Comment l'enseignement de la guerre d'Algérie a-t-il évolué ?

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Comment l'enseignement de la guerre d'Algérie a-t-il évolué ?

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Des soldats harkis dans un village, combattants algériens en uniforme supplétif de l'Armée Française, près de Kreider dans le sud oranais, en août 1959 lors de la guerre d'Algérie
Des soldats harkis dans un village, combattants algériens en uniforme supplétif de l'Armée Française, près de Kreider dans le sud oranais, en août 1959 lors de la guerre d'Algérie
© Getty - Jean-Louis SWINERS

L'histoire scolaire des relations entre la France et l'Algérie, de la colonisation au conflit des mémoires en passant par la guerre d'Algérie, a énormément évolué. En parallèle, un "problème" de l'enseignement de la guerre d'Algérie se construisait.

Il y a un an, l'historien Benjamin Stora remettait son rapport sur les "questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie" à Emmanuel Macron. Parmi ses recommandations, celle d'accorder davantage de place à l'histoire de la France en Algérie dans les programmes scolaires français, de la conquête coloniale française au XIXe siècle à la guerre d'Algérie. 

Longtemps restée une "guerre sans nom", cette histoire s'accompagne d'une "dispute de mémoires" qu'il convient de réconcilier, selon la formule généralement adoptée. "Les relations entre les deux pays (...) restent soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, difficiles, complexes, tumultueuses", écrit Benjamin Stora, avant d'indiquer que la rédaction commune d’un livre scolaire entre les deux pays, sur le modèle du manuel franco-allemand "Histoire/Geschichte" publié aux éditions Ernst Klett Verlag (Stuttgart) et Nathan (Paris) en 2006, "n'est pas envisagée"... ni envisageable ? Entrée dans l'enseignement technique dans les années 1970 en France, la guerre d'Algérie intègre les manuels scolaires des lycées en 1983, cristallisant, comme souvent au sujet des programmes scolaires, des controverses qui les dépassent. Comment l'enseignement de la guerre d'Algérie en France, et les interrogations qu'il a pu susciter, ont-ils évolué ?

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Du Grain à moudre
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Une histoire aux prises avec des mémoires concurrentes 

"Quand on en est réduit à chercher sur Wikipédia des renseignements sur un pays dont on est censé être originaire, c'est peut-être qu'il y a un problème", écrit Alice Zeniter au début de son roman L'Art de perdre (Flammarion, 2017), fresque retraçant le destin, entre la France et l'Algérie, de plusieurs générations d'une même famille liée par un passé tu. A bien regarder la page Wikipédia française consacrée plus précisément à la guerre d'Algérie, on voit qu'elle est aussi l'objet de tensions entre histoire et mémoires ; floquée d'un petit sigle "3R" (pour "règle des trois révocations"), elle est le terrain constant d'une "guerre d'édition" entre des contributeurs qui ont mutuellement effacé leurs apports respectifs.  

C'est qu'en tant qu'objet de querelles mémorielles, le sujet est soumis à des enjeux d'ordre politique. Cette année par exemple, marquée par le 60e anniversaire de la fin de la colonisation française en Algérie, la commémoration des accords d’Evian et du cessez-le-feu en Algérie (18 et 19 mars 1962) soit trois semaines avant le premier tour de l'élection présidentielle, est l'occasion de discours volontaires d'élus et personnalités politiques. En septembre, Emmanuel Macron avait ainsi déclaré à des descendants de la guerre d'Algérie que "la nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle", trois ans après avoir déclaré à Alger que "la colonisation [était] un crime contre l’humanité". Si "rente mémorielle" il y a, elle se joue aussi dans les débats politiques, constate alors Benjamin Stora, où se mêlent discours sur la reconnaissance du passé colonial et théorie complotiste et identitaire du "grand remplacement''...   

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Du fait de la vivacité de ces controverses qui s'emparent depuis des années de l'histoire des liens entre la France et l'Algérie, celle-ci est perçue comme un sujet délicat à enseigner. Elle l'est aussi, dit-on, dans la mesure où il s'agit d'une histoire relativement récente du point de vue de la recherche scientifique, et que les multiples acteurs de ce conflit ainsi que leurs descendants - les appelés, les engagés, les harkis, les pieds-noirs, les militants pour ou contre l'indépendance, les combattants et militants du Front de libération nationale (FLN) et du MNA (Mouvement national algérien), ceux de l’Organisation armée secrète (OAS) ou des familles des victimes du FLN, ... - font la société française contemporaine, tous chargés qu'ils sont de mémoires différentes, voire concurrentes, de cette période. Aussi, pour les porteurs de cette mémoire, l'enjeu n'est-il pas toujours de "comprendre ce qui s’est passé, estime Benjamin Stora dans son rapport, mais d’avoir eu raison dans le passé". 

C'est l'une des raisons pour lesquelles l'enseignement des "événements d'Algérie", comme on les a longtemps qualifiés avant que l'expression "guerre d'Algérie" ne soit officiellement adoptée en octobre 1999, a pu être le lieu d'expectatives comme de disputes, et a conduit à traiter en lycée général du thème de "L'historien et les mémoires de la guerre d'Algérie" depuis les années 2010. Si "la mémoire divise", "l'histoire peut rassembler", écrit Stora citant Pierre Nora - et l'enseignement scolaire de l'histoire de le faire, peut-être, en y intégrant désormais la question des mémoires divergentes et leur traitement par les historiennes et historiens. Mais comment en est-on venu à traiter des "mémoires" de la guerre d'Algérie à l'école ? Quelle est la genèse du "problème" de l'enseignement de la guerre d'Algérie ?

L'histoire de la France et de l'Algérie à l'école : la colonisation, la guerre et les mémoires

Conquête française de l'Algérie, entrée des troupes françaises dans la capitale, juillet 1830. Lithographie.
Conquête française de l'Algérie, entrée des troupes françaises dans la capitale, juillet 1830. Lithographie.
© Getty - PHAS/Universal Images Group

Pour certains, ce conflit n'est pas assez enseigné dans notre école républicaine compte tenu de la place qu'il a dans les mémoires ; pour d'autres, les "événements" ne peuvent (ne doivent ?) prendre place à part égale dans les programmes au même titre que les grands "fondamentaux" de l'histoire de France. Comme le souligne la sociologue spécialiste de la transmission de la mémoire coloniale Françoise Lantheaume dans La France et l’Algérie : leçons d’histoire (dir. Frédéric Abécassis, ENS Éditions, 2007), ces critiques opposées visent soit l'occultation des épisodes les plus terribles de ce conflit et la persistance d'une vision néocolonialiste, soit une description jugée trop négative de la colonisation française - une accusation portée, en février 2005, par la tentative de faire passer une loi obligeant les manuels d'histoire à présenter le "rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord"

Qu'en est-il véritablement ? Françoise Lantheaume a étudié l'intégration de 130 ans de colonisation qui lie l'Algérie et la France dans les programmes scolaires français, passant en revue les directives des bulletins officiels des années 1920 à la fin du XXe siècle, et les chapitres consacrés à la colonisation et décolonisation en Algérie de 67 manuels pour lycéens, publiés entre 1937 et 1998. "Selon les périodes, le lien France-Algérie apparaît plus ou moins tendu et plus ou moins visible, analyse la sociologue. Mais le plus remarquable est la façon dont l’enseignement s’est saisi des ressources à sa disposition pour refroidir la question" alors que celle-ci était décrite comme "brûlante" dans les médias et que les responsables politiques voulaient faire de l'école le lieu de toutes les réconciliations.

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  • La "France-Algérie" comme histoire d'un projet colonial

Jusque dans les années 1960, la relation entre l'Algérie et la France est abordée dans l'enseignement par le prisme du "rôle civilisateur" de cette dernière dans les colonies. "Ce faisant, l’enseignement partageait l’aveuglement majoritaire de la société et de la science historique dominante", observe Françoise Lantheaume. Ce récit est alors surtout militaire, politique et événementiel. "C'est l'histoire de la France qui se prolonge en Algérie : le lien entre les deux rives de la Méditerranée est alors présenté comme dense mais à sens unique."

On trouve ainsi dans le Manuel d’histoire de terminale d'Albert Malet et Jules Isaac (Hachette, 1939), quatre pages valorisant les effets de la colonisation, de la mise en place d'un système administratif plus dense à celle d'une agriculture moderne en Algérie, accompagnée d'une critique des "excès de certains colons", mais volontiers "présentés comme empêchant la réalisation du projet colonial républicain". 

Rue des écoles
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  • Les années 1960 : le tournant critique de l'histoire scolaire 

Après la Seconde Guerre mondiale, de grands débats ont lieu sur le rôle de l'école dans la construction de la paix. Les "programmes Braudel", conçus par le célèbre historien du même nom qui préside la commission des programmes en 1968-1969, insufflent du changement dans la manière d'enseigner l'histoire. Rupture avec le modèle évolutionniste et ethnocentriste, nouvel usage des documents en classes… Les cours d'histoire font dorénavant place à l'étude des civilisations, situant ainsi le contemporain dans la perspective d'une histoire longue. Il s'agit désormais de développer "l'esprit critique" des élèves (une ambition qui s'inscrit par ailleurs dans la continuité, après-guerre, du "plan Langevin-Wallon" de réforme de l'enseignement contre le retour du fascisme). 

Ces programmes offrent "de nouvelles perspectives pour enseigner la colonisation et la décolonisation de l’Algérie", explique Françoise Lantheaume, bien qu'ils ne concernent que la classe de Terminale que peu d'élèves encore fréquentent au début des années soixante. Sans que l'étude de la guerre d'Algérie ne soit clairement inscrite, il est possible de la traiter au collège et dans les filières professionnelles à travers la partie du programme dédiée l'étude des civilisations. "Malgré l’occultation de nombreux sujets très controversés à l’époque, l’approche par les civilisations a permis d’aborder la question la plus 'chaude' des années soixante", écrit Françoise Lantheaume :

"C’est en effet dans la partie consacrée à la civilisation musulmane des manuels scolaires, rédigés plus souvent qu’avant par des universitaires, que se trouve pour la première fois la qualification de 'guerre' à propos des 'événements' de 1954 à 1962. C’est là aussi qu’est esquissée une analyse d’événements qui viennent à peine de finir et que sont présentés le mouvement nationaliste algérien et ses leaders."

Mais si l'étude des civilisations a permis d'aborder la colonisation dans un temps plus long, c'est aussi à cette même époque que s'installe une certaine interprétation de la colonisation menant à la guerre comme l'échec d'une Europe affaiblie et le fait de colons qui auraient rompu avec les principes républicains. Si tabou il y a, c'est alors moins sur la réalité du conflit en Algérie que sur l'inconcevable contradiction entre les valeurs républicaines de l'Etat français et ses pratiques dans les colonies.

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  • Les années 1980-90 : la guerre d'Algérie "apprise" à chaque lycéen

La décolonisation devient progressivement un objet d'étude pour les universitaires, entraînant une réévaluation des anciennes lectures de cette période. Ces nouvelles connaissances intègrent les programmes du secondaire à partir des années 1980, alors que le public scolaire s'est également diversifié. "Les enfants d’une immigration temporaire devenue en partie permanente, notamment à cause des politiques de soutien au regroupement familial à partir des années soixante-dix, côtoient ceux des anciens 'Français d’Algérie', des anciens soldats ou harkis", décrit Françoise Lantheaume. 

Cette hétérogénéité mémorielle des élèves repose la question de la juste façon d'enseigner cette histoire. Celle-ci est d'autant plus prégnante qu'elle se trouve par ailleurs rattrapée par la "concurrence de victimes" (selon l'expression du sociologue Jean-Michel Chaumont) et son instrumentalisation par différents groupes politiques. Alors que l'enseignement de l'histoire hérite d'une mission de "socialisation politique" et l'école, plus généralement, celle de la "formation des citoyens", le récit de la guerre d'Algérie qui est fait dans les manuels scolaires, ainsi que les images retenues pour l'illustrer, sont particulièrement scrutés. 

A partir de 1983, l'étude de la guerre d'Algérie est définitivement intégrée aux programmes de l'enseignement secondaire, disséminée dans différentes séquences. En classe de Terminale générale, l'enseignant a ainsi le choix de la traiter dans le chapitre sur la "décolonisation  et l’émergence du tiers monde" ou celle de la "France après 1945". Elle arrive aussi au programme des classes de Troisième, de Première, de Terminale générale et dans les séries technologiques et techniques. Depuis 2002, elle est aussi évoquée à l’école primaire.

Les cours prennent une tournure plus géopolitique. "La colonisation de l’Algérie passe d’une fonction d’illustration de la grandeur de la Nation à une fonction de simple exemple d’un phénomène de colonisation étudié à l’échelle de l’Europe ou de la planète", écrit l'historienne, sans que cette même conquête coloniale ne soit cependant véritablement interrogée. Quant aux mouvements indépendantistes de la guerre d'Algérie, ils sont décrits comme un exemple de "décolonisation violente" par comparaison avec la "décolonisation négociée" des Britanniques. 

Si on trouve dans de nombreux manuels de l'époque le terme de "guerre" pour qualifier les "événements" de 1954 à 1962, alors même qu'il n'est pas employé officiellement, cette histoire scolaire en pleine évolution n'aborde pas encore tous les aspects de cette guerre, ni même tous ses acteurs. L’historien Benoît Falaize, spécialiste de l’enseignement de l’histoire, indique par exemple qu'il a fallu attendre les années 2000 et le "tournant mémoriel" pour que le sort des harkis et des juifs d'Algérie soit véritablement traité (ce qui n'empêchait pas, bien sûr, les enseignants d'en parler avec leurs élèves), alors que les pieds-noirs l'étaient dès 1971 au collège et 1983, au lycée. 

Il est cependant déjà mention de la torture dans certains manuels. Comme le relève l'historienne Laurence de Cock dans La Classe de l’homme blanc : l'enseignement du fait colonial en France des années 1980 à nos jours (PUL, 2018), "les manuels ne sont pas muets sur les questions les plus sensibles de la guerre, comme les massacres de Sétif, l'usage de la torture ou même de la répression mortelle de la manifestation pour la paix du 8 février 1_9_62". Ainsi, en 1984, on peut lire dans le manuel des éditions Hachette (Marcel Balest et. al.) : "Elle [l'armée] n'hésite pas à utiliser la torture pour obtenir des renseignements." Dans celui des éditions Nathan de 1989 (Jacques Marseille) : "Le gouvernement de gauche couvre la pratique de la torture pour obtenir des renseignements" ou à propos du 8 février 1962 : "La police charge des manifestants à l'entrée du métro Charonne : 9 morts".

Entre la période coloniale et la fin du XXe siècle, le passage d’un discours quasi hagiographique sur la "vertu civilisatrice" de la colonisation à une lecture plus critique faisant état des exactions françaises, s’est fait par des ajustements progressifs, et non sous les "assauts de la critique", décrit Françoise Lantheaume. Un enseignement qui, selon elle, fait encore l'économie d'expliquer la relation continue entre la France et l'Algérie. "La décolonisation est présentée comme le dénouement alors que le lien demeure", écrit-elle :  

"Les manuels (...) ont joué un rôle de 'refroidisseur' de questions chaudes et ont contribué à rendre enseignable un sujet difficile. Au moyen de choix parfois audacieux – quand ils utilisent le terme de 'guerre' ou évoquent la torture bien avant que l’État ne le fasse, par exemple –, au prix aussi de l’euphémisme et du silence – passage de la violence coloniale justifiée à la violence coloniale oubliée, la faible présence du point de vue du colonisé, silence sur certaines pratiques de l’État colonial."

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  • A partir des années 2000, la question mémorielle
La guerre d'Algérie dans les programmes des différents cycles scolaires, aujourd'hui, en France. (Cliquer pour agrandir).
La guerre d'Algérie dans les programmes des différents cycles scolaires, aujourd'hui, en France. (Cliquer pour agrandir).

A la fin des années 1990, deux événements vont contribuer à poser dans le débat public la question de la mémoire coloniale de l'Algérie : l'ouverture du procès Papon, en 1997, remet en lumière le massacre du 17 octobre 1961, et la publication à la une du journal Le Monde du témoignage de la résistante algérienne Louisette Ighilariz, qui a relancé le débat sur l’usage de la torture. C'est le "retour de la mémoire" et avec elle, une nouvelle génération d'historiennes comme Raphaëlle Branche ou Sylvie Thénault qui s'emparent du sujet. 

A l'école, il s'agit alors de "gérer" cette tension entre histoire et mémoires. On s'appuie progressivement sur ce renouvellement de l'historiographie pour apporter des éclairages sur les événements violents liés à la guerre d'Algérie, les manuels font plus de place aux récits des harkis, appelés et juifs d'Algérie, certains enseignants s'appuient sur des archives audiovisuelles, comme le racontait Séverine Liatard dans la “Fabrique de l’histoire scolaire” sur France Culture, dépassant ainsi le casting binaire d'une opposition De Gaulle contre le FLN. 

Mais comme l'analyse encore l'historienne Laurence de Cock dans son livre Dans la classe de l'homme blanc, l'enseignement du fait colonial en France des années 1980 à nos jours, (PUL, 2018), l'enseignement de la guerre d'Algérie est devenu un sujet sensible à mesure qu'on l'associait au "repli communautaire" de certains élèves issus de l'immigration. En 2003 par exemple, le rapport Stasi issu d'une commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République disait : 

"Il faut combattre la méconnaissance et les préjugés sur les différentes composantes de l'histoire française et sur le fait migratoire. L'enseignement de (...) l'histoire de la colonisation, de la décolonisation, mais aussi de l'immigration occupe une place insuffisante. Ces enseignements devraient tenir toute leur place au collège et au lycée."

Les commémorations de certains épisodes de cette histoire devenaient l'objet d'un traitement médiatique de la mémoire "complexe" des "enfants de la guerre d'Algérie". Dans les journaux, résume l'historienne, on lit que le manque de description positive des pères des descendants de combattants du FLN constitue un obstacle à l'intégration, tandis que les enfants des harkis attendent quant à eux une réhabilitation de leurs pères dans l'histoire de France. Lors des 30 ans de la commémoration du 17 octobre 1961, on peut même lire dans Le Monde

"La troisième génération de l'après-immigration, celle pour qui les cités de banlieue font office de racines, nourrit implicitement sa révolte d'une guerre d'Algérie refoulée et mal digérée. Si l'on ne met pas les choses au clair maintenant, ces jeunes-là finiront par présenter la note."

Et cela a continué. Au moment des attentats terroristes islamistes de 2015, des éditorialistes conservateurs jugent l'école responsable de la radicalisation islamiste de certains jeunes musulmans, et l'enseignement de l'histoire coloniale, de contribuer à la haine de la nation. Bref, l'école devenait le lieu où le problème pouvait, devait, être traité, ce qui validait en sous-texte une "défaillance de l'enseignement du fait colonial", note Laurence de Cock, alors même que le thème du colonialisme était bien présent dans les programmes du secondaire. 

Ces tensions semblent avoir été prises en charge d'au moins deux façons. D'abord, par la prise en compte plus importante de la thématique spécifique des "mémoires" et de la manière dont elles sont prises en charge par la discipline historique. En 2012, la réforme des programmes propose aux professeurs d’histoire-géographie des classes de Terminale générale d’enseigner "L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale", ou "L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie". Ainsi, en 2018, le sujet du baccalauréat en histoire portait au choix sur "L’historien et les mémoires du génocide des juifs" et "L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie : la question des harkis". En parallèle, on observe aussi ces dernières années une forme de "neutralisation" des programmes scolaires, selon l'expression de Laurence de Cock. Nommée en 2018, Souâd Ayada, présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP) a ainsi choisi de renforcer l'apprentissage des "fondamentaux". Elle considère alors, explicitement, que la question des programmes en France, est "brûlante" parce qu’elle se trouve "au confluent de deux ordres : celui du savoir et celui de la formation de la communauté politique" et que les "passions politiques sont des passions scolaires". Cela se traduit par exemple, par le fait d'aborder la conquête suivie de la départementalisation de l’Algérie dans le cadre d’une thématique plus vaste consacrée à la Troisième République avant 1914, dans les classes de Première générales.

Mais au-delà des programmes et manuels, ce sont les enseignants qui font preuve de ressources dans le traitement de cette histoire, et le peu de temps imparti pour l'aborder. Ce que soulignaient déjà, en 2018 sur France Culture, le professeur d'histoire-géographie Iannis Roder et l'historienne Raphaëlle Branche, autrice de Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?, et co-autrice avec le réalisateur Rafael Levandowski de la série En guerre(s) pour l’Algérie. "Cela fait 20 ans qu'on me pose des questions sur ce qu'est la guerre d'Algérie, si on l'enseigne bien ou non", témoignait Raphaëlle Branche :

"J'en viens à me dire qu'il est peut-être plus intéressant d'apprendre à des élèves à comprendre un mécanisme, des structures. C'est quoi une guerre ? C'est quoi la constitution d'un peuple? C'est quoi une identité nationale ? Quel que soit l'exemple en réalité, et que l'enseignant se sente plus à l'aise avec certains supports plutôt que d'autres comme un roman ou un film. (...) Quand on me posait la question [sur l'enseignement de la guerre d'Algérie] il y a 20 ans, je disais : 'Ah oui, il manque ça'. Mais il manquera toujours quelque chose, on n'aura jamais assez d'heures."

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