(Edmonton) Une communauté autochtone du nord de l’Alberta fait état de la possible découverte de 169 tombes non marquées près d’un ancien pensionnat fédéral.

« Nos petits guerriers ont attendu que nous les retrouvions ; maintenant, nous allons nous assurer qu’ils reposent en paix », a déclaré en retenant ses larmes le chef Sydney Halcrow, de la communauté de la première nation Kapawe’no, lors d’une conférence de presse émouvante, mardi. Trouver une tombe, c’est déjà trop, mais en trouver plusieurs, c’est incompréhensible, a dit le chef.

Les tombes présumées ont été découvertes à l’aide d’un radar à pénétration de sol et d’un drone sur le site de l’ancienne mission catholique Grouard, à environ 370 kilomètres au nord-ouest d’Edmonton.

Kisha Supernant, cheffe de projet et directrice de l’Institut d’archéologie des Prairies et des territoires autochtones à l’Université de l’Alberta, a soutenu que cette découverte venait corroborer ce que les survivants et les anciens avaient déjà raconté, et marquait le début d’un long voyage pour trouver des réponses. « Il reste encore beaucoup à faire […] pour ramener ces enfants à la maison », a-t-elle déclaré.

Les chercheurs se sont concentrés sur une petite parcelle de terrain autour du pensionnat de la mission Grouard, également appelée Saint-Bernard. Ils indiquent que 54 tombes potentielles ont été localisées autour de l’église, d’une ancienne résidence de religieuses et d’un ancien caveau à légumes ; 115 autres ont été identifiées dans le cimetière communautaire de la mission.

Mme Supernant a déclaré que la paroisse avait fourni des registres d’inhumation indiquant que les enfants décédés alors qu’ils vivaient au pensionnat étaient enterrés dans des tombes non marquées. Certains des noms fournis par l’Église ont été inclus dans un registre des enfants disparus créé par le Centre national pour la vérité et la réconciliation.

Surtout de petits Métis

L’anthropologue Supernant, qui est Métisse, a déclaré que des membres de sa famille figurent dans les dossiers de ceux qui sont morts au pensionnat. « Chacun de ces enfants était un membre bien-aimé d’une famille et personne n’a été tenu responsable de leur mort », a-t-elle déploré.

Le pensionnat a été ouvert par l’Église catholique en 1894 et a fonctionné jusqu’en 1961. Il comptait une large population de Métis.

La Commission de vérité et réconciliation a entendu des témoignages de survivants de ce pensionnat sur de graves agressions sexuelles et physiques, sur du travail forcé et sur la transmission de maladies. La Commission, qui a recueilli les récits de survivants et a publié un rapport final en 2015, a documenté des signalements de 10 décès d’élèves à ce pensionnat.

Le survivant Frank Tomkins a raconté qu’une fois, le personnel du pensionnat a obligé un garçon qui ne pouvait pas contrôler ses intestins à manger de ses propres excréments.

La survivante Rita Evans est allée à ce pensionnat pendant quatre ans. Elle a raconté à la commission qu’il y avait beaucoup d’enseignement religieux et de dur labeur, mais peu d’instruction en classe. « Nous étions toujours en train de prier et de ne rien apprendre, et quand je suis sorti de la 6e année, mon Dieu, je ne savais rien, vous savez, à part le travail, le travail », a témoigné Mme Evans.

Environ 150 000 enfants des Premières Nations, inuits et métis ont fréquenté des pensionnats fédéraux, souvent administrés par des communautés religieuses. La commission a documenté au moins 4100 décès.

Deux autres sites potentiels

La Première Nation de Kapawe’no prévoit de poursuivre ses recherches d’enfants qui ne sont jamais rentrés à la maison sur deux autres sites. D’après les témoignages des survivants, on se concentrera sur l’église anglicane tout près et un endroit où avaient leurs quartiers des fonctionnaires fédéraux et la Police montée du Nord-Ouest, ancêtre de la Gendarmerie royale du Canada.

Arthur Noskey, grand chef du « Traité 8 », qui couvre la communauté de Kapawe’no, a déclaré que chaque fois que des tombes potentielles sont localisées, « c’est comme si cette blessure ne pouvait pas guérir ».

« Quand vous pensez que ça ira mieux, la plaie se rouvre à nouveau », mais la guérison ne viendra pas sans réponses, a-t-il ajouté. Et il est important que le monde voie que ces institutions n’étaient pas des écoles, a-t-il dit. « J’espère que les enfants que nous avons trouvés pourront maintenant se reposer en sachant que nous les avons trouvés. »

Le « Programme de soutien en santé : résolution des questions des pensionnats indiens » offre une ligne d’écoute téléphonique aux anciens élèves des pensionnats et à leurs proches qui souffriraient de traumatismes causés par le rappel d’abus passés. Le numéro est le 1-866-925-4419.