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EntretienChasse

Chasse mortelle : « On met des armes de guerre entre les mains de personnes mineures »

Chasse départementale dans la forêt de Pinceloup, à Clairefontaine-en-Yvelines.

La mort d’une jeune promeneuse le 19 février, tuée par une chasseuse, a suscité l’émoi et relancé le débat sur une réforme de la chasse. Celle-ci est demandée de longue date par le collectif Un jour un chasseur, né après un autre drame.

Mila est cofondatrice du collectif Un jour un chasseur, créé après la mort de Morgan Keane en décembre 2020, tué accidentellement par un chasseur.



Reporterre — Mélodie Cauffet, une femme de 25 ans, a été tuée samedi 19 février par une chasseuse dans le Cantal. Comment avez-vous réagi à cette nouvelle ?

Mila — Nous avons ressenti une colère et une tristesse infinie. Tristesse pour elle, pour ses proches, pour ses amis. Colère de savoir qu’un accident mortel s’est encore produit. En novembre dernier, Joël Viard décédait des suites d’une blessure par balle, reçue alors qu’il conduisait son véhicule. En décembre 2020, Morgan [Keane] était tué dans son jardin [1]. On est désemparés face à l’inaction du gouvernement. Cela fait un an qu’on interpelle nos élus, qu’on sensibilise, qu’on fait des propositions pour réguler la chasse. Mais rien, aucune réponse. Cette mort n’est pas la première, et si rien n’est fait, ce ne sera pas la dernière.


Quelles règles faudrait-il instaurer pour réguler la pratique de la chasse ?

La première mesure, à prendre de toute urgence, est d’instaurer des jours sans chasse. Au moins un par semaine, pas forcément le dimanche. Aujourd’hui, les gens qui se promènent sont en danger, ils peuvent recevoir une balle en faisant des activités non supposées à risques. Les armes de chasse ont une portée de 3 km, donc créer des zones de chasse réservées ne servira à rien ; les forêts n’ont pas de murs. La France est une exception, la plupart de nos voisins européens ont introduit des jours non chassés.

« Ces armes sont des armes de guerre »

La deuxième mesure est de renforcer la formation des chasseurs, et de relever l’âge minimum. Aujourd’hui, on peut chasser dès 15 ans si on est accompagné, et passer son permis de chasse à 16 ans. C’est ainsi que l’on se retrouve avec des drames comme celui de samedi : la chasseuse qui a tué Mélodie n’avait que 17 ans. En Aveyron, en 2015, un jeune chasseur de 16 ans a tué une personne de 25 ans. Ces armes sont puissantes, ce sont des armes de guerre, et on les met entre les mains de personnes mineures.


Qu’entendez-vous par le « renforcement de la formation des chasseurs » ?

La France est un des pays où il est le plus facile de passer le permis de chasse. À tel point que des Belges préfèrent venir le passer chez nous. Il suffit de deux jours de formation, où l’on aborde à peine la précision du tir ; il n’est pas nécessaire de toucher la cible pour obtenir son permis. En Allemagne, la formation se passe sur plusieurs années, avec des tirs à réaliser très précis.


Lundi 21 février, la secrétaire d’État à la Biodiversité, Bérangère Abba, insistait sur l’importance de l’information des promeneurs : mieux communiquer sur les zones chassées, sur les battues en cours [2]. Est-ce une piste à suivre ?

Morgan a été tué dans son jardin. Joël Viard a été tué au volant de sa voiture. Mélodie Cauffet se trouvait sur un sentier balisé. L’information n’aurait rien changé. Elle n’empêche pas les morts, surtout quand on a des armes qui portent sur plusieurs kilomètres. Et puis, dire qu’il faut mieux informer les promeneurs revient à rejeter la responsabilité de l’accident sur eux.

Manifestation à Cahors après la mort de Morgan Keane, le 23 janvier 2021. © Alain Pitton/Reporterre

Depuis un an que vous vous mobilisez au sein du collectif Un jour un chasseur, qu’est-ce qui a changé ?

Du côté du gouvernement, rien n’a avancé. Nous avons rencontré Bérangère Abba en février 2021, et depuis, rien. La seule chose qui a changé, c’est la mobilisation de la population. La pétition que nous avons lancée sur le site du Sénat a recueilli plus de 120 000 signatures. Les ruraux osent s’exprimer, dire leur colère, leur peur de se voir toucher. L’intérêt médiatique sur cette question est aussi différent. Jusqu’à présent, les politiques pouvaient passer les accidents de chasse sous silence, mais plus maintenant. Tout le monde sait que la chasse peut tuer, peut blesser. C’est un grand changement.

Plusieurs candidats à la présidentielle ont relayé nos propositions. Nous voulons montrer que l’on est nombreux à vouloir être en sécurité à la campagne, que ce peut-être un critère électoral.


Un partage du territoire « apaisé » entre chasseurs et non chasseurs est-il selon vous possible ?

Plus qu’un partage du territoire, nous prônons un partage du temps. Mettre en place des jours non chassés, c’est une mesure simple, qui est faite dans la majorité des pays européens.

Nous cherchons le dialogue avec les chasseurs, mais ils ne lâchent rien. Or, c’est à eux, la minorité armée, de trouver des compromis, pas à nous, la majorité non armée. Aujourd’hui, la plus grande partie de la population a l’impression de ne pas être entendue sur des questions essentielles : la liberté de se déplacer, le respect de l’intégrité physique.




Jour non chassé, qu’en disent les candidates et candidats à la présidentielle ?


  • Pour des jours non chassés : Yannick Jadot (EELV), Jean-Luc Mélenchon (Union populaire).
  • Contre des jours non chassés : Éric Zemmour, Marine Le Pen (RN), Valérie Pécresse (LR), Fabien Roussel (PCF), Emmanuel Macron (LREM ; toujours pas officiellement candidat), Anne Hidalgo (PS).
  • Pas de position claire : Christiane Taubira (Primaire populaire), Philippe Poutou (NPA), Nathalie Arthaud (LO).
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