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Santé

Journée des droits des femmes : quand le sexisme plombe la santé publique

Ebola, VIH ou Covid-19 ne sont pas subies de la même manière par les hommes et les femmes. Lorsque la moitié de la population ne peut pas se soigner ou subi une précarité dangereuse suivant une infection, c'est la santé de toute la population qui est menacée.

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Femmes et maladies infectieuses : quand le sexisme plombe la santé publique

En France, le premier confinement de 2020 avait fait exploser les violences domestiques de 30% 

Pascal Deloche / Godong / Photononstop / Photononstop via AFP
Femmes et maladies infectieuses : quand le sexisme plombe la santé publique
Journée des droits des femmes : quand le sexisme plombe la santé publique
Camille Gaubert
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Là où la maladie frappe, le sexisme alourdit la peine. Mise à l’écart de la société, assignation aux rôles domestiques, précarité extrême, impossibilité de se soigner : d’une épidémie et d’un continent à l’autre - et jusque chez nous - les conséquences varient, mais les femmes en sont toujours victimes. A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Sciences et Avenir offre un aperçu des effets du sexisme sur la santé des femmes, et par extension la santé publique.

Ebola en Guinée : démunies, les femmes guéries sont sans ressources 

Mon oncle ne me considère même pas. S’il y a des aides ou non, je ne suis au courant de rien. […] Comme je ne suis pas lettrée, ce qu’il me dit, je suis obligée d’accepter. Je ne bénéficie de rien”, témoigne une "sortie-guérie", nom que se donnent les rescapées d’Ebola. Nombreux sont les témoignages à l’avenant, recueillis dans un rapport de 2021 de chercheurs guinéens, allemands et français.

Dans le sud de la Guinée, dans la ville de Gouécké, la résurgence de l’épidémie d’Ebola en février 2021 a replongé la population dans les affres de la première épidémie, en 2014-2016. Si tous les malades ont subi divers traumatismes avec séquelles physiques et psychologiques, pour les femmes elles sont aussi économiques, avec perte d'emploi ou de ressources, et sociales, avec un rejet des communautés et un repli sur soi "qui a rendu la situation des sorties-guéries très précaires", explique Fanny Attas, qui a participé à ces travaux.

Soumises à l’autorité des chefs de famille et tenues depuis toujours à l’écart de l’éducation, elles n’ont souvent pas accès aux ressources prévues pour elles, raconte le rapport. Les associations de sorti-guéris, contrôlées par des hommes, ne leur transmettent ni les informations, ni les aides auxquelles elles auraient droit. Pire, “il leur revient de prendre soin des orphelins de leurs proches qui ont succombé à l’épidémie et dont les ressources sont également détenues par les chefs de famille”, relate Fanny Attas. “Quand on sert le riz ici, c’est la guerre dans le plat. Il n’y a pas assez à manger pour tous les enfants”, témoigne une "sortie-guérie", en charge de neuf orphelins. Chaque "sortie-guérie" prend ainsi en charge deux à neuf enfants supplémentaires, précise la chercheuse. 

Pourtant, les femmes "sorties-guéries" sont plus nombreuses que les hommes "car c’est à elles que revient le rôle de s'occuper des malades, et sont donc plus exposées à Ebola", remarque-t-elle.

Le Sida au Mali : des femmes obligées de se traiter en cachette de leur mari 

"53% des personnes vivant avec le VIH en 2020 étaient des femmes, d’après l’Onusida", commence Bintou Dembélé, membre fondatrice de l’association d’aide aux malades du VIH ARCAD-SIDA Mali. Et chaque heure, 25.000 nouvelles infections se font sur les femmes et jeunes filles. "Au Mali, 1% de la population est contaminée par le VIH, une proportion beaucoup plus élevée chez les femmes, puisqu’elle atteint 1,3%", précise-t-elle. "Les femmes sont très exposées, soumises à un rapport de domination sociale, économique et même sexuel car elles ont très peu de moyens de négocier le préservatif." D’autant plus facilement contaminées qu’elles n’ont donc que peu de moyen pour se protéger sans l’aval de leur partenaire, les femmes maliennes ont de plus beaucoup plus à perdre que leur santé.  

