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Covid-19: «On ne sait prévoir ni l’ampleur, ni la sévérité de la vague qui s’apprête à déferler sur l’Europe»

Eclipsée par la guerre en Ukraine, la pandémie de Covid-19 génère des cas en augmentation un peu partout sur le Vieux-Continent. Le Danemark, qui avait levé toutes ses mesures, voit les décès liés au Covid-19 augmenter. Faut-il se méfier? Le point avec l’épidémiologiste Antoine Flahault

Nombre de nouveaux cas de Covid-19 par semaine dans plusieurs pays d'Europe. Sources: Johns Hopkins University CSSE Covid-19 Data / ourworldindata.org
Nombre de nouveaux cas de Covid-19 par semaine dans plusieurs pays d'Europe. Sources: Johns Hopkins University CSSE Covid-19 Data / ourworldindata.org

La Suisse, comme la France, l’Allemagne ou encore l’Italie, est à nouveau confrontée à une augmentation quotidienne des cas de Covid-19. «La prochaine vague en Europe a commencé», a affirmé ce 12 mars sur Twitter Eric Topol, chercheur au Scripps Research Institute aux Etats-Unis, à la vue des courbes qui tendent à prendre de nouveau l’ascenseur sur le Vieux-Continent.

Le dernier bilan de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) daté du 11 mars faisait en effet état de 31 883 nouveaux cas confirmés en vingt-quatre heures, avec un taux de positivité de 52,7%, laissant entendre que de très nombreux cas passent sous le radar. Le Danemark, qui a levé toutes ses mesures bien avant la Suisse, voit également le nombre de décès par million d’habitants augmenter depuis plusieurs semaines, comme le confirment les statistiques publiées sur le site Our World in Data.

Taux de décès quotidiens par million de personnes. Sources: Johns Hopkins University CSSE Covid-19 Data / ourworldindata.org
Taux de décès quotidiens par million de personnes. Sources: Johns Hopkins University CSSE Covid-19 Data / ourworldindata.org

Assiste-t-on réellement au début d’une sixième vague ou au rebond de la cinquième? A-t-on levé les mesures de manière trop anticipée? Faut-il craindre que la Suisse suive le même scénario que le Danemark? Les réponses d’Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève.

Le Temps: L’incidence à la hausse du nombre de cas est-elle le signe du début d’une sixième vague, ou d’un ressac de la cinquième?

Antoine Flahault: Nous pouvions, en réalité, déjà parler de sixième vague liée au sous-variant BA.1 d’Omicron, dont le pic est arrivé en Suisse à la fin du mois de janvier. Mais contrairement aux quatre premières vagues, il n’y a pas eu d’accalmie entre la cinquième et la sixième vague, cette dernière s’étant épaulée sur la précédente, laissant juste apercevoir un petit plateau à peine perceptible sur la courbe épidémique, au moment des fêtes de Noël. BA.1 cède actuellement sa place à son successeur BA.2 qui prend la relève à vive allure pour constituer une nouvelle vague qui s’apprête à déferler à nouveau en Suisse et sur l’ensemble de l’Europe. On ne sait prévoir ni son ampleur ni sa sévérité. Le mieux serait de s’en protéger activement dès à présent en commençant par réintroduire le port du masque en lieux clos, dans les classes des écoles et dans les bureaux partagés.

Le nombre de nouvelles infections était toujours élevé lorsque la plupart des mesures ont été levées en Suisse. Cette augmentation était-elle prévisible?

Cette pandémie est imprévisible depuis le début. Nous avons souvent appelé à la vigilance et à l’anticipation, en l’absence de certitudes dans nos prévisions à moyen ou long terme. On ne sait même pas très bien les raisons de ce rebond constaté dans toute l’Europe de l’Ouest et qui commence à se propager vers l’Europe centrale et de l’Est. L’Australie, qui a connu une forte vague avec un pic à la mi-janvier, connaît à son tour un rebond dû à BA.2 comme les pays de l’Europe de l’Ouest. Il reste à savoir si l’immunité conférée contre le sous-variant BA.1 permettra d’éviter d’être contaminés par le sous-variant BA.2, qui s’installe dans le monde comme le nouveau variant dominant, au moins en termes d’hospitalisations et de décès.

Le sous-variant BA.2 d’Omicron est en effet 30% plus transmissible que BA.1. Sa virulence fait toutefois toujours débat…

En effet, l’expérience des Britanniques et des Danois tend à faire penser que BA.2 n’est pas plus virulent que BA.1, voire qu’il serait même moins virulent. Néanmoins, l’expérience sud-coréenne, où la couverture vaccinale est supérieure à celle de la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, de l’ordre de 87%, avec en grande partie des vaccins à ARN messager, semble néanmoins montrer une forte propension du sous-variant BA.2 à entraîner des formes graves conduisant à l’hospitalisation en soins intensifs et au décès.

