Inégalités de genre : il faudra plus de 135 ans pour combler l’écart entre les sexes dans le monde

Inégalités de genre : il faudra plus de 135 ans pour combler l'écart entre les sexes dans le monde
Image d'illustration © Flickr

Alors que des milliers de femmes manifestent chaque année, un peu partout dans le monde, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes établie le 8 mars, les rapports déterminant le nombre d’années nécessaires pour combler les écarts entre les sexes, eux, se multiplient. Et ne sont pas franchement pourvoyeurs de bonnes nouvelles.

« Une déferlante pour l’égalité ». Voilà le cri de ralliement derrière lequel s’unissent les Françaises en ce 8 mars 2022. Aujourd’hui, « on s’arrête tout.e.s. On se met en grève. Plus de bla bla, plus de promesses sans lendemain, des actes », lancent des dizaines d’associations et de collectifs qui ont signé un appel à la grève féministe. Officialisée par les Nations Unies en 1977, cette journée met en lumière les combats des femmes contre les féminicides, les violences sexistes et sexuelles ou encore les inégalités restant à combler entre les sexes, parmi lesquelles les inégalités salariales, de représentation politique ou sanitaires.

Si les manifestantes attendent que des mesures concrètes soient prises le plus rapidement possible par le gouvernement français, à l’instar du rattrapage des pensions des femmes retraitées qui sont inférieures de 40 % à celles des hommes, le chemin pour l’égalité pure et simple des sexes est encore long. Il faudrait même 135,6 ans pour combler l’écart entre les hommes et les femmes à l’échelle mondiale, selon le dernier rapport en date du Forum économique mondial, publié le 30 mars 2021. C’est 36 ans de plus que ce qu’avait prédit la fondation à but non lucratif dans son édition 2020. 

« Qu’on parle de 99 ans ou 135 ans, finalement, ça ne change pas grand-chose, estime Clara Moley, experte de l’égalité femmes-hommes au travail. Dans les deux cas, c’est beaucoup trop long ». Si les auteurs du rapport publié par le Forum économique mondial pointent du doigt l’impact qu’a eu la pandémie dans le recul des droits des femmes dans le monde, Clara Moley, elle, insiste sur le rôle des périodes de crise en général. « Cette échéance de 135 ans nous montre bien que, dans le cadre d’une crise, qu’elle soit sanitaire, politique ou militaire comme nous le voyons actuellement en Ukraine, une des premières choses qui recule est l’égalité hommes-femmes », nous explique-t-elle. Et d’ajouter : « Simone de Beauvoir l’avait prédit. Elle disait qu’il suffisait d’une crise ou d’une guerre pour que les droits des femmes reculent. C’est exactement ce qu’on a vécu pendant la pandémie ».

« Les enjeux de pouvoir, d’influence et d’argent, sont présentés comme étant réservés aux hommes depuis toujours »
Clara Moley, experte de l'égalité femmes-hommes au travail

145,5 ans pour atteindre la parité hommes-femmes en politique

Si les inégalités au travail, notamment de salaire, ont particulièrement fait parler durant la crise sanitaire – les femmes étant plus fréquemment obligées d’adapter leurs horaires de travail ou de quitter leur emploi pour s’occuper de leurs enfants – c’est bien en politique que l’écart entre les sexes est le plus important, selon le rapport du Forum économique mondial. Aujourd’hui, seulement 22 % de cet écart a été comblé. « Cette disparité est toujours la même depuis la Grèce antique, analyse Clara Moley. Les femmes avaient du pouvoir sur la vie domestique, mais elles étaient inexistantes dans la vie publique et politique ». Pour cette spécialiste des inégalités de sexe au travail, les femmes sont toujours privées de parole dans l’espace public. « Et ça ne m’étonne pas du tout puisque les enjeux de pouvoir, d’influence et d’argent, sont présentés comme étant réservés aux hommes depuis toujours », ajoute-t-elle.

Dans les 156 pays couverts par l’indice, les femmes n’occupent que 26,1 % des quelque 35 500 sièges parlementaires et 22,6 % des postes de ministres dans le monde. Dans 81 pays, il n’y a jamais eu de femme à la tête d’un État. Cet écart s’est même creusé de 2,4 points de pourcentage depuis l’édition 2020 du rapport. Cependant, cet élargissement des écarts entre les sexes en matière de participation politique est tiré vers le bas par des tendances négatives dans certains grands pays, qui ont contrebalancé les progrès réalisés dans 98 autres pays plus petits. Finalement, il y a eu plus de femmes dans les parlements en 2020 à l’échelle mondiale, que les années précédentes.

267,6 ans pour atteindre l’égalité économique entre les hommes et les femmes

« L’écart entre les sexes en matière de participation et d’opportunités économiques reste le deuxième plus grand des quatre écarts clés suivis par l’indice », écrivent les auteurs du rapport du Forum économique mondial, qui s’intéressent également aux inégalités d’éducation et de santé. 58 % de cet écart a été comblé jusqu’à présent. La lenteur des progrès observés s’explique notamment par la faible augmentation de la proportion de femmes parmi les professionnels qualifiés et par les disparités de revenus qui ne sont encore qu’à moitié comblées. Par ailleurs, les chercheurs soulignent un manque persistant de femmes dans les postes de direction.

Les premières projections de l’Organisation International du Travail suggèrent également que  5% de toutes les femmes employées ont perdu leur emploi durant la pandémie, contre 3,9 % des hommes employés. Les données de LinkedIn montrent en outre un déclin marqué de l’embauche des femmes à des postes de direction. Le phénomène de « double vacation » s’est aussi intensifié ces derniers mois, les femmes alternant entre des périodes de travail rémunéré et non rémunéré dans un contexte de fermetures d’écoles et de disponibilité limitée des services de garde. « Le système du travail dans lequel on vit aujourd’hui est pensé pour et par des hommes. Il n’est pas taillé pour une mère de deux enfants en bas âge », déplore Clara Moley.

Finalement, les femmes restent sous-représentées dans certains domaines comme l’informatique. « Seuls deux des huit groupes d’emplois de demain ont atteint la parité hommes-femmes, tandis que la plupart d’entre eux présentent une grave sous-représentation des femmes », avancent les auteurs du rapport. Par exemple, les femmes ne représentent que 14 % de la main-d’œuvre du secteur du cloud computing, 20 % en ingénierie et 32 % dans le domaine de l’intelligence artificielle. 

52,1 ans pour combler l’écart femmes-hommes en Europe

L’Europe occidentale reste la région la mieux notée et a encore progressé cette année, selon le dernier rapport du Forum économique mondial. L’écart global entre les sexes désormais comblé s’établit à 77,6 %.Pour autant, certains pays dont la France ont perdu plusieurs places dans le classement des pays en fonction de l’état des inégalités de sexe. Alors qu’elle se situait à la 11e place en 2017, elle est tombée à la 16e place en 2021. En cause : les écarts salariaux qui stagnent. Le salaire mensuel net moyen des femmes en France demeure 16,5 % inférieur à celui des hommes, selon Eurostats. C’est 1 point de plus qu’en 2020. 

« Pourtant, tout un arsenal législatif a été développé en France ces dernières années pour réduire les inégalités de sexe. Mais il s’étoffe trop lentement et avec trop d’imperfections, regrette Clara Moley, qui soulève les manqués de la « grande cause » du quinquennat d’Emmanuel Macron. C’est pour cela que les chiffres ne suivent pas ».