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En brefNucléaire

Trop-plein de déchets radioactifs : le gendarme du nucléaire s’inquiète

Usine de retraitement de La Hague.

L’entreposage des combustibles nucléaires usés était au cœur des discussions entre l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), EDF et Orano, jeudi 10 février, a indiqué l’ASN dans une note publiée le 1er mars. Alors que les piscines d’entreposage de l’usine Orano de La Hague (Manche) pourraient arriver à saturation avant 2030, les exploitants planchent sur trois options pour gérer les combustibles usagés en attendant l’aboutissement du projet de nouvelle piscine d’entreposage centralisé d’EDF, prévu à l’usine de La Hague en 2034.

Les possibilités : mettre davantage de combustible usé dans les piscines existantes (la « densification »), l’entreposer dans des châteaux de combustible (« entreposage à sec ») ou utiliser davantage de combustible Mox dans les réacteurs. « Le cycle du combustible présente actuellement très peu de marges », a alerté le gendarme du nucléaire, qui craint que « la poursuite d’un fonctionnement dégradé de l’usine Melox ou toute autre situation affectant le bon fonctionnement des usines du cycle du combustible pourrait conduire à un engorgement des entreposages de matières ».

Reprenons depuis le début. La France compte 56 réacteurs nucléaires en fonctionnement. La plupart sont alimentés par du combustible à base d’uranium dit « naturel », c’est-à-dire issu du minerai converti puis enrichi. Après avoir passé trois à cinq ans dans la cuve, le combustible usé refroidit pendant deux ans dans un bassin près du réacteur puis est acheminé à l’usine de La Hague pour y être retraité. Deux matières radioactives sont issues de cette série d’opérations mécaniques et chimiques : l’uranium issu du retraitement (URT) et le plutonium. Ce dernier, mélangé à de l’uranium appauvri, sert à fabriquer un nouveau type de combustible : le Mox. Actuellement, 22 réacteurs peuvent être alimentés par ce mélange. À noter que le retraitement est une spécificité française — et russe —, les autres pays nucléarisés considérant les combustibles usés comme des déchets.

Problème : une fois usé, le combustible Mox n’est actuellement ni retraité ni réutilisé. D’où son accumulation dans les piscines de La Hague et le risque de saturation de ces dernières d’ici 2030. « EDF prévoit de construire, sur le site de La Hague, une piscine d’entreposage centralisé, destinée à l’entreposage de combustibles dont le traitement n’est pas envisagé à court ou moyen terme, explique l’ASN dans sa note. Ce projet a cependant pris du retard et ne serait pas disponible avant 2034. » Afin de pouvoir continuer à gérer le combustible usé d’ici là, les exploitants explorent trois possibilités : la « densification des piscines d’entreposage de La Hague », le « développement d’un concept d’entreposage à sec », et l’« augmentation de l’utilisation de combustible Mox en réacteurs ».

Filière menacée ?

Le gendarme du nucléaire a mis la pression aux exploitants pour avancer au plus vite sur ces pistes. Même si la densification ne pourrait à ses yeux constituer une « solution pérenne », l’ASN a notamment demandé à Orano « d’accélérer la réalisation de certaines études de génie civil pour l’INB 116 [1] de La Hague », a-t-elle indiqué dans sa note. Objectif, « apprécier l’éventuelle augmentation de l’inventaire radiologique dans cette installation au regard d’une démonstration actualisée de sa résistance aux événements extrêmes ». D’après Greenpeace, les piscines de La Hague accueillaient déjà en 2019 quelque 10 000 tonnes de combustibles irradiés — l’équivalent de plus de 110 cœurs de réacteurs —, faisant de l’usine manchoise d’Orano l’un des sites les plus nucléarisés au monde.

Quant à l’entreposage à sec des combustibles usés, il constituerait un véritable changement de doctrine pour la filière nucléaire française. Cette option avait été officiellement étudiée pour la première fois en 2018 par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), à la demande de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité nucléaires. Mais elle reste tabou, en ce qu’elle pourrait signifier la fin de la filière de retraitement française — il est en effet quasi impossible de « recycler » des combustibles confinés dans des châteaux. Or, le gouvernement avait glissé en catimini la poursuite du retraitement jusqu’en 2040 dès les premières moutures de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), en mars 2019.

Cela dit, le risque de saturation des piscines de La Hague fait peser une réelle menace sur l’avenir de la filière de retraitement. La construction d’une nouvelle piscine d’entreposage centralisé n’est pas acquise. EDF avait d’abord envisagé ce projet à la centrale de Belleville-sur-Loire (Cher), mais avait dû battre en retraite en juin 2020 devant l’opposition locale. Déménagé en catastrophe à La Hague, le projet est de nouveau vivement contesté par une partie de la population. Dans ses vœux à la presse en janvier 2022, l’ASN a pointé le délabrement des installations du cycle et a pressé les exploitants de réfléchir à la fin du retraitement.

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