VIDÉO. "J'ai quitté l'Ukraine parce que je voulais sauver mon enfant" : arrivée en Corse depuis l'Ukraine, Iryna témoigne

Par Pierre NEGREL

Iryna est venu en Corse avec sa fille pour y retrouver son mari, un légionnaire du 2e Rep, actuellement en mission à Djibouti.

Iryna est venu en Corse avec sa fille pour y retrouver son mari, un légionnaire du 2e Rep, actuellement en mission à Djibouti.

Christian Buffa

Bastia

Iryna Dykyk et sa fille Viktoriia ont débarqué à Bastia dimanche, cinq jours après avoir quitté leur ville de Boryslav. Accueillies par une compatriote résidant sur la commune de Lucciana, elles attendent l'arrivée de leur mari et père, un légionnaire du 2e Rep, en mission à l'étranger

La première chose que l'on remarque, lorsque l'on aperçoit Iryna Dydyk, ce sont ses vêtements : un blouson jaune et un pull bleu qui évoquent immédiatement les couleurs de son pays. Arrivée dimanche en région bastiaise avec sa fille de 10 ans, cette réfugiée ukrainienne l'assure pourtant : c'est le pur fruit du hasard. Et il suffit d'écouter son récit, de prêter attention à ses traits tirés par l'angoisse et la fatigue pour se convaincre en effet qu'elle est loin, très loin de ce genre de préoccupations vestimentaires.

Originaire de la ville de Boryslav, dans la partie occidentale du pays, voilà une semaine que cette femme de 35 ans s'est résolue à partir. "Je l'ai fait pour ma fille Viktoriia, confie-t-elle. Le 24 février, le jour où les Russes nous ont attaqués, on a entendu des explosions toute la journée. Ensuite, on a vécu au rythme de 5 à 6 alertes par jour, obligés à chaque fois d'aller se réfugier dans une cave. On vivait dans un stress permanent, ma fille était paniquée. Ma famille aurait préféré que je reste mais ma priorité a été de sauver mon enfant."

La solidarité des légionnaires

Le centre commercial de Przemysl transformé par les autorités polonaises en structure d'accueil pour les réfugiés où Iryna et sa fille ont transité la semaine dernière.
Le centre commercial de Przemysl transformé par les autorités polonaises en structure d'accueil pour les réfugiés où Iryna et sa fille ont transité la semaine dernière. Document Corse Matin

La mère et la fille vont donc se mettre en route. Leur objectif : rejoindre la Corse. C'est là que vit le mari d'Iryna, légionnaire au 2e Rep de Calvi. C'est là qu'elles attendront son retour de Djibouti, prévu pour le mois de juin. Le 2 mars, munies d'une valise, d'une maigre somme d'argent et d'un passeport de voyage valable trois mois, elles franchissent à pied la frontière polonaise. Là, elles sont conduites dans une structure d'accueil mise en place par les autorités locales dans la ville de Przemysl. "C'était un centre commercial dans lequel ils avaient installé des matelas et où ils proposaient des vivres et des vêtements, explique-t-elle. Les gens étaient relativement calmes et pensaient surtout à trouver une destination pour s'en aller le plus vite possible."

Iryna et sa fille n'y passeront que 24 heures. Le lendemain de leur arrivée à Przemysl, elles sont prises en charge par un ami, un légionnaire venu lui-même récupérer sa famille. C'est le début d'un trajet de quatre jours en voiture, entrecoupé de nuits à l'hôtel où dans des familles amies - des familles de légionnaires le plus souvent. La Pologne, la République tchèque, l'Allemagne, la Suisse, l'Autriche et finalement le port italien de Savone, où elles s'embarquent pour Bastia.

Depuis, la mère et la fille résident à Lucciana, chez Kateryna Rozhman, une Ukrainienne installée en Corse depuis six ans, elle aussi femme de légionnaire. La pression, petit à petit, retombe. "On se sent en sécurité, confie Iryna. La petite va mieux, même si elle se réveille la nuit." L'inquiétude, elle, est toujours là. L'inquiétude pour sa famille : un père de 80 ans, une mère, des sœurs, des nièces... tous restés à Boryslav. "Comme je n'ai pas encore de carte SIM et d'accès Internet, je ne peux pas encore les joindre aussi souvent que je voudrais, explique-t-elle. Les nouvelles que j'ai sont terrifiantes. On a des parents de Kiev qui nous ont parlé de morts, de scènes de pillage." L'inquiétude aussi pour sa maison : "Une maison qu'on venait de faire construire, que j'ai dû abandonner comme ça sans savoir si je la retrouverai un jour."

