Les décodeuses de la Seconde Guerre mondiale

De 1943 à 1945, plus de 10 000 femmes cryptographes ont travaillé avec l'armée américaine pour mettre fin à la guerre.

De Maya Wei-Haas
Publication 8 mars 2022, 10:49 CET
Une femme utilise une machine de cryptanalyse de la marine américaine pour aider à décoder les ...

Une femme utilise une machine de cryptanalyse de la marine américaine pour aider à décoder les messages ennemis pendant la Seconde Guerre mondiale.

PHOTOGRAPHIE DE THE NATIONAL ARCHIVES, RG 457

Par un après-midi glacial de novembre 1941, Ann White trouva dans sa boîte aux lettres une étrange lettre d'un professeur d'astronomie qui souhaitait la rencontrer. Ann, qui étudiait l'allemand au Wellesley College dans le Massachusetts, découvrit rapidement que le professeur n'avait que deux questions : « Aimez-vous les mots croisés ? » et « Êtes-vous fiancée ? »

Ces deux mêmes questions furent posées aux femmes dans tous les États-Unis. Si la réponse à la première était oui et la seconde non, ces femmes se voyaient offrir la possibilité de suivre une formation pour une mission dans les services secrets : celle de casser les systèmes de messages codés de l'ennemi pour l'armée ou la marine américaines.

Deux ans auparavant, l'Allemagne, dirigée par Adolf Hitler, avait envahi la Pologne, marquant le début de la Seconde Guerre mondiale. Les tensions étaient encore fortes après la fin de la Première Guerre mondiale en 1918, et l'invasion de la Pologne bientôt suivie par celle d'autres pays européens par l'Allemagne nazie s'est rapidement transformée en conflit mondial.

On divise généralement le monde d'alors en deux camps : les puissances de l'Axe (l'Allemagne, l'Italie et le Japon) et les Alliés (la Grande-Bretagne, la France, la Russie, la Chine et les États-Unis). Les États-Unis sont entrés en guerre le 7 décembre 1941, après que les Japonais ont bombardé la base navale de Pearl Harbor, sur l'île hawaïenne d'Oahu.

De nombreux pays ont développé des systèmes de messages codés pour échanger sur des sujets tels que les batailles à venir ou les mouvements de troupes. Le déchiffrage, ou le décryptage, de ces codes permettait aux Alliés d'écouter les plans de leurs ennemis et d'anticiper les batailles avant même qu'elles n'aient lieu.

Alors que les États-Unis se préparaient à envoyer des hommes à la guerre, le pays avait besoin d'hommes non-mobilisés et de femmes pour l'aider à déchiffrer ces codes. Et nombre de femmes, dont Ann White, se sont montrées à la hauteur de la tâche. Selon le livre Code Girls de Liza Mundy, plus de 10 000 femmes ont servi dans l'armée et la marine américaines, représentant plus de la moitié des décrypteurs américains. Leurs efforts acharnés ont été essentiels pour gagner la guerre.

 

« LES LANGUES DÉLIÉES FONT COULER LES NAVIRES »

Depuis des siècles, on envoie et on détruit des messages secrets. L'invention de la radio a permis aux militaires de la Première Guerre mondiale d'envoyer des messages secrets plus rapidement que cela n'avait jamais été fait auparavant - et de multiplier les possibilités d'écoute.

En 1917, l'armée américaine a créé son premier bureau de codage et de chiffrement, qui a ensuite été remplacé par le Signal Intelligence Service ou SIS. Peu de temps après, la marine américaine a créé son propre groupe chargé de suivre les communications entre les navires et les sous-marins ennemis. Il s'appelait officiellement OP-20-G, mais les gens qui le connaissaient l'appelaient simplement le Research Desk, le bureau de recherches. Bien qu'importantes, ces unités de décryptage étaient assez petites.

Lorsque les militaires se sont rendu compte qu'ils risquaient de devoir prendre part au conflit mondial, ils ont lentement commencé à chercher d'autres décodeurs comme Ann White. Mais c'est lorsque 300 avions japonais ont attaqué par surprise Pearl Harbor que les États-Unis ont commencé à chercher des cryptographes et des décodeurs pour s'assurer que le pays ne serait pas à nouveau pris par surprise.

Une cryptographe étudie la solution mathématique d'un message secret dans un laboratoire de Washington, le 4 février 1944.

PHOTOGRAPHIE DE JAMES JARCHE / POPPERFOTO VIA GETTY IMAGES

À l'époque, la plupart des femmes ne faisaient pas carrière et se mariaient plutôt pour s'occuper de leur foyer, de leur mari et de leurs enfants. En fait, dans les années 1940, seulement 4 % des femmes américaines avaient terminé leurs études universitaires.

