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"Twerk" dans une église : pour de nombreux jeunes, la religion "fait partie de l'identité"
Extrait de la vidéo qui a déclenché l'ire des internautes.
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"Twerk" dans une église : pour de nombreux jeunes, la religion "fait partie de l'identité"

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Après avoir « twerké » dans une église du Marais à Paris, un jeune influenceur gay a été ciblé par des centaines de messages d'insultes et de menaces de mort. Une affaire assez similaire à ce qu'a vécu Mila, harcelée pour avoir insulté Allah. Et qui illustre, une fois de plus, l'extrême sensibilité de la jeune génération à l'irrévérence envers les religions.

Cachez ce ventre que nous ne saurions voir ! Mercredi 16 février, Benjamin L., un jeune homme gay de 18 ans, a déclenché de vives réactions sur les réseaux sociaux en postant une vidéo de lui dansant dans une église du Marais, à Paris, en crop-top, ce très court tee-shirt s'arrêtant au-dessus du nombril. La danse en question ? Un twerk, une danse lascive où l'on secoue hanches et fesses.

La réaction a été si vive que Cyril Hanouna, habitué du recyclage de buzz nés sur les réseaux sociaux, l'a invité vendredi dans son émission phare, TPMP. Le jeune homme a tenté de s'y expliquer, en assurant d'abord n'avoir rien planifié, puis avoir publié la vidéo pour protester contre l'homophobie de l'Église catholique. Lundi 21 février, interrogé par Le Parisien, il explique subir un déferlement de menaces de mort et de messages de haine. « Mes parents ont peur, ils m'appellent tous les jours en pleurant, je suis inquiet pour eux », a-t-il confié, visiblement ému, au Parisien. Et de citer quelques messages qu'il a reçus : « Meurs, tu ne mérites que ça » ; « Je pense honnêtement que tu ne mérites pas d'exister. »

Une polémique très similaire à la désormais célèbre affaire Mila, du nom de cette adolescente menacée de mort et placée sous protection policière pour avoir insulté Allah, lors d'une discussion avec ses abonnés diffusée en live sur les réseaux sociaux. Et comme dans l'affaire Mila, une grande partie des messages les plus virulents repérés sur ces réseaux proviennent de jeunes de sa génération, les 18-30 ans, qu'ils soient croyants – catholiques ou musulmans – ou qu'ils se revendiquent eux-mêmes athées. Une génération pourtant largement acquise à la lutte pour les droits LGBT et l'égalité entre les genres, mais qui a également élevé la croyance au rang de composante de l'identité.

Pour ces jeunes, la religion n'est pas une opinion philosophique

« C’est bien ça, la victoire idéologique des religieux », pointe auprès de Marianne François Kraus, directeur du pôle Politique/actualités du département Opinion de l'Ifop. « On trouve dans cette génération l'idée selon laquelle la religion n'est pas une opinion philosophique, mais une partie de l'identité de quelqu'un », explique-t-il. Cette « identitisation » confine l'appartenance religieuse au même rang que les identités de genre, la couleur de peau, ou l'origine sociale. Un « culte du respect, qui interdit toute insolence : les moqueries et provocations à l’égard d’un dogme, même s’il est réactionnaire, sont un manque de respect envers les croyants eux-mêmes ». Et peuvent justifier critiques, insultes et menaces.

François Kraus rappelle à Marianne quelques chiffres : selon une étude de novembre 2020, 75 % des 18-30 ans affirmaient qu'il fallait « respecter les religions afin de ne pas offenser les croyants ». Pour 4 interrogés sur 10, « la religion représente quelque chose de très important dans [leur] vie quotidienne ». Dans le sillage de l'affaire Samuel Paty, l'Ifop a aussi interrogé ces jeunes sur les caricatures de presse et 33 % d'entre eux avaient estimé qu'il n'était pas légitime de montrer ces dessins offensants à des élèves pendant les cours « afin d'illustrer les formes de liberté d'expression ». Plus inquiétant : 3 jeunes sur 10 plaçaient les commandements religieux au-dessus des lois de la République.

Attention à « l'effet Charlie »

Pour le maître de conférences en histoire contemporaine Charles Mercier, rompu aux questions religieuses, cette attention de la jeunesse au respect des valeurs religieuses pâtit d'une « baisse de la socialisation religieuse ». En clair : même s'ils sont très sensibles à l'irrévérence envers les religions, cette génération connaît assez mal les dogmes qu'elle prétend défendre. « La part des jeunes qui ont eu une éducation religieuse a beaucoup chuté à partir des années 1960 explique-t-il à Marianne. Dans cette génération, beaucoup ne comprennent pas qu'on puisse vouloir questionner, voire attaquer, les religions puisqu'ils n'ont eux-mêmes jamais vécu dans le cadre religieux qui a été, par exemple, celui de leurs parents. »

À l’inverse, Mila et Benjamin L., qui se présentent toutes deux comme des personnes LGBT, disent s'en être pris au dogme religieux – pour la première, musulman ; pour le second, catholique – en raison du discours homophobe véhiculé par certains dogmes. « Mais eux-mêmes n'avaient sûrement pas conscience d'à quel point leur conduite pouvait choquer », poursuit l'historien.

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Faut-il s'attendre à d'autres futures Mila ? Cette sensibilité au phénomène religieux, couplée à l'ascendance toujours plus fort des réseaux sociaux sur les jeunes, peut laisser présager de nouvelles polémiques. « Si le blasphème redevient tabou, la transgression risque de tenter de plus en plus de jeunes estime Charles Mercier. L'adolescence est un âge de transgression et le fait de sortir du rang, qui demande un certain courage, peut exposer à une notoriété quasiment immédiate pour peu que la controverse suscite de l’engagement. »

Une analyse nuancée par François Kraus, qui alerte sur « l'effet Charlie » : « La peur de devenir l’objet d’une chasse à l’homme, sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie, peut faire disparaître toutes ces transgressions, comme il y a trente ou quarante ans. » Une surenchère dans la violence de la réaction qui pourrait donc constituer une « arme de dissuasion massive » contre les « blasphémateurs ».

Une dissuasion massive qui n'a pas encore découragé Benjamin L., lequel a récidivé lundi 21 février dans une vidéo également filmée dans une église, où il esquisse quelques positions de danse en promettant de se « corriger à l'avenir pour devenir une meilleure personne ».

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne