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«Le mensonge éhonté» de la Russie dénoncé devant les juges de La Haye

L’Ukraine conteste l’argument du génocide fabriqué de toutes pièces par Moscou pour justifier son intervention militaire et demande ce lundi des mesures urgentes à la Cour internationale de justice. La Russie a boudé l’audience

Le siège de la Cour internationale de justice, à La Haye. — © imago images/PPE
Le siège de la Cour internationale de justice, à La Haye. — © imago images/PPE

«Poutine ment et nos compatriotes meurent.» Les représentants de l’Ukraine ont donné de la voix trois heures durant ce lundi devant la Cour internationale de justice (CIJ). Saisi d’un différend au sujet de la Convention sur le génocide, cet organe des Nations unies, qui siège au Palais de la Paix à La Haye, a tenu une audience publique urgente et prioritaire afin d’examiner les mesures conservatoires réclamées par Kiev pour faire cesser ces opérations militaires justifiées par «des arguments délirants». La Fédération de Russie a opté pour la politique de la chaise vide sans même prendre la peine de justifier son absence aux débats du jour consacrés aux plaidoiries pour l’Ukraine.

Dans sa requête, déposée le 26 février, l’Ukraine soutient notamment que la Fédération de Russie a faussement affirmé que des actes de génocide avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk, pour mettre en œuvre une «opération militaire spéciale» et envahir le pays. L’Ukraine nie catégoriquement qu’un tel génocide ait eu lieu, affirme que cette allégation est «grotesque», et déclare avoir introduit sa requête «afin d’établir que l’intervention […] visant à prévenir et réprimer un soi-disant génocide est dépourvue de tout fondement juridique».

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«Une insulte à la Convention»

Premier à prendre la parole devant la cour, le diplomate Anton Korynevich évoque «un mensonge éhonté» de la Russie. Le professeur Jean-Marc Thouvenin poursuit au nom de l’Ukraine en parlant «d’une insulte à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, dont Moscou se sert comme d’une arme alors que ce texte est sacré».

Ce dernier appelle la CIJ à ordonner des mesures conservatoires afin de prévenir un préjudice irréparable causé aux droits de l’Ukraine et de sa population avant une décision sur le fond. Ces mesures, intimant à Moscou de cesser cette guerre contre un prétendu génocide, de veiller à empêcher d'autres unités de s'y mettre et de ne pas aggraver ou étendre ce différend, devraient aussi être monitorées et leur application rapportée régulièrement à l’intention de la cour.

«Il y a extrême urgence, soutient le professeur Thouvenin, car ce différend n’est pas seulement l’objet d’un échange de mots. Celui-ci est fait de feu, de sang, de crimes et de larmes. Des Ukrainiens résistent, souffrent et meurent. Ils ne sauraient dire leur différend avec plus de force.» Il achève son intervention en enjoignant à la cour, présidée par la juge Joan Donoghue, de montrer «que le droit international n’est pas qu’une vaine promesse». Une conviction à laquelle il faut donner corps.

Mépris du droit

Dans sa requête, l’Ukraine accuse également la Fédération de Russie de planifier des actes de génocide et affirme que ses forces tuent de manière intentionnelle des personnes de nationalité ukrainienne. En utilisant abusivement cette convention pour mener une guerre sans limites sur la base d’une allégation «manifestement fallacieuse», «la Russie enfreint elle-même les principes du droit international», ajoutent les autres représentants de la délégation ukrainienne. «C'est une destruction qui est visée et mes compatriotes ne voient que l'injustice», reprend Anton Korynevich.

«Cette agression commise contre un voisin innocent est une illégalité flagrante contre laquelle il faut agir immédiatement», souligne de son côté le spécialiste américain Harold Koh. «Le monde entier attend de la Cour guidance et leadership», conclut ce dernier. «En moins de deux semaines, cette affaire est devenue beaucoup plus vaste. Il s’agit de savoir si c’est la Russie ou l’ordre juridique international qui doit prévaloir.» Et d'ajouter: «La partie brève de l'histoire, c'est la force de Poutine. La partie longue, c'est le droit.»

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La Cour internationale de Justice, instituée en juin 1945 par la Charte des Nations unies, est composée de 15 juges. Elle a une double mission. Régler les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (ses arrêts ont force obligatoire et sont sans appel pour les parties concernées) et donner des avis consultatifs sur les questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions autorisées à le faire.

L’Ukraine a terminé son exposé en appelant la cour à rendre son ordonnance sur les mesures conservatoires dans les plus brefs délais. «Ce sera fait dès que possible», a précisé la présidente, non sans avoir préalablement déploré la non-comparution de la Fédération de Russie lors de cette procédure orale.