Chaque jour, la liste s’allonge. Au cours des deux derniers jours, de très grosses entreprises américaines comme Apple, Disney ou ExxonMobil ont annoncé qu’elles allaient « quitter la Russie ». Ce désengagement s’inscrit dans le cadre des sanctions décidées par les dirigeants politiques de l’Union européenne, des États-Unis ou encore du Royaume-Uni.

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Toutefois, le mode de présence et les types d’activités couvrent un si large spectre que la situation des entreprises concernées est loin d’être uniforme.

Présence commerciale ou industrielle

« La décision de s’arrêter est relativement facile, quand l’entreprise n’a qu’une représentation commerciale, fait valoir Michel Noiry, PDG du cabinet de conseil en management Origa. Celle-ci peut ne consister qu’en quelques représentants, alors les pertes seront minimes. » Il convient de liquider le stock et renoncer au chiffre d’affaires et aux marges que représente le marché russe.

Plus complexe est la décision de se retirer lorsqu’elle émane d’entreprises dont l’implantation russe est plus significative sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Certaines d’entre elles ont une empreinte industrielle importante dans le pays. C’est par exemple le cas de Volvo Group, qui a annoncé la mise à l’arrêt de son usine de construction de poids lourds, à Kaluga, à 150 kilomètres au sud-ouest de Moscou, d’où sortent habituellement 5 000 camions par an.

Pas de possibilité de vendre des actifs

« Les entreprises étudient les différents scenarios au sein de cellules de crise, explique Jean-Philippe Bernard, associé chez RSM, un réseau d’audit-conseil. Elles élaborent une stratégie, selon la durée anticipée du conflit, et selon les gains et les pertes sur leur réputation. » L’annonce médiatisée d’un « retrait », faite sous la pression des événements, n’est ensuite pas forcément facile à mettre en œuvre. « La question à se poser est de savoir à quoi l’entreprise est tenue juridiquement », poursuit Jean-Philippe Bernard.

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Ainsi, toujours dans les poids lourds, Daimler-Benz aimerait céder sa participation à hauteur de 15 % dans le producteur de camions Kamaz. Mais l’allemand se heurte à une loi russe interdisant la cession d’actifs. « Cela arrive qu’on se retrouve coincés, avec des actifs qui ne valent pas grand-chose », résume Michel Noiry. En effet, quand bien même l’entreprise allemande parviendrait à trouver une voie légale pour céder ses parts, la forte dévaluation du rouble rend l’opération très hypothétique.

Les compagnies pétrolières hésitent

Annoncées dans l’urgence, les décisions de retrait heurtent les habitudes des dirigeants d’entreprise, qui préfèrent raisonner sur le temps long. « C’est compliqué de quitter un pays, reprend Michel Noiry. En Russie, beaucoup d’entreprises, depuis trente ans, ont tissé un réseau, nourri leur présence… Il leur est difficile de faire machine arrière. »

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Des tergiversations qui expliquent pourquoi les grandes compagnies pétrolières ne sont pas unanimes. Si ExxonMobil annonce publiquement qu’elle se retire de Russie, en réalité, elle renonce à investir dans de nouvelles explorations, mais garde la main sur les revenus procurés par le pétrole russe. De même, TotalEnergies se montre prudent dans ses prises de position, malgré la pression exercée par Bercy.

La mise en sommeil, une conséquence « subie »

Dans ce contexte d’incertitude, un dirigeant peut-il choisir de rester au pays tout en fonctionnant au ralenti ? « Cette sorte de mise en sommeil sera plus la conséquence subie par les chefs d’entreprise qu’un vrai choix, fait valoir Jean-Philippe Bernard. Puis il faudra décider à quelle vitesse et à quel niveau il faut réinjecter des liquidités, si une reprise s’annonce. »

Avant cela, le « retrait » annoncé des entreprises européennes ou américaines est de toute façon une forme d’obligation. Airbus puis Boeing ayant stoppé l’acheminement de pièces détachées, « cela pourrait entraîner des problèmes de sécurité dans l’espace aérien » relevait, lors de son point presse quotidien, la chambre de commerce et d’industrie franco-russe. L’ensemble de l’activité de maintenance aérienne devrait donc bientôt s’arrêter en Russie, alors que la plupart des compagnies russes volent avec des appareils américains ou européens.