquis pour 110 millions de dollars par un homme d'affaires japonais lors d'une vente aux enchères à New York. Approximativement ce que vaudrait aujourd'hui la collection révélée par William Force et Lee Mangin. Le Orlando Museum of Art a récemment fait la Une des médias américains en dévoilant ces 25 peintures au travers d'une exposition intitulée « Heroes and Monsters ». « Les 25 œuvres ont été créées en 1982 alors que l'artiste vivait temporairement à Los Angeles, en Californie. Cette période est considérée par beaucoup comme la meilleure de la courte carrière de Basquiat », se vante la galerie américaine sur son site Internet.

Voilà la belle histoire qui se raconte depuis des années : le récit de deux hommes tombés au bon endroit au bon moment. Mais dernièrement, un doute est venu s'immiscer, qui menace de gâcher ce doux story telling. Si l'exposition du Orlando Museum of Art fait autant parler d'elle ces jours-ci, c'est parce que l'authenticité des œuvres qui y sont exposées est remise en cause. Certains experts estiment que les 25 peintures supposées de Jean-Michel Basquiat seraient en réalité des contrefaçons, dont certaines auraient été réalisées bien après la mort du génie. Et les preuves pour défendre cet argumentaire ne manquent pas, mettant le monde de l'art dans un embarras certain.

Colis piégé

Parmi les plus sceptique, on trouve Larry Gagosian. Il estime que l'aparition soudaine de ces œuvres est « hautement improbable » puisqu'il travaillait en étroite collaboration avec l'artiste à cette période et qu'il n'a jamais eu connaissance de l'existence de ces travaux. Interrogé par le New York Times, son ancien assistant, John Seed, affirme également qu'il ne connaissait pas ces œuvres. Les spécialistes sont nombreux à désormais questionner l'authenticité de cette collection, se basant sur des éléments qui, il faut bien l'admettre, semblent implacables.

Premier grief : la matière sur laquelle certaines peintures ont pu être réalisées. L'une des œuvres exposées, Untitled (Self-Portrait or Crown Face II), a été produite sur le carton issu de boîtes d'expédition de l'entreprise FedEx. Problème : le modèle utilisé n'a pas été commercialisé avant 1994, soit huit ans après la disparition de Jean-Michel Basquiat. « La police d'écriture Univers 67 Bold Condensed y est employée et ils ne l'utilisaient pas à cette époque », affirme un ancien employé de l'agence Landor Associates au New York Times. D'autres spécialistes de l'artiste pensent que les 25 œuvres exposées ne répondent pas à certains codes qu'on peut retrouver dans ses peintures authentifiées. « La façon dont Jean-Michel Basquiat place des éléments dans la composition a une logique interne, qui fait ici défaut », analyse l'un d'entre eux.

Flou artistique

Comme tout directeur d'une galerie d'art dont le professionnalisme se verrait remis en cause par des spécialistes de son domaine, Aaron De Groft a choisi de bomber le torse et d'affronter le problème, quitte à en fair une affaire personnelle. « Ma réputation est aussi en jeu et je n'ai absolument aucun doute sur le fait que ce sont bien des Basquiat », a-t-il fermement répondu dans une interview. Pour cela, il s'est entouré de rapports et compte-rendus commissionnés par les propriétaires des œuvres. En 2017, le graphologue James Blanco a identifié les signatures présentes sur celles-ci comme étant bien celles de Basquiat. La professeure d'art Jordana Moore et le conservateur Diego Cortez ont appuyé les arguments d'Aaron De Groft. Le directeur se base aussi sur un poème écrit à l'époque par Thad Mumford, dans lequel il évoquait sa rencontre avec Basquiat. « Le poème est une sorte de reçu. Il se réfère aux œuvres, aux inscriptions sur les œuvres et à l'époque. Je n'ai vraiment aucun doute. »

Le mystère qui plane au dessus de ces 25 œuvres pourra-t-il être levé un jour ? Il faudra en tout cas faire preuve de patience. Comme l'explique l'article du New York Times, le comité d'authentification des œuvres de Jean-Michel Basquiat a cessé son activité en 2012 au lendemain d'un procès sur des peintures initialement considérées comme fausses. Cette incapacité à prouver leur authenticité devrait laisser le marché de l'art à l'écart des œuvres exposées par le Orlando Museum of Art. Selon une source proche de la galerie, les différentes critiques visant l'authenticité des peintures a créé un mouvement de défiance chez les conservateurs du musée. Le géant de la vente aux enchères, Sotheby's, a d'ores et déjà refusé de faire tout commentaire à ce sujet. Le musée peut-il lui-même encore faire marche arrière et retirer son exposition ? Difficile de savoir quelles en seront les conséquences mais sa crédibilité pourrait être profondément atteinte sur le long terme.