"Ils sont comme des zombies"

Au milieu de tout ça, il faut penser au quotidien. Des contacts ont été pris avec la mairie de Lucciana. D'ici quelques jours, la petite Viktoriia devrait être scolarisée. Mais il va falloir aussi se procurer une carte de téléphone, faire le nécessaire auprès des autorités françaises pour avoir un statut, bénéficier d'aides. Pour ce qui est de l'avenir, Iryna se dit incapable de se projeter. "J'attends le retour de mon mari, confie-t-elle. C'est la seule étape que j'envisage pour le moment."

Comme beaucoup de gens en Ukraine, Iryna ne pensait pas que les Russes iraient jusqu'à envahir leur pays. Mais pour Katherina, qui l'héberge depuis dimanche, ce n'est pas une surprise. Originaire de Donetsk dans le Donbass, une zone où gouvernement ukrainien et séparatistes pro-russes s'affrontent depuis 2014, elle a obtenu en France le statut de réfugié politique. "Il y a huit ans, Poutine a pris le contrôle des médias dans le Donbass, explique-t-elle. Depuis, les gens sont conditionnés par une information tout entière vouée à la propagande pro-russe. Ils sont comme des zombies. Il y en a qui sont tellement fous qu'ils croient dur comme fer que c'est l'Ukraine qui a attaqué la Russie. Quand j'ai vu, le 21 février, que Poutine reconnaissait l'indépendance des républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk, j'ai dit il y a 60 % de chances qu'il y ait la guerre."

Qu'ils aient été surpris ou non, les Ukrainiens présents en Corse vivent tous aujourd'hui dans la même angoisse. Installée à Bastia depuis 16 ans, Maryna Malyuta est très impliquée dans l'accueil de ses compatriotes. C'est elle qui sert d'ailleurs d'interprète lors de nos échanges avec Iryna. Depuis le 24 février, elle aussi vit dans les affres. Soumy, la ville où réside toute sa famille, est aujourd'hui encerclée par les forces russes. Sur son téléphone, elle montre une vidéo : au milieu de la nuit, des hommes fouillent dans les décombres d'une maison et en extraient une vingtaine de cadavres, dont certains sont des cadavres d'enfants.

"Sans eau ni électricité par - 5°"

Iryna et sa fille sont hébergées par Kateryna Rozhman (au centre), une ressortissante ukrainienne installée à Lucciana. Elles peuvent également compter sur l'aide de leur compatriote Maryna Malyuta (à gauche).
Iryna et sa fille sont hébergées par Kateryna Rozhman (au centre), une ressortissante ukrainienne installée à Lucciana. Elles peuvent également compter sur l'aide de leur compatriote Maryna Malyuta (à gauche). Christian Buffa

"Je ne pense plus qu'à ça. Je passe mes journées à envoyer des SMS à ma famille, confie-t-elle. Ils se sont trouvés privés d'électricité et d'eau pendant plusieurs jours avec une température de - 5°. Mon frère travaille pour l'armée et il restera défendre son pays quoi qu'il en soit. Mais j'aimerais au moins faire venir ma mère qui a 76 ans. Le problème, c'est que les gens ne peuvent pas quitter la ville. Sur les soi-disant couloirs humanitaires mis en place pour les civils, des gens ont disparu et on a retrouvé leurs voitures saccagées, les roues crevées."

Le seul réconfort, au milieu de tous ces tourments, c'est la réaction des sociétés occidentales. "Il faut vraiment insister sur cela : les gens sont formidables, poursuit Maryna. En Corse, l'élan de solidarité est incroyable et c'est pour nous très réconfortant."

Qu'en pense Iryna ? Qu'en pense sa fille Viktoriia ? C'est sans doute tôt pour le dire. Alors que la conversation glisse sur les sanctions économiques, sur le risque nucléaire, sur la zone d'exclusion aérienne... la jeune mère de famille se mure dans le silence. Son visage se ferme. Son regard clair se perd là-bas au loin, sans doute du côté de Boryslav.