La mortalité infantile connaît une hausse inquiétante en France

La mortalité infantile connaît une hausse inquiétante en France
© Christian Bowen, Unsplash

C’est une augmentation qui inquiète la communauté scientifique au plus haut point. Le taux de mortalité infantile a bondi de 7 % entre 2012 et 2019 en France, selon une étude publiée dans la revue The Lancet le 1er mars.  Le manque de fonds alloués aux recherches sur le sujet empêche pour le moment d’établir les causes précises de cette inquiétante progression.

« C’est une augmentation significative et, pourtant, le gouvernement n’en fait rien ». L’urgence est là, selon Martin Chalumeau, pédiatre, épidémiologiste et co-auteur de l’étude « Augmentation historique récente de la mortalité infantile en France : Une analyse de séries chronologiques, 2001 à 2019 », paru dans la revue The Lancet le 1er mars. Depuis 2012, le taux de mortalité infantile (TMI) n’a cessé d’augmenter, après une baisse continue depuis la Seconde Guerre mondiale, à l’inverse d’autres pays comme le Japon, la Finlande ou l’Islande dont le TMI continue de diminuer. 

La France a ainsi chuté du 7e rang mondial en 1989 au 25e rang en 2017, avec 3,5 décès pour 1000 naissances en 2017. En Suède ou en Finlande, la mortalité infantile, elle, se situe aux alentours de 2 pour 1 000 naissances. « Si on avait le taux de mortalité de la Suède ou de la Finlande, il y aurait chaque année 1 200 décès d’enfants de moins d’un an en moins, nous explique Martin Chalumeau. C’est plus que conséquent ».

Les chercheurs de l’insert se sont basés sur les données d’état civil de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) entre 2001 et 2019 pour cette étude. « Cette période comprend les séries les plus longues dont nous disposions, avec les variables pertinentes (par exemple, le nombre de naissances vivantes par mois selon le sexe), au moment de notre analyse », avancent les auteurs, expliquant par ailleurs qu’ils n’ont pas inclus les données des années suivantes en raison de l’expansion de pandémie de Covid-19 qui aurait pu fausser les résultats. 

Si le taux de mortalité infantile avait d’abord fortement diminué entre 2001 à 2005, puis de façon plus lente de 2005 à 2012, il a finalement rebondi entre 2012 et 2019, passant de 3,32 à 3,56 décès pour 1 000 naissances en 2019. « Cela représente une hausse de 7 %. C’est tout de même conséquent », estime Martin Chalumeau.

Des hypothèses mais aucune certitude

« Malgré cette circonstance, la réduction du TMI en France n’a pas été identifiée comme un objectif prioritaire par les autorités de santé publique », écrivent les auteurs du rapport, déplorant le manque de fonds pour mener des recherches permettant de déterminer les causes de la hausse de la mortalité infantile. « Aujourd’hui, on ne peut qu’avancer des hypothèses », nous explique Martin Chalumeau. Les principaux facteurs de risque de décès néonatals précoces rapportés en France restent la prématurité et la présence d’anomalies congénitales, eux-mêmes affectés par la santé de la mère avant et pendant la grossesse ainsi que par les facteurs socio-économiques en amont qui affectent le bien-être de la famille.

« En ce qui concerne la santé maternelle avant et pendant la grossesse, les enquêtes nationales périnatales françaises ont révélé que l’âge maternel, l’indice de masse corporelle et le tabagisme pendant la grossesse avaient augmenté de façon constante pendant la période d’étude », remarquent les auteurs. La proportion de mères de plus de 35 ans, passée de 12,5 % à 21,3 % entre 1995 et 2016, et de femmes en état d’obésité, passée de 7,5 % à 11,8 % entre 2003 et 2016, peuvent donc avoir un impact sur la hausse du taux de mortalité infantile.

Par ailleurs, près d’un quart des femmes ayant accouché en 2018 sont nées à l’étranger, et cette proportion est en augmentation. « Les migrants présentent un risque plus élevé de recours inadéquat aux soins prénataux, potentiellement lié aux inégalités sociales, avancent les chercheurs. Ils présentent donc un risque plus élevé d’issues maternelles et fœtales défavorables ».

Malgré ces hypothèses, Martin Chalumeau insiste sur la nécessité de continuer les recherches pour avoir des données fiables. « On a besoin de connaître les caractéristiques des parents et des bébés, estime-t-il. Par exemple, il faudra savoir si la maman était en situation de défaveur sociale, d’obésité, si elle avait des maladies, si elle est migrante, si elle a souffert de violence, ou si le bébé était prématuré, s’il avait un retard de croissance, comment s’est passée la naissance…  Tout cela, on ne le sait pas aujourd’hui », déplore-t-il. 

La pauvreté : l’une des causes potentielles de la mortalité infantile

Bien que la France manque de données, des leçons peuvent être tirées des pays anglo-saxons qui ont publié de nombreuses études, notamment sur l’impact de la pauvreté sur la mortalité infantile. L’Angleterre a par exemple connu une augmentation soutenue du taux de TMI depuis 2014, en partie attribuée à la pauvreté. En effet, une étude parue dans la revue BMJ Open en 2019 avance qu’un tiers de l’augmentation de la mortalité infantile entre 2014 et 2017 peut être attribué à la hausse de la pauvreté des enfants, ce qui équivaut à 172 décès infantiles supplémentaires. Dans les collectivités locales les plus défavorisées, la tendance à la baisse de la mortalité infantile s’est inversée et la mortalité a augmenté, entraînant 24 décès infantiles supplémentaires pour 100 000 naissances vivantes par an, par rapport à la tendance précédente.

« Le rôle de la défaveur sociale est une hypothèse importante »
Martin Chalumeau pédiatre et épidémiologiste

Aux États-Unis, la mortalité infantile et maternelle chez les Afro-Américains et les Latino-Américains est plus de deux fois supérieure à la moyenne nationale, le système de santé profitant majoritairement aux citoyens blancs. Le taux de mortalité post-néonatale américain – se situant à 5,9 décès infantiles pour 1 000 naissances vivantes – est presque entièrement dû à une surmortalité chez les personnes de statut socio-économique inférieur, rapporte le magazine Forbes. Finalement, les enfants nés de femmes blanches ayant fait des études supérieures ont un taux de mortalité presque égal à celui de leurs homologues européens. Pour Martin Chalumeau, si on ne peut pas vraiment appliquer ces analyses à la France « puisque le contexte socio-économique n’est pas exactement le même », « le rôle de la défaveur sociale est une hypothèse importante ». « La précarité des mamans est inquiétante et on pourrait le quantifier si on avait plus d’informations », conclut-il.