Disparition

Jean-Pierre Pernaut, TF1 de vie

Patron du JT de 13 heures de la Une pendant trente-trois ans, le journaliste est décédé ce mercredi à 71 ans d’un cancer du poumon. Il incarnait une France profondément mais discrètement réac.
par Adrien Franque
publié le 2 mars 2022 à 17h44
(mis à jour le 2 mars 2022 à 18h34)

On aurait tort de ne penser la télévision qu’en termes d’images, elle est d’abord un meuble. Chaque midi pendant trente-trois ans, au moment de l’allumer, Jean-Pierre Pernaut en a été le rendez-vous rassurant, confortable. Mercredi, le journaliste est mort à 71 ans d’un cancer du poumon. Pendant un tiers de siècle, l’Amiénois à la mâchoire carrée a sanctuarisé le 13 heures de TF1 en magazine de la France des clochers, équivalent d’un marché paysan du dimanche matin ou une carte postale franchouillarde qu’on sort du tiroir par accès de nostalgie, c’est selon. Avec le succès que l’on connaît, pour l’un des programmes télé les plus regardés d’Europe.

Le calcul était d’abord purement commercial : après l’acquisition en 1987 de TF1 tout juste privatisée, le groupe Bouygues a remplacé le turbulent Yves Mourousi par le solide Pernaut aux sourcils déjà broussailleux, encore joker du 20 heures. La question : qui regarde le 13 heures ? Réponse : sûrement pas les Parisiens actifs qui déjeunent sur leur lieu de travail. Mais tous ceux qui retournent chez eux entre midi et deux, en plus des retraités, de tous ces adeptes de la télé en journée qui demandent d’abord en allumant leur meuble une présence familière. Exit alors l’information trop internationale, trop économique, trop politique. Jean-Pierre Pernaut ne sera plus que ça : l’actualité des terroirs et de la France rurale, des microtrottoirs de marchés et des vieux métiers qui disparaissent. Il choisit de s’appuyer sur le réseau de correspondants «en régions» (le mot province, trop parisianiste, est évidemment banni) de la première chaîne. Résultat : des audiences comme on en avait rarement atteint, des 40 % de parts de marché qui tombaient à horaires réguliers, des cinq millions de téléspectateurs chaque jour entre le fromage et le dessert.

Libéral conservateur

A 13 heures, un consensus français, soit la raison d’être de TF1, puissant diffuseur d’imaginaires sans jamais avoir l’air d’y toucher. Celui de Jean-Pierre Pernaut a eu le temps d’infuser. Fièrement libéral conservateur, pas à une contradiction près, l’ancien journaliste économique, présentateur deux décennies durant de Combien ça coûte ?, défendait à la fois le consumérisme à tous crins et se désespérait de la disparition des petits commerces de proximité. Invariablement, Pernaut «cocoricotait» à chaque exploit sportif tricolore. Lui le passionné de sport automobile, grognait à chaque grève de la SNCF, éructait de plaisir les jours de beau soleil à Quimper et s’inquiétait pour ceux de pluie à Biarritz, dans une météo qui ouvrait systématiquement son journal.

Enfin, il s’émerveillait pour le reportage annuel sur la cathédrale d’Amiens, lui qui a grandi non loin, à Quevauvillers, fils d’une pharmacienne et d’un directeur d’une usine de machines-outils. Il était père de quatre enfants, dont deux avec Nathalie Marquay-Pernaut, Miss France 1987, une union qui lui vaudra des tonnes de couvertures de la presse people.

Sous ses airs de JT de la bonne humeur, le 13 heures de Pernaut, que Libération a toujours adoré détester, était fondamentalement pessimiste - chaque sujet semblait devoir comporter au moins un Français qui se plaint. Politique sans en avoir l’air. Au fur et à mesure, l’homme tronc s’était mué en éditorialiste de comptoir, glissant en contrebande ses impressions populo entre deux reportages d’un JT formaté par essence.

La crise sanitaire lui aura même donné l’occasion d’une éphémère pastille de coups de gueule confinés. Se rêvant certainement héritier de ce porte-parole d’une certaine France rurale, le Premier ministre Jean Castex a salué sa mémoire mercredi : «La France des territoires perd cette voix familière et ce visage rassurant qui parlait si bien d’elle et savait si bien lui parler.» Enchaînant sur un lyrique «pas un hameau de notre pays ne lui était inconnu, pas une tradition de nos terroirs ne lui était étrangère».

Une vie de TF1. Sorti de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, Jean-Pierre Pernaut y avait fait son entrée dès la création de la chaîne, en janvier 1975. Sa sortie du 13 heures, en décembre 2020, après avoir enchaîné les soucis de santé, avait été abondamment commentée. Et son dernier journal avait rassemblé plus de 8,1 millions de téléspectateurs, son record d’audience depuis août 2007. Mais Pernaut avait continué à œuvrer pour le groupe Bouygues et TF1, se démultipliant sur Internet avec une plateforme de vidéos en ligne (JPP TV), un magazine forcément terroir (Au cœur des régions) et une émission dominicale sur LCI (Jean-Pierre & vous). Dans la rédaction de la première chaîne, Pernaut était autant le présentateur aux accès de colère impromptus que le journaliste volontiers transmetteur et proche de ses équipes, fervent protecteur des correspondants régionaux. «Il a mis un point d’honneur à proposer un journal qui réponde aux préoccupations quotidiennes de nos concitoyens et inventé l’information de proximité», a déclaré la première chaîne dans un communiqué. Avec sa mort, c’est un peu de son identité que perd TF1.

Mis à jour à 20 heures avec davantage de contextes et les réactions de TF1, de Jean Castex et de Nathalie Marquay-Pernaut.

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