"Les femmes contaminées sont très souvent accusées par le mari d'avoir amené le virus dans le foyer, et sont souvent répudiées pour cela", pointe Bintou Dembélé. Une croyance impossible à démentir scientifiquement, puisque les soignants ne peuvent pas déterminer qui est tombé malade en premier. Ces femmes sont d’autant plus nombreuses qu’elles rencontrent plus que les hommes des circonstances qui les obligent à se faire tester : lors d’une grossesse ou lorsque leurs enfants sont touchés.  

Les femmes contaminées ont très souvent deux choix : "soit elles partagent leur statut avec leur mari et risquent la répudiation, soit elles se soignent en secret, à l’insu de leur mari", qui n’est donc ni dépisté ni traité, expose Bintou Dembélé. C’est bien sûr cette deuxième option que les contaminées choisissent le plus souvent. S’il est compréhensible sur le plan social, ce choix pose de gros problèmes en termes de santé. "Le risque est que la femme se réinfecte à chaque rapport, puisque nous n’avons aucune maîtrise de la maladie du mari. Cela pourrait augmenter la charge virale (la quantité de virus présents dans l’organisme, ndlr) malgré le traitement", déplore Mme Dembélé. Cette constante réinfection en présence du traitement est également très risquée sur le plan de la santé publique. "Le second risque, c'est d'augmenter le risque d'émergence d'un variant qui échapperait au traitement. Cela pourrait mettre à mal le monde entier vis-à-vis du VIH."

Le genre, prétexte à domination dans toutes les sociétés 

Le genre, qui se différencie du sexe biologique, est un terme précis en sciences sociales. Il désigne tous rapports sociaux de dominations opposant deux catégories socialement construites, celle des hommes et des femmes, explique Nathalie Bajos, chercheurs en sciences sociales. "Il y a toujours domination du groupe des hommes sur celui des femmes, jusqu’aux valeurs ou représentations qui leur sont associées". Si le prisme du genre est essentiel à prendre en compte, c’est que la domination sociale a “un rapport très fort sur les pratiques de santé publique”, expose la chercheuse. “Le genre construit un cadre qui délimite les possibles des individus, et construit leurs aspirations et pratiques de santé, dont sexuelle et de prévention.” 

Il est une idée reçue qui structure particulièrement ces rapports de domination des hommes sur les femmes : l’idée que les hommes auraient par nature plus de besoins sexuels que les femmes, rapporte l’Enquête sur la sexualité en France 2020-2021, co-dirigée par Nathalie Bajos. Les femmes adhèrent particulièrement à cette idée (à 75%, contre 62% des hommes) et dans tous les groupes d’âge. "Cette représentation a un impact fondamental sur les pratiques sexuelles. Elle explique que les femmes ont des pratiques beaucoup plus contraintes que les hommes, auxquelles elles se résignent", pointe Nathalie Bajos. Pour elle, accepter que cette différence fondamentale existe fait indirectement le lit des autres inégalités persistant dans la société. "Il est d’ailleurs démontré que dans les sociétés plus égalitaires, comme en Europe du Nord, la sexualité est moins marquée par des rapports de domination et inégalitaires."

Si, en Europe, les femmes pouvaient parfois se croire épargnées par cette dynamique notamment délétère à leur santé, la pandémie du Covid-19 a mis les pieds dans le plat. Représentant 76% des soignants, plus de 90% des techniciens de surface, gardes d’enfant ou corps enseignant, et plus de 80% des hôtes de caisse, les Européennes ont été particulièrement exposées. Sur le plan des violences domestiques également : en France, le premier confinement de 2020 les avait fait exploser de 30%.

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