Les avions de chasse Sukhoi et les hélicoptères de combat russes bombardent depuis des jours les populations civiles ukrainiennes. Mais à l’autre bout du monde en Birmanie, les mêmes avions russes lâchent leurs bombes sur les civils birmans dans tout le pays.

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Le général putschiste Min Aung Hlaing, qui a renversé le pouvoir démocratique birman le 1er février 2021, a toujours entretenu une proximité quasi filiale avec Vladimir Poutine. Dès l’invasion militaire russe en Ukraine le 24 février dernier, le régime militaire birman a de suite soutenu la Russie, qui « a le droit de défendre sa souveraineté ».

La Russie fournit plus de 25 % des armes en Asie du Sud-Est

« La Russie est le premier fournisseur d’armes à la Birmanie devant la Chine, explique d’emblée David Camroux, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) à Sciences Po, et notamment de nombreux avions et hélicoptères, ce qui donne aux militaires birmans la maîtrise du ciel d’où ils pilonnent les régions ethniques en rébellion. »

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D’ailleurs, la Russie fournit plus de 25 % des armes dans toute l’Asie du Sud-Est : grenades, pistolets, mines, mitraillettes Kalachnikov, lance-roquettes… mais aussi blindés, avions et transporteurs de troupes. Des dizaines de techniciens et ingénieurs russes sont d’ailleurs basées en Birmanie pour entretenir le matériel et former les pilotes birmans.

« La seule visite à l’étranger effectuée par le général Min Aung Hlaing a été à Moscou en juin 2021 à l’invitation de l’actuel ministre russe de la défense Sergueï Choïgou pour parler contrats d’armement », explique encore David Camroux.

Le vice-ministre russe de la défense, Alexandre Fomine, avait été invité deux mois plus tôt en Birmanie au défilé militaire organisé pour les 76 ans de la formation de l’armée birmane. « Ce sont des relations fortes entre des marchands de canons et des dictateurs qui veulent promouvoir un modèle politique dictatorial », résume David Camroux.

« Par rapport à l’aide attribuée aux Ukrainiens, nous ressentons une certaine injustice »

« Vladimir Poutine est le père adoptif du général Min », lâche avec sarcasme Tin Tin Htar Myint, présidente de la communauté des Birmans de France, à Paris depuis vingt ans, rappelant que « par le passé, le gouvernement ukrainien a lui aussi vendu des armes aux généraux ». Mais pour cette militante anti-junte, « il est clair que le peuple birman a osé manifester en provinces pour soutenir le calvaire des Ukrainiens auxquels il s’identifie, puisqu’il souffre lui aussi sous les bombes russes ». Depuis le coup d’État militaire, il y a eu plus de 10 000 arrestations et au moins 3 000 morts.

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Pour Alex Aung Khant, 27 ans, représentant officiel du gouvernement d’unité nationale (GUN) birman en France, et petit-neveu de la Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, « Vladimir Poutine est une inspiration pour le général Min ». Selon lui, il est la preuve vivante qu’on peut développer son propre pays sans système démocratique. À l’image de certains voisins thaïlandais, laotiens ou vietnamiens. Pourtant, Alex Aung Khant ne cache pas un sentiment contradictoire à l’égard de ce conflit en Ukraine.

« Nous ressentons de la solidarité et de la compassion bouddhiste à l’égard des millions de civils ukrainiens, explique-t-il, mais nous avons également une profonde frustration face à la réaction massive et rapide de la communauté internationale à l’égard de l’Ukraine. » À ses yeux, les Birmans souffrent depuis plus d’un an sous la dictature et les bombes. « Nous avons nous aussi demandé de l’aide et des armes, mais nous n’avons rien reçu. Nous nous sentons oubliés et même lésés face à cette injustice. »