Jean-Luc Mélenchon lors du meeting de La France Insoumise à Montpellier, le 13 février 2022

Jean-Luc Mélenchon lors du meeting de La France Insoumise à Montpellier, le 13 février 2022.

afp.com/Pascal GUYOT

Un droit de réponse de Jean-Luc Mélenchon figure à la fin de cet article*.

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La scène se passe début décembre dans les couloirs de L'Express. Après un débat tendu mais finalement fructueux avec le philosophe Raphaël Enthoven, Jean-Luc Mélenchon se laisse aller à quelques confidences. Durant deux heures, alors que les enregistreurs tournaient, le tribun a clamé avec panache son "universalisme", son refus des essentialismes et sa haine du racisme. Mais en off, le leader de la France insoumise livre sa vision géopolitique, aussi datée que xénophobe.

Mélenchon parle alors de son mépris pour ce qu'il nomme sans détour "les Boches". Aux yeux de Mélenchon, l'Allemagne reste l'ennemi héréditaire, qui aurait des visées hégémoniques sur l'Europe, tout en étant un cheval de Troie de "l'ordolibéralisme". Une rhétorique germanophobe que l'auteur du Hareng de Bismarck n'a cessé de développer ces dernières années contre ces "teutons" coupables d'être "des chimistes", des "pollueurs" amateurs de "grosses bagnoles". Bref, un "poison de l'Europe". Vous avez dit refus de l'essentialisme ?

Aujourd'hui, face à un Vladimir Poutine qui a envahi un Etat souverain et fait poindre la menace nucléaire, la principale inquiétude de Jean-Luc Mélenchon semble être le changement de doctrine de l'Allemagne en matière de défense. "L'Ukraine ne doit pas être un prétexte pour une nouvelle course aux armements. Et surtout pas en Allemagne", a-t-il tweeté le 26 février. Le 8 février, sur son blog, Mélenchon accusait déjà le chancelier allemand, Olaf Scholz, associé aux Américains, de saper les efforts français pour trouver une solution diplomatique à la crise ukrainienne.

Rebelote le même jour : "Deux discours dans deux couloirs, deux registres et pour ainsi dire deux vérités parallèles. Le propos de Macron est un assemblage de phrases creuses sans rapport avec les enjeux réels. Et pour cause. Pendant ce temps, les USA et l'Allemagne menaient la partie d'une nouvelle montée en tension. Dès lors, à ce moment, Macron est hors-jeu. Il ne compte pas. Poutine le sait. Et le traitement qu'il lui réserve en atteste. Le message est destiné au duo de Berlin. Et à ceux qui veulent jouer les malins." Tout à débusquer les stratégies sournoises de ces satanés Allemands et Américains, jamais Mélenchon n'a envisagé l'hypothèse que Vladimir Poutine, comme il l'avait depuis longtemps annoncé, ait planifié une attaque d'envergure contre l'Ukraine.

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Les Etats-Unis, ou plutôt les "Etats-Unis d'Amérique" dans la bouche du leader de la gauche radicale, sont l'autre grande figure maléfique. Fasciné par les courants révolutionnaires sud-américains, Mélenchon n'a cessé de répéter à quel point l'impérialisme américain représenterait le principal danger dans le monde. Quitte à prendre la défense tous ses ennemis, de Hugo Chavez à Vladimir Poutine, et qu'importent leurs propres agissements. Chez Mélenchon, la diabolisation sans nuance de l'Allemagne et des Etats-Unis contraste avec sa complaisance pour le régime autoritaire de Vladimir Poutine, qu'il se refuse à qualifier de dictateur, préférant évoquer un "autocrate" à la "manière de gouverner extrêmement rugueuse".

"Ce pays qui a tant de mal à en être un"...

S'il prône une sortie de l'Otan et un "non-alignement" , Mélenchon a régulièrement appelé à se rapprocher de Moscou. "Si je gouvernais le pays [...], [il faudrait] construire une autre alliance et faire baisser la pression avec les Russes", expliquait-il en 2019 sur la chaîne Thinkerview, avant d'ajouter : "Nous faisons semblant de croire que la Russie va envahir quelqu'un, or la Russie n'a naturellement l'intention d'envahir personne, et surtout pas les pays Baltes." Visionnaire...

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"La rhétorique anti-impérialiste, qui est profondément ancrée dans la culture politique d'une certaine gauche et d'une certaine droite, est un puissant vecteur d'adhésion à la Russie poutinienne, dont l'obsession est de se présenter comme un rempart conservateur face au néolibéralisme américain", notait déjà le chercheur Olivier Schmitt dans Pourquoi Poutine est notre allié ?, anatomie d'une passion française (Hikari Editions, 2016), pointant une "longue tradition" à l'extrême gauche qui consiste à "préférer le premier régime criminel venu aux Etats-Unis".

