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Lalla Taja, une maman protectrice des enfants orphelins dans la médina de Casablanca

Lalla Taja est le nom d’un petit mausolée à la construction modeste, situé au cœur de la médina de Casablanca. Il abrite la tombe d’une femme connue au XIXe siècle pour avoir fait de son domicile une maison de l’enfance avant l’heure.

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Place de la Belgique dans la médina de Casablanca / DR.
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Mitoyen à l’école primaire Omar Ben Abdelaziz et aux locaux de l’ancien consulat belge, sur la Place de Belgique au cœur de la médina de Casablanca, un petit mausolée au nom de Lalla Taja épouse tellement l’apparence des constructions du quartier où il se trouve qu’il passerait presque inaperçu. Mais il s’est longtemps distingué par un drapeau vers triomphant au-dessus de sa porte d’entrée, où une petite ouverture permet aux visiteurs de laisser des bougies, en guise d’offrande. A ce jour, les femmes sont nombreuses à venir se recueillir sur sa tombe et à organiser des petits pèlerinages, au cours desquels elles prient pour avoir le courage de Lalla Taja et ainsi affronter les épreuves de la vie.

En effet, ce lieu de quelques mètres carrés recouvre la tombe de Lalla Taja, une bienfaitrice aimée particulièrement par les femmes de la médina et par les familles casablancaises, pour qui elle reste un exemple de générosité, de solidarité, de courage et d’abnégation. Peu d’éléments de la vie de Lalla Taja sont documentés, mais les rares écrits qui se sont intéressés à elle retiennent que cette femme fortunée a mobilisé tout son argent et son domicile pour la protection des enfants, au point d’être nommée «la maman des orphelins».

Nous sommes à la fin du XIXe siècle. La solidarité coutumière, les liens sociaux et les actions religieuses pour venir en aide aux plus démunis priment, au temps où les organisations structurées et destinées à la protection de l’enfance, comme on les entend actuellement, n’existaient pas. A ce titre, Lalla Taja peut être considérée comme précurseure, du moins à Casablanca, puisqu’elle a fait de sa maison un espace spécialement dédié à l’accueil et à la prise en charge des enfants orphelins ou abandonnés. Par ses propres moyens, elle s’est occupée de les héberger, de les couvrir de l’amour qu’ils n’ont pas trouvé ailleurs, mais aussi de les nourrir de copieux repas qu’elle préparait elle-même, souvent à base de poisson fourni gracieusement par les pêcheurs du port, en face de la médina.

Une bienfaitrice défendue par les femmes de la médina

Selon les différentes version de faits, certains avancent que Lalla Tajat serait venue de Tétouan pour s’installer dans la médina de Casablanca, sans détailler les circonstances de ce déménagement. Toujours est-il que son action a marqué nombre d’habitants de la médina, auprès desquels elle a gagné sympathie et respect. Dans «Rites et secrets des saintes du Maroc», le chercheur Mustapha Akhmisse raconte cependant que depuis que cette femme a obtenu le soutien du consul belge pour pérenniser son action, les hommes du quartier ont vu ce rapprochement d’un mauvais œil.

Touché par son courage et son abnégation, le consul lui a en effet proposé une aide matérielle et logistique. Mais à cause de ses visites régulières au domicile de Lalla Taja, des rumeurs ont commencé à suggérer que cette dernière aurait servi d’espionne, voire d’amante. «Plus personne n’adressait la parole à la bienfaitrice et certains lui jetaient des pierres sur son passage», a rappelé Mustapha Akhmisse, à la sortie de son ouvrage. D’autres récits indiquent qu’un soir, Lalla Taja a échapé à une mort certaine sous les jets de pierre qu'en se réfugiant au siège de Légation belge, dont une partie est actuellement occupée par l’école Omar Ben Abdelaziz.

Après ces tristes événements, les femmes de la médina ont commencé à mener une fronde contre leurs maris, en se rapprochant davantage de Lalla Taja et en prenant sa défense, face au dénigrement qu’elle a subi. Elles se sont alors organisées pour lui apporter un soutien moral et matériel, jusqu’à la fin de ses jours. Selon Mustapha Akhmisse, «elle n’osait plus sortir et s’enfonça dans une grave dépression jusqu’à la mort».

Des funérailles dignes à l’extérieur des cimetières musulmans

Mais avant cela, Lalla Taja a composé un poème relatant toute son histoire, son amour pour les enfants et ses souffrances. Dans les hammams comme dans les rassemblements à différentes occasions religieuses, cette qassida a été chantée par les femmes, les larmes aux yeux. Car même après sa mort, cette bienfaitrice a souffert lorsque le pacha refusa son inhumation dans un cimetière musulman. C’est ce qui poussera les femmes du quartier à se révolter ouvertement face à l’attitude des autorités.

Malgré les coutumes d’usage encore aujourd’hui, ce sont elles qui porteront le cercueil jusqu’au jardin du consulat belge, où elles demanderont à ce qu’un lopin de terre soit mis à leur disposition pour organiser des funérailles dignes à Lalla Taja. L’expression de leur opposition à l’attitude dénigrante dont la bienfaitrice a fait l’objet en fin de vie ne s’arrêtera pas là, puisqu’elles vont honorer sa mémoire en cotisant pour la construction d’un petit mausolée.

On raconte qu’en l’honneur de Lalla Taja, les pleureuses se sont succédées sur sa tombe plusieurs jours après sa mort, pour pleurer sa disparition, le rejet qu’elle a subi, mais aussi pour immortaliser ses actions humaines en faveur des enfants les plus démunis. C’est ainsi que dans les milieux populaires comme aisés, beaucoup de femmes se référent à son courage pour garder foi, face aux difficultés de la vie.

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