À 22 ans, Pierre-Yves André, éleveur de poules pondeuses à Lampaul-Guimiliau, est des manifestations agricoles dans le pays de Morlaix. « Ce n’est plus possible ! On veut juste gagner notre vie avec notre boulot ! », lance le jeune homme. S’il témoigne, c’est aussi parce qu’il a vu comment un agriculteur peut en arriver au pire face à un système qui met « trop de pression ». Le 19 décembre 2018, son père, Jean-Paul, qui tenait l’exploitation familiale avec sa mère, s’est pendu, non loin de la ferme. Il avait 50 ans.
« Jean-Paul n’en pouvait plus… »
« C’est une accumulation de soucis qui l’a mené au pire. Il n’en pouvait plus… », dévoile Stéphanie, la mère de Pierre-Yves, qui évoque la « série noire » à laquelle l’exploitation a dû faire face.
La salmonelle, c’est un énorme coup dur, un traumatisme. L’équivalent de la vache folle pour un laitier. C’est atroce de voir tout vide…
En 2012, un an après avoir racheté les poulaillers au père de Stéphanie (avec qui ils étaient associés depuis 2002), le couple doit mettre aux normes ses installations pour poules en cage : 1,50 M€ à débourser. « On envisageait le plein air. Mais, à cette époque, les coopératives nous en ont dissuadés », explique l’exploitante. « Et, en 2014, ces mêmes coopératives reviennent vers nous pour nous demander de nous mettre au plein air ! Pour que les banques suivent, on n’avait pas le choix. C’est le côté fou du système… » Nouvel investissement et nouveau poulailler, donc, en 2017.
La salmonelle dans un poulailler
Mais deux jours après sa mise en route, la salmonelle est détectée dans un autre bâtiment. 140 000 poules doivent être abattues. « C’est un énorme coup dur, un traumatisme. L’équivalent de la vache folle pour un laitier. C’est atroce de voir tout vide… »
Pendant des mois, le poulailler est inutilisable. Tout sera nettoyé de fond en comble. Et de nouvelles analyses réalisées. « Ils étaient une dizaine, en blanc, à faire des prélèvements partout. C’était un vrai stress. Quand il a vu ça, Jean-Paul s’est mis à pleurer… », se souvient Stéphanie, qui, aujourd’hui encore, redoute le passage, tous les deux mois, des autorités sanitaires. « C’est normal, mais, pour nous, ça fait remonter des mauvais souvenirs… » Neuf mois après, le poulailler est de nouveau opérationnel. Mais les pannes s’enchaînent, « le matériel avait pris l’eau lors du nettoyage », raconte Pierre-Yves, qui assure, à l’époque, jusqu’à 20 réparations par jour.
La suite de son père à 19 ans
La famille tient le coup, malgré tout. Mais, ce 19 décembre 2018, Jean-Paul est introuvable. Ce n’est que le soir que Pierre-Yves le retrouvera, pendu, dans un bâtiment près de la ferme. De ce moment, le jeune homme ne dira rien, ça se passe de mots. Stéphanie, elle, se souvient encore « d’entendre Pierre-Yves hurler… Tous les soirs, j’entends encore ce cri… ».
Il y avait des signes d’alerte mais on n’a rien vu… On était à fond, tous fatigués. On n’a sûrement pas assez parlé. Alors, je le redis : c’est important de parler dans les moments durs
À ce moment, l’agricultrice, 42 ans, mère de deux autres enfants, songe à tout arrêter. « C’est Pierre-Yves qui m’en a empêchée. » Le jeune homme a 19 ans à l’époque et ne doute pas. « Je suis né avec les poules ! J’ai toujours voulu reprendre, c’est juste arrivé plus tôt que prévu… Je voulais aussi que mon père n’ai pas fait tout ça pour rien. »
« On était tous fatigués »
Après coup, la famille le sait : « Il y avait des signes d’alerte mais on n’a rien vu… On était à fond, tous fatigués. On n’a sûrement pas assez parlé. Alors, je le redis : c’est important de parler dans les moments durs », lance Stéphanie. « Jean-Paul n’en pouvait plus. Je ne sais toujours pas ce qui lui a pris, mais je le comprends. Aujourd’hui, il est là-haut et il faut lui pardonner ».
« Être payés à notre juste valeur »
Depuis six mois, Pierre-Yves est officiellement associé avec sa mère. Les années difficiles vécues par ses parents, le suicide de son père et l’incendie qui a ravagé un poulailler en 2019 ne l’ont pas dissuadé. Il est, cela dit, conscient de « ne pas avoir droit à l’erreur ». En manifestant, celui qui n’arrive toujours pas à se sortir de revenu malgré les journées de travail de 6 h à 20 h avec une heure de pause, demande « à être payé à sa juste valeur ». Il réclame que la loi Egalim2 soit respectée. « Pour s’en sortir, il faut soit que les matières premières baissent, soit nous augmenter le prix de l’œuf ! ».
Quel avenir ?
« Depuis que je me suis installée, il y a toujours eu des bonnes et des mauvaises années. Mais aujourd’hui, on nous demande des investissements de plus en plus lourds, avec plus de travail et on ne retrouve pas les bonnes années… », s’inquiète Stéphanie. « Aujourd’hui, mon fils s’installe, mais j’ai peur pour son avenir… Il ne faut pas qu’il se décourage. »
Son témoignage dans Bonjour Bretagne sur Tébéo-Tébésud