Le besoin soudain de décodeurs humain a offert une nouvelle opportunité aux femmes diplômées de l'université qui n'étaient ni fiancées ni mariées (les employeurs de l'époque partaient du principe qu'une fois mariée, une femme n'aurait plus d'emploi rémunéré). De nombreuses femmes dans les universités américaines ont donc été contactées par lettre. D'autres ont répondu à des petites annonces dans les journaux ou se sont inscrites après avoir rencontré des recruteurs militaires qui parcouraient le pays à la recherche de décodeurs et décodeuses.

Toutes ces femmes ont suivi des formations pour apprendre à déchiffrer les messages codés. Elles promettaient de ne dire à personne - même à leur famille - ce qu'elles faisaient, au cas où des pays ennemis les mettraient sur écoute. Comme on le leur rappelait souvent, « les langues déliées font couler les navires ».

 

DÉCODAGE

Les femmes briseuses de codes ont joué plusieurs rôles. Elles écoutaient les messages radio codés des autres pays. Elles recueillaient des éléments tels que les noms des navires et des commandants ennemis qui pouvaient figurer dans un message codé - et donc participaient à le déchiffrer. Elles recherchaient des modèles - par exemple, le lieu et le moment où les messages étaient envoyés pouvaient être des indices sur les mouvements des troupes. Ils ont même testé les codes américains pour s'assurer que les ennemis ne pouvaient pas les casser.

Les équipes, souvent composées essentiellement de femmes, étudiaient de longues suites de lettres et de chiffres, à la recherche de motifs susceptibles de révéler un message caché dans des phrases qui semblaient n'avoir aucun sens.

Ce travail exigeait une solide compréhension des mathématiques, car de nombreux codes remplaçaient les lettres par des chiffres et dissimulaient ensuite le message original derrière des équations. Les décodeuses devaient également avoir une bonne mémoire, de la patience et de la persévérance. Ces femmes ont vite trouvé des astuces, comme la recherche de courtes phrases qui marquaient parfois le début des notes codées. Cela les aidait à déchiffrer le reste du code, mais la tâche n'était jamais aisée.

Tout au long de la guerre, les codes et les chiffrements ont changé, devenant de plus en plus complexes. Chaque code devait donc être déchiffré encore et encore. Mais les codes ne sont pas les seuls défis auxquels ces femmes ont dû faire face.

Bien que les femmes effectuaient le même travail que les hommes, elles étaient bien moins payée et des tâches parfois ingrates leur étaient réservées. 

Ces décodeuses se sont relayées 24 heures sur 24, conscientes que leurs échecs pouvaient entraîner la mort de soldats alliés. « Tous ceux que nous connaissions et aimions étaient dans cette guerre », se souvient Ann White dans le livre de Liza Mundy.

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    PHOTOGRAPHIE DE THE NATIONAL CRYPTOLOGIC MUSEUM

    METTRE FIN À LA GUERRE

    Le travail des décodeuses était crucial pour gagner la guerre - et les femmes ont joué un rôle majeur.

    Genevieve Grotjan a identifié le modèle clé qui a permis de déchiffrer le code Purple utilisé pour envoyer des messages aux hauts fonctionnaires du gouvernement japonais, ce qui a fourni certaines des informations les plus utiles sur leurs intentions. Ann Caracristi a aidé à déchiffrer un code qui révélait l'emplacement des navires de ravitaillement japonais ; les troupes américaines ont ainsi pu les couler.

    Frances Steen était l'une des nombreuses femmes qui ont déchiffré les messages qui ont aidé les États-Unis à tuer l'amiral japonais Isoroku Yamamoto, qui avait planifié l'attaque de Pearl Harbor. Et Virginia D. Aderholt a décodé le message japonais indiquant que l'armée nippone était sur le point de se rendre, ce qui a mis fin à la guerre.

    Les hommes s'attribuent souvent le mérite des réalisations des femmes. Par exemple, J. Edgar Hoover, qui a été le premier directeur du FBI, a prétendu que son groupe avait démantelé un réseau d'espionnage nazi en Amérique du Sud. Mais en réalité, cette victoire revenait à la cryptographe Elizabeth Smith Friedman, qui a aidé à déchiffrer les messages secrets de l'ennemi pendant les deux guerres mondiales et qui est souvent considérée comme la première décodeuse des États-Unis.

    Sans les femmes cryptographes, on estime que la Seconde guerre mondiale aurait certainement duré deux ans de plus. Mais beaucoup d'entre elles ont été renvoyées de l'armée après la fin de la guerre, et des décennies ont passé avant qu'elles ne soient reconnues pour leurs réalisations. Ces femmes avaient promis de garder leur travail secret, et elles sont restées silencieuses pendant des années.

    À cette époque, beaucoup de gens pensaient que seuls les hommes pouvaient avoir une intelligence relevant du génie, tandis que les femmes étaient plus aptes aux travaux qui ne demandaient pas beaucoup de réflexion. Bien qu'il ait fallu des décennies pour que l'histoire des décodeuses soit contée, leurs succès montrent à quel point les femmes peuvent être brillantes - et tout ce qui peut être accompli lorsque chacun.e a l'opportunité d'user de son intelligence.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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