Chez Mélenchon, l'aveuglement idéologique face au régime de Poutine se double d'une maîtrise quelque peu approximative de la politique russe. Sur les réseaux sociaux est ainsi ressortie la vidéo d'un passage en 2017 dans L'Emission politique sur France 2. Interrogé par David Pujadas sur l'opposant Boris Nemtsov, assassiné en 2015 à quelques mètres de Kremlin, Mélenchon s'emportait alors avec morgue : "Le personnage dont vous me parlez, avec tant de mansuétude, le connaissez-vous ? Savez-vous qui il est ? Savez-vous qu'il était un odieux antisémite ?" Stupeur du journaliste : "Boris Nemtsov ? Mais, enfin Jean-Luc Mélenchon, lui-même d'ascendance juive, il aurait été antisémite ? Je crois que vous confondez avec monsieur Navalny." "C'est possible", concéda Mélenchon, piteux.

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Deux ans auparavant, le même fin connaisseur des arcanes du Kremlin avait qualifié Nemtsov de "libéral fanatique" et de "voyou politique ordinaire", allant jusqu'à écrire que "la première victime politique de cet assassinat est Vladimir Poutine". Complotiste, il soupçonnait, sans aucune preuve, la main des Etats-Unis derrière ce meurtre, afin d'aviver les tensions avec la Russie.

Selon Olivier Schmitt, l'anti-américanisme primaire "consiste à penser que l'intégralité des actions au sein du système international ne seraient que des réactions par rapport à ce que font les Américains. Comme les Etats-Unis sont la plus grande puissance mondiale, les autres ne se positionneraient que par rapport à eux. Quoiqu'il arrive, la cause première serait toujours les Etats-Unis. C'est une vision très réductrice, car cela enlève toute autonomie de décision propre aux acteurs locaux eux-mêmes. Dans le cas de la guerre en Ukraine, cela consiste à dire que Poutine ne fait que se défendre, mais aussi que l'Ukraine ne serait qu'un champ de bataille entre les deux empires qui s'affrontent. Comme si les Ukrainiens eux-mêmes n'existaient pas. Dans cette vision, ils ne seraient que des marionnettes, sans volonté propre."

Dans le même texte sur son blog en 2015, Jean-Luc Mélenchon ne masquait d'ailleurs pas son mépris pour l'Ukraine, ses "nazis" et ses soutiens américains, allant jusqu'à souhaiter la disparition de ce pays fantoche : "Tout repose donc à présent sur le sang froid de Vladimir Poutine et des dirigeants russes. Pas de guerre ! La patience, l'écroulement de l'économie ukrainienne, la désagrégation de ce pays qui a tant de mal à en être un, tout vient à point a qui sait attendre."

*Droit de réponse de Monsieur Jean-Luc Mélenchon

L'article publié par I*Express le 1er mars 2022 sous le titre "Quand Mélenchon souhaitait la désagrégation de I'Ukraine" croit pouvoir qualifier la vision géopolitique de Jean-Luc Mélenchon de "datée et xénophobe". II s'agit d'une vision dévoyée de sa position qui doit être qualifiée de non- alignée. Cette vision géopolitique n'est pas neutre, notamment face aux violations graves du droit international que nous connaissons aujourd'hui. Les propositions de Jean-Luc Mélenchon visent avant tout à promouvoir le retour de la paix et à prémunir notre pays des engrenages guerriers.

De façon contestable, l'article ci-dessus s'appuie sur une note de blog afin de faire croire que Jean-Luc Mélenchon aurait écrit qu'iI "souhaitait" la désagrégation de I*Ukraine. II n'en est rien, puisque Jean- Luc Mélenchon ne faisait alors que restituer la pensée de Vladimir Poutine de l'époque.

Par ailleurs, l'article ne fait pas mention de l'attachement plusieurs fois affirmé par Jean-Luc Mélenchon au principe d'inviolabilité des frontières dans le droit international, tel que cela a été le cas en 2014, au moment de l'annexion de la Crimée. II convient également de rappeler les prises de position de Jean-Luc Mélenchon condamnant très fermement l'invasion récente de l'Ukraine par le régime russe, notamment le 21 février dernier.

Le 24 février, jour de l'invasion du territoire ukrainien par l'armée russe, Jean-Luc Mélenchon a constaté que "la Russie agresse l'Ukraine", parlant d'une "initiative de pure violence" et ajoutant que "la Russie prend la responsabilité d'un recul terrible de l'histoire".

Enfin, cet article va jusqu'à prétendre qu'il aurait comme "principale inquiétude" le changement de doctrine de l'Allemagne en matière de défense, alors même que ce sujet n'a donné lieu qu'à un tweet. Jean-Luc Mélenchon n'a pourtant cessé de condamner l'agression de I'Ukraine par la Russie dans plusieurs notes de blog, interviews, tweets et discours.

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