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PROPAGANDE

Crise en Ukraine : place à la désinformation low-cost décomplexée de Moscou

Parallèlement à la décision de Vladimir Poutine de reconnaître, lundi, les Républiques séparatistes prorusses en Ukraine, Moscou a publié de nombreuses images et vidéos faisant de l’Ukraine l’agresseur. Des opérations de désinformation rapidement démontées sur Internet. Mais, même grossière, la propagande n’en reste pas moins efficace.

L'emblème de la République populaire de Donetsk, l'autorité prorusse en dessous du slogan "Le Donbass russe".
L'emblème de la République populaire de Donetsk, l'autorité prorusse en dessous du slogan "Le Donbass russe". © Alexander Nemenov, AFP
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Les exemples ne manquent pas sur Internet : une photo d’un prétendu véhicule blindé ukrainien en territoire russe, une vidéo de troupes ukrainiennes qui s’infiltreraient en Russie pour une "invasion" ou encore une autre vidéo censée démontrer que des "saboteurs" ukrainiens ou polonais chercheraient à faire exploser des chars russes.

Ces documents présentés comme autant de "preuves" de l’attitude belliqueuse des Ukrainiens, circulent dans les groupes prorusses sur le service de messagerie Telegram et sont relayés par les médias officiels ces dernières quarante-huit heures. Ils sont censés justifier la décision prise, lundi 21 février, par le président russe Vladimir Poutine de reconnaître l’indépendance des deux Républiques séparatistes prorusses de la région du Donbass, dans l’est de l’Ukraine. L’homme fort du Kremlin n’aurait fait que venir au secours des populations russophones, menacées, d’après lui, de "génocide".

Montages "paresseux"

Mais ces vidéos et images n’ont pas échappé aux "fact-checkers", à l’affût de toute désinformation russe sur Internet. La vidéo des soldats "parlant polonais" et cherchant à saboter des chars russes a ainsi été disséquée jusqu’au moindre bit de son pour révéler un montage de toutes pièces, raconte Eliot Higgins, le fondateur de Bellingcat, un site d’investigation sur la Russie spécialisé dans l’exploitation des sources en accès libre. Une partie des images a été filmée début février, tandis que les monteurs ont ajouté des séquences et du son provenant d’une vidéo tournée à l’occasion d’un exercice militaire finlandais en 2010.

>> À lire sur Les Observateurs de France 24 : Anonymes sur Internet, ils traquent les mouvements russes à la frontière ukrainienne

Une première preuve qui tombe à l’eau. Mais il en va de même pour la photo du prétendu véhicule blindé ukrainien censé avancer en territoire russe. Il s’agit d’un camion de transport de troupes de l’époque soviétique "qui n’appartient pas à l’arsenal ukrainien", souligne le compte Twitter Oryx, spécialisé dans les questions d’équipement militaire.

Plus sensible encore, l’affirmation, vidéo à l’appui, par le FSB - l’un des principaux services russes de renseignement - qu’un obus tiré depuis le territoire ukrainien a détruit un avant-poste russe à la frontière lundi a laissé dubitatifs les experts de la Conflict intelligence Team, un groupe de spécialistes des questions militaires russes. "La garnison ukrainienne la plus proche est située à plus de 37 km de la zone d’impact. Pour parvenir à toucher cette cible,  il aurait fallu utiliser une arme qui faits des dégâts bien plus conséquents que ce qu’on voit sur la vidéo", notent ces experts sur Twitter.

"C’est encore un exemple de montage de mauvaise qualité réalisé pour fournir un prétexte pour lancer une opération militaire contre l’Ukraine", conclut la Conflict Intelligence Team. Ce groupe n’est pas le seul à souligner l’amateurisme des montages vidéo et des efforts de désinformation déployés ces derniers jours par la propagande prorusse. "C’est très, très, très paresseux [comme travail]", note Aric Toler, journaliste à Bellingcat suivant de près ces exemples de désinformation "made in Kremlin".

Suffisant pour convaincre les Russes ?

Le manque de sophistication peut en effet étonner. La Russie passe pour être une maîtresse ès propagande en ligne depuis les exploits de ses agents durant la campagne présidentielle américaine de 2016. Moscou avait, en outre, "déjà utilisé les mêmes techniques en 2014 pour justifier l’annexion de la Crimée", rappelle Stefan Meister, spécialiste des questions de sécurité et de désinformation russes au Conseil allemand de relations internationales, contacté par France 24. 

Pour lui, "il est impossible d’imaginer la Russie d’aujourd’hui mener un conflit sans une dimension de cyberpropagande". Comment la machine bien huilée russe peut-elle alors accoucher d’une désinformation aussi "low-cost" ?

"Tout simplement parce que, pour l’instant, les autorités russes n’ont pas besoin de faire mieux", résume Stefan Meister. Le Kremlin veut et doit avant tout convaincre sa propre population. "Une opération militaire dans le Donbass, en Ukraine, est bien moins populaire auprès des Russes que ne l’avait été l’annexion de la Crimée en 2014", rappelle Valentyna Shapovalova, spécialiste des médias et de la propagande russes à l’université de Copenhague, contactée par France 24. 

Les autorités ont ainsi développé toute une rhétorique et ont recours à des images "qui sont similaires à toute la désinformation qui est vendue depuis huit ans à la population russophone au sujet de l’Ukraine", constate Yevgeniy Golovchenko, spécialiste de la désinformation russe à l’université de Copenhague, contacté par France 24. Ce n’est pas un hasard, par exemple, si Vladimir Poutine a utilisé le terme de "génocide" pour évoquer la situation dans le Donbass. "C’est déjà ce qu’il avait fait en 2014 avant de lancer l’invasion de la Crimée", rappelle Stefan Meister. 

Pas la peine donc de réinventer la roue et de fignoler les détails de la désinformation. Elle peut rester simple et fonctionner "car elle s’adresse en priorité à un public déjà receptif", conclut Yevgeniy Golovchenko. 

"Brouillard de désinformation"

Par ailleurs, ce n’est pas tant la qualité que la quantité de désinformation qui compte. "Le but est de créer tant de versions différentes, et parfois même contradictoires, de ce qui se passe à la frontière que plus personne ne peut plus vraiment distinguer le vrai du faux", estime Valentyna Shapovalova. C’est ce qu’elle appelle un "brouillard de désinformation". Le Kremlin espère que les populations russophones, de Moscou au Donbass, ne sachant plus vers quelle réalité se tourner se raccrochent à ce qui leur est familier : la voix du Kremlin.

Une désinformation, même grossière, peut aussi avoir sa raison d’être au niveau international. "Moscou sait très bien que le public occidental va, de toute façon, juger peu crédible tout ce qui viendra de Russie. Ce qui intéresse le Kremlin, c’est surtout que les analystes et décideurs américains ou européens perdent du temps à traquer cette désinformation et à en parler", estime Stefan Meister. Le but de cette propagande à gros sabots peut être de détourner l’attention, de créer un bruit de fond informationnel destiné à distraire l’adversaire.

Enfin, une autre explication possible est que Moscou joue à dessein le jeu de Washington. "Les États-Unis ont averti à plus d’une reprise que la Russie créerait de toutes pièces des incidents avant toute invasion ou opération militaire en Ukraine", rappelle Yevgeniy Golovchenko. Il suffit alors aux propagandistes russes de créer des montages grossiers pour que tout le monde crie au loup et à une opération "sous fausse bannière" pour justifier la guerre. De quoi, en somme, mettre la pression sur l’Ukraine et l’Otan sans même avoir à bouger le moindre char.

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