Sylvia Plath (1932-1963),  la vie comme un mauvais rêve

Sylvia Plath devant sa bibliothèque ©Getty - Collection Bettmann
Sylvia Plath devant sa bibliothèque ©Getty - Collection Bettmann
Sylvia Plath devant sa bibliothèque ©Getty - Collection Bettmann
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“Je serai la plus grande poétesse des États-Unis”. Sylvia Plath voulait être tout : mère, amante, homme, Dieu, “un rêve à rendre les hommes fous”... Suicidée à l'âge de trente ans en 1963, l'œuvre de Sylvia Plath raconte les désirs empêchés dans une société conformiste et inégalitaire.

"Je voyais ma vie se ramifier devant mes yeux comme le figuier de l’histoire. Au bout de chaque branche, comme une grosse figue violacée, fleurissait un avenir merveilleux. Une figue représentait un mari, un foyer heureux avec des enfants, une autre figue était une poétesse célèbre, une autre un brillant professeur […]

*Je me voyais assise sur la fourche d’un figuier, mourant de faim, simplement parce que je ne parvenais pas à choisir quelle figue j’allais manger. Je les voulais toutes, seulement en choisir une signifiait perdre toutes les autres, et assise là, incapable de me décider, les figues commençaient à pourrir, à noircir et une à une elles éclataient entre mes pieds sur le sol […]"
*(Sylvia Path, "La Cloche de détresse", 1962)

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Née en 1932, la poétesse Sylvia Plath se suicide, la tête dans le four, en 1963. Elle a trente ans et deux enfants, elle vient de publier son premier roman La Cloche de détresse et d'écrire les poèmes de sa vie : “ils feront (sa) renommée". Elle en est convaincue, elle sera la plus grande poétesse de l’Amérique. En trente ans, elle a laissé des recueils de poèmes, un récit autobiographique, des milliers de pages de son journal, autant de lettres, des essais, des dessins, un livre pour enfants..

Une icône féministe

Peu reconnue de son vivant, Sylvia Plath est depuis devenue une légende et une icône feministe : l'incarnation de l'empêchement des femmes, notamment des artistes, dans la société américaine des années 50.

Sylvia Plath, c’est une somme de désirs sans cesse contrariés. Elle voulait tout, être "un homme, être Dieu. Un rêve à rendre les hommes fous... Mais aussi épouser le plus grand poète de l’Angleterre… porter des enfants lourds qui sentent bons et des mondes imprimés". Furieuse et déterminée, elle incarne les tensions entre les postures d’amante, de mère et de créatrice et, la difficulté pour ces femmes d’étendre leur territoire poétique en dehors du foyer.

Deux ans seulement après sa mort, paraît Ariel, son grand recueil de poèmes. C’est alors une déferlante : des adolescentes se suicident par vagues, tandis que les féministes s’emparent de son histoire et effacent de sa tombe le nom de Ted Hugues, son mari, qu’elles rendent responsable de sa mort. Depuis, Plath est devenue un nom, une marque, une expression “to do a Sylvia Plath”. Elle a été incarnée au cinéma par Gwyneth Palthrow, chantée par Lana del Rey, les Pussy Riots, Lady Gaga.. des centaines de biographies lui sont consacrées.

Sa relation foudroyante avec le poète lauréat de l’Angleterre, Ted Hughes, fait trop souvent écran à son oeuvre. Car entre eux, il y a tout de suite de la passion et du sang. Très vite aussi, la jeune femme s’efface, écrasée par le succès de son mari. "Sommes-nous comme des vampires à nous nourrir l’un de l’autre ?" Dans l’ombre de Ted, elle est l’épouse aux fourneaux. Sa mort viendra de lui, elle le sait, et l’écrit vite.

L'oeuvre de Plath raconte ainsi la violence des hommes, et la violence que lui inspire les hommes.

“Mourir
Est un art, comme tout le reste.
Je le fais exceptionnellement bien.(…)

Herr Dieu, Herr Lucifer
Prenez garde.
Oui, prenez garde.

Je sors de mes cendres
Avec mes cheveux rouges
Et je dévore les hommes comme l’air.”

(Dame Lazare, Ariel)

"Je voudrais une vie conflictuelle et un équilibre entre les enfants, les sonnets, l’amour et les casseroles sales.. Je serai sans nul doute une épouse et une mère vagabonde." Pour la première fois, une poétesse raconte les expériences physiques et charnelles de la condition féminine : le désir lourd, les fausses couches, la peur de la stérilité, l’avortement.. mais aussi le quotidien, le prosaïque, les casseroles sales, le pot-au-feu…Grande vivante, survivante, Plath ne parvient pas à choisir, ce qui la rend malade et l'étouffe. “Lorsque nous voulons tout, peut-être sommes-nous dangereusement près de ne rien vouloir”.

