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L’Eglise italienne refuse qu’on déterre ses abus sexuels du passé

Des enquêtes indépendantes révèlent l’ampleur des abus sexuels dans les Eglises à travers le monde. Mais en Italie, terre des papes, les évêques restent opposés à de telles investigations. L’archevêque de Ravenne-Cervia Lorenzo Ghizzoni, responsable du service national de l’Eglise italienne pour la tutelle des mineurs, s’explique

Des prêtres entrant en procession pour une messe à Rome, en 2014. — © Max Rossi / REUTERS
Des prêtres entrant en procession pour une messe à Rome, en 2014. — © Max Rossi / REUTERS

Leur voix se sont élevées en Italie à la mi-février. Unies, diverses associations de victimes ont réclamé une enquête indépendante sur les cas d’abus sexuels dans l’Eglise catholique. Les structures en ont profité pour dénoncer l’omerta régnant dans le pays autour de la question, tant dans les milieux religieux que dans la société civile, et espèrent un débat ouvert comme cela a récemment été le cas en France ou en Allemagne.

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Alors que quelques évêques se sont prononcés en faveur d’un tel examen, la Conférence épiscopale italienne y est fermement opposée. Le Temps a demandé des explications à Lorenzo Ghizzoni, archevêque de Ravenne-Cervia et responsable du service national de l’Eglise italienne pour la tutelle des mineurs.

Lorenzo Ghizzoni, archevêque de Ravenne-Cervia et responsable du service national de l’Eglise italienne pour la tutelle des mineurs. — © DR
Lorenzo Ghizzoni, archevêque de Ravenne-Cervia et responsable du service national de l’Eglise italienne pour la tutelle des mineurs. — © DR

Le Temps: Pourquoi n’êtes-vous pas ouvert à une enquête indépendante?

Lorenzo Ghizzoni: Mis à part l’Australie, l’Irlande, les Etats-Unis, le Chili ou encore la France et l’Allemagne, une très grande majorité des églises nationales n’ont rien fait. Je dois dire la vérité: le présent et le futur nous intéressent plus que le passé. Bien sûr, nous écoutons celui qui veut raconter ou dénoncer quelque chose ou quelqu’un du passé, mais ce que nous devons faire aujourd’hui, c’est protéger les jeunes, les adolescents, les personnes vulnérables.

Dans chaque diocèse italien, il y a un évêque chargé de cette problématique. Nous sommes en train d’ouvrir partout des centres d’écoute, avec des professionnels disponibles pour écouter, accueillir et accompagner les victimes. Un groupe d’une douzaine de personnes de notre service national parcourt l’Italie pour organiser des formations de prévention et de sensibilisation pour les prêtres et les catéchistes. Il est vrai que ces deux dernières années, nous avons été limités par la pandémie et n’avons pas encore pu réaliser ces programmes. Mais notre travail de sensibilisation a commencé de manière sérieuse même si j’observe que les médias de masse sont plus préoccupés par les chiffres du passé. En général, la presse laïque ne rapporte pas ce que nous faisons de positif. Pourquoi?

Selon des estimations de l’association L’Abuso, il y a en Italie entre 1000 et 4000 prêtres pédophiles pour un million de victimes. Ne souhaitez-vous pas avoir un état clair de la situation?

La réalité italienne est bien plus compliquée que les autres. En Allemagne par exemple, il y a 25 diocèses contre 226 dans la péninsule. C’est une réalité structurellement et culturellement très différente, avec des traditions religieuses différentes entre le nord et le sud du pays. L’assemblée des évêques doit approuver en mai une enquête interne, que nous préférons appeler recherche. Nous voulons un rapport complet de ce qu’il y a de positif comme de négatif dans chaque diocèse, année par année. Car plus que la quantité, c’est la qualité des cas recensés qui nous intéresse: qui, quand, où, comment et pourquoi. Qui sont les victimes préférées? Comment faire pour les aider et les accompagner?

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C’est donc l’Eglise qui veut enquêter sur elle-même?

Cela reste à voir. En tant que Conférence épiscopale italienne, nous avons déjà mis en place une série de mesures positives, écrit un guide en trois parties sur «les blessures des abus» et «les bonnes pratiques dans les paroisses ». Cela doit nous permettre de réaliser une bonne action de prévention. C’est cela le plus important. Qu’il y ait eu dans le passé plus ou moins d’abus sexuels, nous le savons déjà. Que des abus du passé soient encore dénoncés, nous nous y attendons. Et nous réagirons comme le prévoit l’Eglise italienne, à travers des indications précises approuvées en 2019. Les évêques ont pris l’engagement de dénoncer auprès de la magistrature ces violeurs, si nous avons un minimum de certitude quant à leur culpabilité, et même si la loi italienne ne l’impose pas.

Que répondez-vous aux victimes affirmant ne pas être écoutées par l’Eglise italienne? Ou qui, pire, estiment que leurs agresseurs seraient aidés?

Il faudrait évaluer au cas par cas. Nous avons écouté tous les cas portés à notre attention. Depuis maintenant quelques années, il y a des dénonciations, il y a des procès. Ces victimes qui se plaignent sont probablement des personnes ayant subi un abus ou une violence par le passé. Au cas par cas, nous pourrions vérifier si, à l’époque, leur dossier avait été traité et comment. J’observe aujourd’hui un changement de mentalité significatif. Les normes dans l’Eglise ont changé, des diocèses ouvrent des procès canoniques, collaborent avec la justice. Mais il est possible, oui, qu’il y ait quelqu’un qui, par le passé, n’ait pas été écouté ou aidé.