Non, on n’a toujours pas de preuve que les vaccins à ARNm changent notre ADN

L’affirmation: «Une connaissance qui est à la limite du conspirationnisme m’a envoyé une étude parue le 25 février dans la revue savante Current Issues in Molecular Biology. Je n’ai pas le bagage pour comprendre l’ensemble des termes et de la méthodologie, mais ses auteurs semblent conclure que le vaccin de Pfizer «réécrit» une part de notre ADN (dans le rein de ma compréhension). Est-ce vrai ?», demande Hubert L, de Québec, qui a demandé à ne pas être nommé par peur de représailles sur les réseaux sociaux.


Les faits

L’étude en question a rapidement fait le tour des réseaux anti-vaccin, qui l’interprètent systématiquement comme la «preuve» que les vaccins à ARN-messager sont capables de changer le génome humain. Or ce n’est pas ce que dit l’article. Ses auteurs eux-mêmes, une équipe de l’Université de Lund, en Suède, admettent qu’«à ce stade-ci, nous ne savons pas si l’ADN rétrotranscrit à partir BNT162b2 [ndlr : un des noms du vaccin de Pfizer] est intégré dans le génome de la cellule». Tout ce que cette étude-là a fait, c’est de regarder si l’ARNm que contient le vaccin — et qui, pour rappel, fournit à nos cellules l’information qu’il faut pour assembler une protéine du SRAS-CoV-2, contre laquelle notre système immunitaire réagit ensuite — 

peut être transformé en ADN, qui est la forme de matériel génétique dans laquelle notre génome est conservé. Et encore, même de ce point de vue, l’article ne semble pas avoir convaincu grand-monde dans la communauté scientifique, j’y reviens tout de suite.

La règle générale, en biologie, est que l’information contenue dans nos gènes (sous forme d’ADN) peut être transcrite en ARN, mais que le chemin inverse (de l’ARN vers l’ADN) ne se fait presque jamais. Certains virus que l’on appelle «rétrovirus», dont le VIH fait partie par exemple, sont capables de convertir leur propre ARN en ADN, et ensuite de le loger dans le noyau de la cellule hôte. Mais chez les cellules humaines, cette capacité est presque totalement absente. Nous avons bien des gènes qui, lorsqu’ils sont activés, peuvent faire produire à nos cellules des enzymes qui «traduisent» l’ARN en ADN, mais ils ne sont normalement jamais exprimés.

L’équipe de l’Université de Lund a justement examiné l’activité de l’un de ces gènes, nommé LINE-1, chez des cellules de foie humain exposées in vitro à de fortes concentrations du vaccin de Pfizer. Ils ont interprété leurs données comme montrant que le vaccin active bel et bien ce gène «en seulement quelques heures», et ils ont également détecté la séquence génétique du vaccin sous la forme d’ADN à l’intérieur de leurs cellules. De là, ils concluent que l’idée que cet ADN pourrait être intégré au génome est «une question ouverte pour de futures études», m’a écrit l’auteure principale de l’article, Yang De Marinis.

Or ce n’est pas la lecture qu’en ont faite plusieurs scientifiques, qui ont souligné plusieurs faiblesses majeures de l’étude. Voici quelques-unes des principales.

- LINE-1 activé (ou pas). Quand on regarde les données de l’étude, on se rend compte que le gène LINE-1 n’est vraiment exprimé davantage qu’à la dose la plus forte testée, soit 2 microgramme par millilitre (µg/ml), et seulement après 6 heures d’exposition. À 1 µg/l, le vaccin ne fait pas de différence, et même qu’à 0,5 µg/ml, les cellules exprimaient moins LINE-1 que les «contrôles». En outre, après 24 et 48h, les cellules non exposées au vaccin exprimaient ce gène davantage — ce qui est donc l’inverse de ce qu’on devrait voir si le vaccin activait LINE-1. C’est une des critiques que la virologue de l’Université de Montréal Nathalie Grandvaux a fait valoir sur son fil Twitter, de même que l’oncologue américain David Gorski sur son blogue.

- Doses massives. Les concentrations auxquelles les cellules ont été exposées étaient absolument titanesques. Même la plus faible concentration (0,5 µg/ml) équivaut environ 1 million de fois plus la «dose par kg de poids corporel» que le vaccin de Pfizer représente pour un adulte de 70 kg. À cela, Mme De Marinis répond que le vaccin n’est pas uniformément réparti dans le corps et se concentre surtout au site d’injection — ce qui est 100 % vrai. Son étude justifie l’usage de cellules du foie par des données de pharmacokinétique (ce qu’un vaccin/médicament devient une fois dans le corps, où il va, etc.) montrant une certaine accumulation dans cet organe. Sauf que ces données-là n’ont pas suivi le devenir de l’ARNm du vaccin à proprement parler, mais plutôt de la microcapsule de lipides dans laquelle l’ARNm se trouve. Or on a d’excellentes raisons de penser que ces lipides, l’ARNm et la protéine virale qui est produite ne sont pas métabolisés de la même manière, ni ne finissent aux mêmes endroits. Il n’est donc pas clair du tout qu’il s’agit là de concentrations reflétant de façon le moindrement réaliste ce qui se passe dans le foie.

- Cellules cancéreuses. Même en présumant que le «dosage» est réaliste, il demeure que les auteurs de l’étude ont fait leurs tests sur une lignée de cellule hépatique bien particulière : des cellules cancéreuses. Or, et c’est un point majeur, les cellules cancéreuses sont justement connues pour exprimer le gène LINE-1, a noté le biochimiste américain Edward Nirenberg. Le fait qu’elles aient exprimé ce gène et aient apparemment rétrotranscrit un peu d’ARNm en ADN n’a donc rien d’étonnant et possiblement rien à voir avec le vaccin : c’est le comportement auquel on s’attendrait de la part de cellules «déréglées» comme celles-là.

En bout de ligne, estime pour sa part le chercheur en vaccinologie de l’Université Laval Denis Leclerc, «je trouve que c’est faire beaucoup de bruit avec pas grand-chose». Il n’était pas sans intérêt d’aller voir «l’effet des hautes doses de vaccin sur l’intégration dans le génome», dit-il, mais il reste que ce qui est décrit dans l’étude est, dans des conditions réalistes, extraordinairement improbable. «Même si on présume que l’événement extrêmement rare qu’est la rétrotranscription (ARNm à ADN, ndlr) se produit, ensuite ça prend un autre événement extrêmement rare pour que l’ADN aille s’intégrer au génome. Et même là, environ 95 % du génome est non-codant [ndlr : ne contient pas d’information pour assembler des protéines], alors il y a beaucoup d’endroits où une insertion dans le génome serait sans grande conséquence.» 

Verdict

Loin de prouver le changement du génome. Les auteurs de l’étude eux-mêmes admettent volontiers qu’ils n’ont démontré que la transformation de l’ARN vaccinal en ADN, et non son intégration dans le noyau de la cellule. Et même cette «démonstration» est très contestée par la communauté scientifique.