Ecrire tous les jours pour ne pas imploser

Il y a en elle, son "moi bénéfique, qui aime ciels et collines, repas savoureux et couleurs vives, et veut affirmer la vie de manière fracassante sur les pianos et les pentes de ski, et aussi au lit, au lit, au lit et son démon (qui) voudrait assassiner ce moi-là". Elle connaît plusieurs tentatives de suicide. A vingt ans elle est internée et traitée par électrochocs, une expérience qui hante son oeuvre et l’inscrit ainsi dans le courant de la littérature confessionnelle, voie poétique ouverte par Robert Lowell, qui fait de l’expérience intime et notamment psychiatrique une matière poétique et littéraire.

“Galop infatigable”, en perpétuel mouvement, elle fait des listes : elle doit parler toutes les langues, rencontrer W.H Auden et les autres, mais aussi peindre, jouer du piano, écrire des poèmes. Elle n'en écrit jamais assez ou ils ne sont jamais assez bons, et lorsqu’ils le deviennent, il faut écrire un roman... La liste s’allonge, et au moindre échec, c’est l’univers qui s’effondre. "Je ne peux me contenter du travail colossal que représente le fait de simplement vivre. Oh non, il faut que j'organise la vie en sonnets et sextines, procure un réflecteur verbal à l'ampoule de soixante watts que j'ai dans la tête". Écrire tous les jours pour re-composer, pour organiser, pour ne pas imploser :

“Je connais le fond, dit-elle. Je le connais par le pivot de ma grande racine :
C’est ce qui te fait peur.
Moi je n’en ai pas peur : je suis allée là-bas (...)
J’explose et mes éclats volent comme des massues.
Un vent d’une telle violence
Ne tergiverse pas : il faut que je hurle.
Je suis cette demeure hantée par un cri.
La nuit, ça claque des ailes
Et part, toutes griffes dehors, chercher de quoi aimer…."

(La voix dans l’orme, Ariel)

C’est à l’automne 1962, le dernier, alors que Ted Hughes, devenu le vampire, le braconnier, quitte le foyer que Plath compose ses plus grands poèmes. Le 11 février 1963, elle calfeutre la porte de la chambre de ses deux enfants endormis et ouvre le gaz. Six jours avant, elle écrivait dans son dernier poème, Extrémité : “Nous sommes arrivés jusqu’ici, c’est fini.”

Pour en parler

  • Valérie Rouzeau, traductrice et poétesse, autrice de Sylvia Plath, un galop infatigable (Jean-Marc Place, 2003). Traductrice pour les ouvrages de Sylvia Plath La Traversée dans Arbres d'hiver (Poésie/Gallimard, 1999), Ariel (Gallimard, 2009). Traductrice de Ted Hughes, Poèmes (1957-1994) avec Jacques Darras (Gallimard, 2009)
  • Sylvie Doizelet, romancière, autrice notamment de La Terre des morts est lointaine (collec. L’un et l’autre, Gallimard, 1996). Elle a traduit le recueil de Ted Hugues, Birthday Letters (Gallimard, coll. Poésie, 2015) adressé à Sylvia Plath. Elle a également préfacé Sylvia Plath, Arbres d'hiver précédé de La traversée, traduction de Françoise Morvan et Valérie Rouzeau (Gallimard, coll. Poésie, 1999)
  • Claire Fercak, romancière, autrice notamment de Rideau de verre (Verticales, 2007) et plus récemment Ce qui est nommé reste en vie (Verticales, 2020) et Après la foudre (Arthaud, 2021)
  • Gwenaëlle Aubry, romancière, philosophe, autrice notamment de Lazare mon amour (L’iconoclaste, 2016), Perséphone 2014 (Mercure de France, 2016) et plus récemment Saint-Phalle : monter en enfance (Stock, 2021)
  • Sonia Wieder-Atherton, violoncelliste. Elle a notamment conçu le spectacle Danses nocturnes, avec Charlotte Rampling, où se rencontrent les œuvres de Benjamin Britten et de Sylvia Plath

Un très grand merci au Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir (28 place St Georges, Paris 9ème) pour nous avoir permis d’utiliser des extraits de Letters home, film réalisé par Chantal Akerman en 1984, à Sonia Wieder-Atherton et Charlotte Rampling pour l’extrait de Danses nocturnes, spectacle conçu en 2013.

