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La chaîne russe RT de plus en plus contestée en Europe occidentale

Alors que des parlementaires appellent à suspendre la chaîne, le régulateur français dit qu'il peut «aller jusqu'à demander la suspension de sa diffusion». Le régulateur britannique examine aussi le dossier. L'Allemagne l'a déjà interdite.

La chaîne RT est surveillée de près par les autorités européennes.
La chaîne RT est surveillée de près par les autorités européennes. (Sebastien CALVET/REA)

Par Marina Alcaraz

Publié le 23 févr. 2022 à 18:47Mis à jour le 24 févr. 2022 à 15:10

Interdiction en Allemagne, réexamen de la licence RT au Royaume-Uni, instruction de l'Arcom en France, appels à fermer la chaîne dans l'Hexagone… Les nuages s'accumulent en Europe occidentale sur la chaîne RT (Russia Today), qui a plusieurs déclinaisons internationales, dont en France, alors que Moscou vient d'envahir l'Ukraine .

En pleine crise ukrainienne, la chaîne de télévision financée par l'Etat russe - et ses déclinaisons Internet- est très surveillée.

Dans l'Hexagone, des parlementaires et certaines voix commencent à appeler à suspendre voire à fermer la chaîne de télévision. Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne (Union centriste), a écrit l'Arcom (le régulateur de la télévision et des médias), ce jeudi matin pour demander une suspension.

Dans ce courrier que « Les Echos » ont pu consulter, il dénonce une « campagne de propagande », relayée par la chaîne RT en France et son site. « Il est urgent de nous interroger sur la menace » que fait peser cet « organe gouvernemental russe », « sur nos valeurs démocratiques ». Il met notamment l'accent sur le fait que RT n'interroge pas l'opposition en Russie, selon lui, ni ne met en avant les conséquences sur la population de l'Ukraine, notamment.

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Le sénateur, président de la commission des affaires culturelles du Sénat, qui a fait ce courrier «à titre personnel», a été rejoint par d'autres comme Constance Le Grip, députée des Hauts-de-Seine (Les Républicains) dans se requête.

Le sénateur demande donc formellement à l'Arcom une enquête pour une « suspension immédiate ».

Déjà une instruction de l'Arcom

D'ores et déjà, la chaîne de télévision, lancée dans l'Hexagone en 2017 sur fond de polémiques , fait l'objet d'une instruction de l' Arcom, le régulateur de la télévision après la plainte d'une association « Médias Démocraties Europe ». Selon « Libération », cette association, composée d'une dizaine de citoyens opposés au Kremlin, s'inquiète de « l'honnêteté et l'indépendance de l'information et des programmes de RT ». La chaîne avait déjà été mise en demeure sur ce point en 2018, sur un sujet sur la Syrie.

Comme le prévoit la loi, un rapporteur indépendant a été nommé. A la suite de son enquête, si les manquements sont avérés, l'Arcom peut décider -ou non- de sanctions qui peuvent aller jusqu'à un arrêt de la chaîne. A priori, l'instruction prend des semaines.

Toutefois, l'Arcom indique ce jeudi veiller « avec une particulière vigilance au respect par la chaîne RT France de ses obligations légales et conventionnelles. S'il l'estime justifié, le régulateur n'hésitera pas à faire usage, sans délai, des outils juridiques dont il dispose et qui peuvent aller jusqu'à demander la suspension de sa diffusion ».

Le régulateur pourrait utiliser une procédure accélérée. En effet, s'il y avait une accumulation de preuves de manquements de la part de RT en français, l'Arcom pourrait saisir le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat qui pourrait décider de la suspension de la diffusion de la chaîne.

Procédure accélérée possible de l'Arcom

Cette procédure, équivalent à un référé, se fonde sur l'article 42-10 de la loi de 1986 relative à la liberté de communication. Celui-ci prévoit notamment que « la demande peut avoir pour objet de faire cesser la diffusion ou la distribution, par un opérateur de réseaux satellitaires ou un distributeur de services, d'un service de communication audiovisuelle relevant de la compétence de la France et contrôlé (...) par un Etat étranger ou placé sous l'influence de cet Etat si ce service porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses informations ».

Cette procédure avait déjà utilisé en France en 2004 avec la chaîne libanaise Al-Manar, qui avait retransmis des propos antisémites dans son journal. Le CSA (ancêtre de l'Arcom) avait alors obtenu que le Conseil d'Etat quelques jours après les faits, ordonne en référé la cessation par l'opérateur satellitaire Eutelsat de la diffusion d'Al-Manar, pourtant conventionnée (autorisée) en France. Le CSA avait ensuite résilié la convention de la chaîne libanaise.

« RT France n'a jamais été sanctionnée en quatre ans d'existence », souligne un porte-parole de RT. « RT continue de couvrir l'actualité notamment la Russie de manière professionnelle et équilibrée ».

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Examen de la licence en Grande-Bretagne, fermeture en Allemagne

A l'étranger, aussi, RT est de plus en plus contestée.

Dernière annonce en date, celle du Royaume-Uni. Interpellé au Parlement sur le rôle de « désinformation » joué par RT, le Premier ministre a indiqué que sa ministre de la Culture Nadine Dorries avait demandé au régulateur britannique, Ofcom, de « réexaminer » la licence accordée à la chaîne d'informations en anglais. De son côté, la ministre des Affaires étrangères a indiqué : « En ce qui concerne Russia Today, je suis d'avis qu'elle diffuse régulièrement de la propagande et des fausses nouvelles et qu'elle est effectivement une émanation de l'Etat russe, et je suis sûre que l'Ofcom se penche sur la question », a déclaré Liz Truss à « Times Radio ».

RT a répliqué en disant que Liz Truss semblait essayer de s'immiscer dans les affaires du régulateur.

Parallèlement, Margarita Simonyan, rédactrice en chef chez RT, fait partie des personnalités visées par les sanctions annoncées par l'Union européenne mardi (interdiction de voyager, gel des actifs etc.), souligne le « New York Times » .

En Allemagne, il y a quelques semaines, le régulateur allemand des médias avait annoncé l'interdiction de la diffusion dans le pays de la chaîne russe Russia Today (RT) en allemand.

Des chaînes différentes

« La diffusion du programme de télévision RT DE » a été « interdite » car « l'autorisation nécessaire selon le droit des médias » n'a été « ni demandée ni accordée ».

« Il y a une quasi-simultanéité des annonces en Europe, mais elles ne semblent pas coordonnées dans la mesure où les motifs sont très différents », rappelle Maxime Audinet, chercheur à l'IRSEM et auteur de l'ouvrage « Russia Today : un média d'influence au service de l'Etat russe ».

Les chaînes elles-mêmes sont différentes. « La chaîne anglophone de RT, dont le siège est à Moscou, est beaucoup plus offensive lorsqu'il s'agit de soutenir les positions officielles russes sur le conflit en Ukraine », dit-il.

« Plusieurs niveaux » selon le chercheur Maxime Audinet

Pour la chaîne de télévision en France et ses déclinaisons, très présente sur les réseaux sociaux (1 million d'abonnés à sa chaîne YouTube en France, autour 1,2 million d'abonnés Facebook), il y a selon lui, plusieurs niveaux : « d'un côté, les journaux télévisés présentent les événements de manière sélective mais relativement factuelle sur la crise actuelle, même si certains invités relaient clairement le « récit » officiel.

Cette prudence peut s'expliquer par le fait que la chaîne est sous surveillance étroite du régulateur français dans un contexte préélectoral. Sur le site, les articles publiés témoignent d'une couverture partielle, qui « déconstruit la posture occidentale plus qu'elle ne défend ouvertement les positions russes ». En revanche selon lui, « les chroniques et tribunes véhiculent ouvertement des représentations du conflit similaires à celles des autorités russes ».

Toujours est-il que Frédéric Taddeï, présentateur d'un magazine sur RT, a décidé d'arrêter son talk-show quotidien. « Par loyauté envers la France, je ne peux pas continuer une émission de débat contradictoire à partir du moment où mon pays se retrouve en conflit ouvert avec la Russie », a-t-il expliqué à Buzz TV (Le Figaro).

Marina Alcaraz

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