Carnegie Hall à New York et la Scala de Milan, les festivals de Lucerne et de Verbier en Suisse et, annoncé ce lundi 28 février, la Philharmonie de Paris… Là ne sont que quelques-unes des nombreuses salles et manifestations musicales qui déprogramment les engagements, proches ou plus lointains, du chef russe Valery Gergiev, l’une des baguettes les plus renommées de la planète symphonique et lyrique.

→ EN DIRECT. Guerre Ukraine : suivez les dernières infos sur l’évolution du conflit russo-ukrainien

À Paris, « les concerts de l’Orchestre du Théâtre Mariinsky et Valery Gergiev programmés les 9 et 10 avril dans la grande salle Pierre Boulez sont d’ores et déjà annulés », indique la Philharmonie dans un communiqué. Ajoutant que « l’invasion de l’Ukraine par la Russie va amener la Cité de la musique-Philharmonie de Paris à modifier sa programmation ces prochains mois, par solidarité avec le peuple ukrainien. » Jusqu’à son agent artistique, Marcus Felsner, qui déclare ne plus vouloir le représenter : « Il est devenu impossible pour nous, et clairement indésirable, de défendre les intérêts du maestro. »

Valery Gergiev, artiste boulimique et fougueux, dirige dans le monde entier. Depuis 1995 et sa nomination comme directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam, il a lié son nom à de nombreuses phalanges de stature internationale. À commencer par l’Orchestre philharmonique de Munich, dont il est le directeur musical depuis 2015 (succédant à Lorin Maazel) et qui l’avait sommé de condamner l’invasion russe en Ukraine avant le 28 février… La formation munichoise fait savoir ce 1er mars qu’elle se sépare de Valery Gergiev.

Des positions politiques déjà critiquées

En Russie, le musicien, honoré du statut d’artiste du peuple de la Fédération de Russie depuis 1996, occupe la fonction prestigieuse de directeur général du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Il affiche depuis de longues années sa proximité avec Vladimir Poutine et avait déjà signé la pétition de soutien à l’annexion de la Crimée.

Pourtant, en 2014, dans un entretien accordé à Radio Classique, le chef nuançait son soutien au tout-puissant maître de la Russie : « Nous nous sommes connus à Saint-Pétersbourg, et je le voyais régulièrement au début de sa présidence. Je crois pouvoir dire qu’il avait un réel sens de l’État, avec la volonté de faire le bien de son pays. Mais le pouvoir peut changer les hommes, et Dieu sait si au Kremlin ce pouvoir est puissant. Je ne sais pas dans quel état d’esprit se trouve Poutine désormais. J’aimerais connaître sa position sur la déforestation, par exemple, et sur tous les ravages écologiques dramatiques causés par notre développement économique anarchique », déclarait-il alors…

→ ARCHIVE. Festival de Verbier, vingt-cinq ans de musique sur les cimes

Quoi qu’il en soit, le concert qu’il avait dirigé le 5 mai 2016 dans l’amphithéâtre de la cité antique syrienne de Palmyre, après que la ville avait été reprise à l’État islamique par les forces de Bachar Al Assad soutenues par la Russie, lui avait à nouveau valu de sévères critiques en Occident. Tout comme sa participation à des manifestations musicales en Ossétie du Sud bombardée – sa famille est d’ailleurs originaire d’Ossétie, région du nord du Caucase. Mais sans pour autant que son « carnet de bal » international soit revu à la baisse…

Paria du circuit musical international

La guerre en Ukraine déclenchée par la Russie et aussitôt condamnée par de nombreux artistes russes, à commencer par ses collègues les chefs d’orchestre Semyon Bychkov ou Vladimir Jurowski, les pianistes Evgeny Kissin, Alexander Melnikov et bien d’autres, apparaît donc comme un point de non-retour.

À noter également que Vladimir Urin, le patron du théâtre du Bolchoï à Moscou – qui avait lui aussi approuvé l’annexion de la Crimée –, a signé avec d’autres artistes un appel à cesser « les opérations spéciales en Ukraine ».

Valery Gergiev est ainsi devenu en quelques jours un paria dans la sphère culturelle internationale, alors que sa réputation de star et de tsar de la direction d’orchestre semblait jusqu’ici l’emporter sur « l’inconfort » provoqué par ses positions politiques. La donne s’est inversée, la mansuétude d’hier faisant désormais place à une réprobation unanime.