Lecture des textes et poèmes (extraits) par  Odja Llorca

"Je dois cultiver cette bizarrerie et cette intériorité simplement en demeurant en moi-même, et en étant fidèle à mes farfadets et démons personnels"Sylvia Plath dans Carnets intimes (1997)

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Archives

Extraits de  Sylvia Plath – The Spoken Word (Label British Library, 2010)

Interview de Sylvia Plath par Peter Orr pour la BBC (1962)

Interview de Sylvia Plath et Ted Hughes pour la BBC dans l’émission Poets in partnership (18.01.1961)

Lecture des poèmes du recueil Ariel par Sylvia Plath

Danses nocturnes, Sonia Wieder-Atherton et Chalotte Rampling, poèmes de Sylvia Plath et musique de Benjamin Britten

Musique

Overturn d'Alexandra Streliski (album Inscape)

Bibliographie

De Sylvia Plath traduite en français :

  • Sylvia Plath, Œuvres. Poèmes, romans, nouvelles, contes, essais, journaux, Précédé de Mourir est un art par George Steiner (Quarto, Gallimard, 2011). Édition de Patricia Godi avec la collaboration de Patrick Reumaux
  • Dessins, Sylvia Plath, préfacé par Frieda Hughes (La Table ronde, 2016)
  • La Traversée et Arbres d'hiver(Poésie/Gallimard, 1999, édition bilingue)
  • Ariel (Gallimard, 2009), traduction et préface de Valérie Rouzeau
  • Sylvia Plath -Journaux . 1950-1962 (Gallimard, Collection du Monde entier, 1999). Trad. de l'anglais par Christine Savinel. Préface de Christine Savinel, avant-propos de Ted Hughes
  • La Cloche de détresse (Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1988). Trad. de l'anglais (États-Unis) par Michel Persitz, préface de Colette Audry
  • Letters home, lettres aux siens t.1 ; 1950-56 Sylvia Plath (éditions des Femmes, 1988). Trad. de Sylvie Durastanti

Autour de Sylvia Plath :

  • Gwenaëlle Aubry, Lazare mon amour (L’iconoclaste, 2016)
  • Sylvie Doizelet, La Terre des morts est lointaine (Gallimard, Collection L’un et l’autre, 1996)
  • Valérie Rouzeau, Sylvia Plath, un galop infatigable (Jean-Marc Place, 2003)
  • Lydie Salvayre, 7 femmes (Perrin, 2013)
  • Taïna Tuhkunen-Couzic, Sylvia Plath, Une écriture embryonnaire (L’Harmattan, 2002)

Bibliographie complémentaire :

Hélène Cixoux, Le rire de la méduse, et autres ironies (Galilée, 2010) - Emily Dickinson, Car l’adieu, c’est la nuit (Edition Bilingue, Poésie / Gallimard) choix, traduction et présentation de Claire Malroux - Sigmund Freud, Deuil et mélancolie (Petite bibliothèque Payot) - Robert Graves, Les mythes celtes ; La Déesse blanche (Rocher Sciences Humaines, 2011) - Ted Hughes, Poèmes 1957-1994, traduction par Valérie Rouzeau et Jacques Darras (Gallimard, 2009) - Ted Hugues, Birthday Letters, traduction et présentation par Sylvie Doizelet (Gallimard, 2002) - Robert Lowell, Life Studies (Faber, 2001) - Anne Sexton, Tu vis ou tu meurs – Œuvres poétiques (1960-1969), (éditions des Femmes, 2022), traduite par Sabine Huynh et préface de Patricia Godi - Virginia Woolf, Les Vagues, préface et traduction de Marguerite Yourcenar (Stock, 1937, réédition Le livre de poche)

Film :  Letters home (1984) de Chantal Akerman

Générique

Un documentaire de Pauline Chanu, réalisé par Annabelle Brouard. Prise de son, Marc Garvenes et Tahar Boukhlifa. Mixage, Philip Merscher. Archives Ina, Sophie Henocq. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Page web, Sylvia Favre.

Une photo de Sylvia Plath posée sur sa tombe (05.05.2011), West Yorkshire (Grande-Bretagne)
Une photo de Sylvia Plath posée sur sa tombe (05.05.2011), West Yorkshire (Grande-Bretagne)
© Getty - Amy T. Zielinski - Collection Hulton Archive

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