Peut-on lier l’augmentation des cas observée à la levée des mesures?

Si la levée des mesures sanitaires a entraîné un relâchement général un peu partout en Europe, elle ne s’est toutefois pas faite de façon homogène sur l’ensemble du sous-continent, alors que tous les pays, ou presque, connaissent le même rebond que celui que l’on observe en Suisse actuellement. Il n’est donc pas certain qu’il faille mettre la remontée des cas observée sur le compte de la levée des mesures. Lors de la première vague, nous avions montré, avec des climatologues de l’Université de Genève, le rôle des pics de pollution atmosphérique dus aux particules fines que l’on observe lors de conditions météorologiques anticycloniques hivernales. Or, ce même type de conditions météorologiques a prévalu ces dernières semaines en Suisse et sur une grande partie du sous-continent européen. Elles ont pu également jouer un rôle déterminant dans le déclenchement de cette nouvelle vague de contaminations.

La situation du Danemark, où la mortalité par million d’habitants est en augmentation, devrait-elle nous alerter sur ce qui pourrait nous attendre en Suisse?

La situation du Danemark est préoccupante dans le sens où elle évoque celle que vivent les Sud-Coréens actuellement. Les deux pays sont très vaccinés (plus de 85% de leur population a reçu au moins une dose et plus de 60% trois doses) et les deux pays subissent une vague de mortalité sans précédent depuis le début de la pandémie, liée au sous-variant BA.2.

La différence entre les deux pays est que la vague de contaminations est sur la décrue au Danemark alors qu’elle continue à grimper à vive allure en Corée du Sud, qui rapporte actuellement les plus fortes incidences au monde. Les autorités danoises, qui ont levé toutes les mesures sanitaires depuis le début du mois de février, restent très sereines vis-à-vis de cette situation épidémiologique, affirmant que la plupart des décès seraient incidentaux c’est-à-dire «avec le Covid-19» et non «à cause du Covid-19». Cela va toutefois à l’encontre d’une récente étude allemandepubliée dans le Lancet et qui montre, à partir des autopsies de décès rapportés au Covid-19, que 86% étaient dus au coronavirus.

La levée des mesures par le gouvernement danois a-t-elle pu constituer une prise de risque pour les personnes fragiles?

C’est en effet une hypothèse que l’on ne peut s’empêcher de soulever. Les personnes vaccinées mais immunodéprimées en raison de leur maladie ou de leurs traitements, les personnes âgées immunosénescentes, c’est-à-dire ayant perdu de leur immunité du fait de leur âge, et enfin les personnes non vaccinées ayant des comorbidités, et qui sont toutes à haut risque de formes graves pouvant conduire au décès, n’ont plus été protégées par le port obligatoire du masque en lieux clos mal ventilés et souvent bondés que représentent les transports publics, les bureaux partagés, les grands auditoriums ou les salles de classe.

Trouvez-vous pertinent que l’on se concentre essentiellement sur l’occupation des soins intensifs pour prendre, ou non, des mesures?

Il y a une controverse récurrente lors de l’arrivée de chaque vague depuis le début de cette pandémie et qui s’est encore amplifiée avec l’arrivée d’Omicron. On entend: «Ce ne sont que des contaminations, on ne va pas bloquer toute la vie sociale et économique du pays pour quelques rhumes!» Le problème est qu’un nouveau variant commence toujours par se propager parmi les gens les plus actifs du pays, ceux qui circulent, travaillent, vont au café, au restaurant, au club de sport ou en discothèque. Ces derniers font partie des segments les moins à risque de formes graves et se retrouvent rarement aux soins intensifs. J’ignore cependant combien développent par la suite des covid longs invalidants, et l’on s’en soucie bien peu. Mais c’est ce qui explique le décalage entre la vague de contaminations et sa répercussion sur l’hôpital et la mortalité.

Au Danemark, comme en Afrique du Sud, le décalage a pu être d’un mois, voire d’un mois et demi entre le pic des contaminations et le pic des décès. Il faut donc rester très prudents, même si en Suisse on doit reconnaître que l’on jouit, depuis l’arrivée de la vaccination, de l’une des plus faibles mortalités d’Europe, alors même que la population est plutôt moins vaccinée (70%) que celle de ses voisins directs. Est-ce le fait du choix par les autorités du vaccin de Moderna qui protégerait mieux, et qui a été utilisé à plus de 60% en Suisse? Il est encore un peu tôt pour le dire, mais on peut souligner ces données favorables en Suisse en espérant qu’elles le resteront en dépit du relâchement assez généralisé des mesures sanitaires dans le pays.