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GPA : l'Ukraine croule sous les bombes, ces clients français s'inquiètent… pour leur contrat
Une mère porteuse en Ukraine.
AFP

GPA : l'Ukraine croule sous les bombes, ces clients français s'inquiètent… pour leur contrat

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Alors que Kiev est encerclé par les troupes russes et Kharkiv est sous les bombes, des clients français harcèlent les agences ukrainiennes de GPA pour obtenir les informations sur la bonne application de leur contrat commercial.

Une question de priorité. Sur les groupes Facebook fermés dédiés à la gestation pour autrui (GPA) en Ukraine, des clients français se lamentent sur le sort de leurs embryons congelés ou des échecs d’implantations chez les mères porteuses – qu’ils surnomment « nos fées ». Théo* s’insurge : « La clinique Surrogacy CMC n’a pas encore communiqué sur la conservation du matériel génétique, le déroulement des transferts, le fonctionnement des ambassades et de l’administration pour les actes de naissance ».

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En temps de guerre, cette agence n’assure pas le service, se plaignent ces Français. « Nous avons une inquiétude concernant nos embryons actuellement congelés et la durée de leur conservation future. Nous sommes un peu perdus », écrit Théo au gérant de Surrogacy CMC – l’homme réside au Canada, mais la clinique et les employées se trouvent à Kiev, la capitale, et à Kharkiv, la deuxième ville du pays. Ce dernier lui envoie une réponse laconique : « La clinique sera fermée jusqu’à la fin de la guerre. Nous sommes soucieux de la sécurité de nos employés. » Ce message ne plaît pas à l’intéressé, qui a signé un chèque de près de 40 000 euros à cette clinique. Pour ces clients français, le service de GPA doit être à la hauteur… même sous les bombes.

Mères porteuses du Donbass

Selon un message de Inna Yefimovych, du département marketing d'un « centre de reproduction » baptisé Biotexcom, beaucoup de clients dont le contrat est en cours affirment vouloir poursuivre les programmes de fécondation in vitro coûte que coûte. Mi-février, la clinique prévoyait que vingt femmes soient inséminées par semaine. Dans les trois mois à venir, environ 200 bébés devraient voir le jour. Sur le même forum dédié à la GPA en Ukraine, Hugo* se désole ainsi de l’échec de la dernière insémination de sa « fée ». « Ce matin, nous avons appris par notre mère porteuse qu’elle avait fait une fausse couche… Certainement pour donner suite au stress… Nous sommes anéantis… Nous espérons que pour ceux qui sont en plein programme, cela se passe mieux pour vous », écrit-il. Une autre a tenté de faire venir les mères porteuses chez elle pour lui permettre d’accoucher mais a vite abandonné cette solution. « Si elle accouche en France, nous n’avons aucun droit sur l’enfant. Ma mère porteuse est à terme et c’est dangereux », assure Youna*.

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Ces commentaires ne sont pas tous dénués d’empathie. Certains proposent de donner de l’argent à des associations d’aides aux réfugiés, d’autres prennent des nouvelles de leurs anciennes mères porteuses. Mais ces réclamations au cœur du conflit en Ukraine, mettent à jour de façon crue les liens contractuels entre ces clients français et les employées qui portent leurs bébés sous les bombes. Selon les dernières informations, une colonne de chars russes longue de soixante kilomètres encercle Kiev et ce 1er mars, un missile s’est écrasé dans le centre de Kharkiv.

Ces mères porteuses seraient par ailleurs pour beaucoup issues de la région du Donbass, au cœur du conflit en Ukraine depuis 2014, selon le Collectif pour le respect de la personne (CoRP), qui milite pour l'abolition de la GPA. « L’une des conséquences de cette occupation [du Donbass] a été le départ de milliers de personnes vers d’autres régions de l’Ukraine. De nombreuses femmes qui ont vécu ce déplacement sont devenues mères porteuses pour nourrir leurs enfants. Les cliniques qui les utilisent prospèrent », assure Ana-Luana Stoicea-Deram, militante de ce collectif qui étudie depuis un an les liens entre migration des femmes depuis le Donbass et marché de la GPA.

Rassurer la clientèle

Pour rassurer leur clientèle, les cliniques sont prêtes à tout. Même à enjoliver le réel au cœur du conflit. Le 26 février dernier, Biotexcom a ainsi publié sur Facebook la photo d’un poupon, avec cette phrase : « Makes babies, not war », « faîtes des bébés, pas la guerre », en référence au célèbre slogan anti-guerre du Vietnam. La semaine dernière, cette même agence a diffusé une vidéo d’une simulation d’attaque à la bombe. Sous le hurlement des sirènes, les bébés sont dorlotés par des nourrices. Sur les étagères, les couches sont parfaitement triées. Une employée assure la visite et montre les masques à gaz bien rangés et les sacs de couchage en rang d’oignon.

« Nous sommes submergés des questions. Nos patients sont enthousiastes. Nous voulions leur montrer ce que nous allons faire dans le cas d’attaque. Le bunker est divisé en plusieurs zones : zones pour les bébés, adultes, stockage pour la nourriture, avortement etc. », écrit Biotexcom dans un message sur Facebook. « Nous garderons les embryons dans l’abri antiatomique, et nous y cacherons les mères aussi (...) Nous avons tout ce qui est nécessaire pour une telle situation », assurent également les employés de l’agence World Center of Baby – Reproductive Agency, située à Kiev.

* Les prénoms ont été changés.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne