Inégalités

« Une agence nous a foutus à la porte » : les discriminations face au handicap empêchent l’accès au logement

Inégalités

par Lisa Noyal

Les personnes en situation de handicap font face à un mur de préjugés quand elles cherchent un logement. Basta! a recueilli les témoignages de jeunes adultes qui ont fait l’expérience de la discrimination systématique des agences et propriétaires.

« J’ai fait une quinzaine d’agences immobilières et je ne me suis heurtée qu’à des refus », souffle Marie*. Foncia, Century 21, Orpi, LaForêt… Elle les a toutes prospectées dans la région d’Orléans et aucune ne lui a proposé ne serait-ce qu’une visite. « Quand j’étais étudiante, je n’ai jamais mis plus de trois jours pour trouver un appartement. » Mais lorsque la trentenaire, atteinte d’un trouble psy (la bipolarité), a commencé les recherches de logement en présentant pour seul revenu son Allocation adultes handicapés (AAH), tout s’est compliqué. Selon le rapport annuel du Défenseur des droits publié en 2021, le handicap est la première cause de discrimination en France.

N’ayant pas d’emploi, Marie perçoit le montant maximum de l’AAH, soit 904 euros par mois. Ce revenu minimum financé par l’État est déterminé en fonction du taux d’incapacité des personnes. Il est la plupart du temps accordé pour une durée limitée (de un à dix ans). Durant ses sept mois de recherches d’un logement, Marie a dû se battre pour faire respecter ses droits. L’employé d’une agence immobilière lui a par exemple rétorqué qu’il ne prenait pas en compte l’AAH comme un revenu.

« Quand j’ai montré que des agences ont déjà été condamnées pour ce motif de refus, on m’a finalement dit que c’était les allocations pour le logement (APL) qui n’étaient pas prises en compte. » Ailleurs, on l’a mise dehors sous prétexte que l’agence « ne prend en compte que des contrats de travail ». Pourtant, « le Défenseur des droits considère que la pratique d’une agence immobilière consistant à ne prendre en compte que les revenus saisissables des candidats [1] est constitutive d’une discrimination indirecte fondée sur le handicap », explique Mathilde Zylberberg, cheffe du pôle « emploi, biens et services privés » du Défenseur des droits.

« Une agence nous a carrément foutus à la porte l’an dernier », se souvient, encore choquée, Angie, 25 ans, autiste et souffrant d’une maladie chronique. Après avoir repéré des appartements qui se situaient dans une tranche de prix abordable pour ses revenus, elle s’était rendue dans une agence avec son père. « Quand on m’a demandé ce que j’avais comme revenu et que j’ai dit que j’avais l’AAH, on m’a répondu “l’appartement n’est pas pour vous” et on nous a poussé dehors ! » Après avoir contacté une dizaine d’agences à Toulouse et aux alentours, Angie arrive à la même conclusion que Marie : « Au début, mon profil les intéresse, mais quand je dis que j’ai l’AAH, c’est fini. À chaque fois, ils avancent des excuses, comme quoi ils n’acceptent que les étudiants, qu’ils ne veulent pas de moi parce que je suis une fille, etc… »

« On leur a ri plusieurs fois au nez »

En parallèle de ses démarches via des agences, Angie tente d’obtenir un logement directement auprès de particuliers. Lors d’une visite, un propriétaire demande à la jeune femme quels sont ses revenus. Son père parle de l’AAH. « Bon, normalement j’accepte pas trop, mais de ce que je vois, votre fille est pas trop handicapée, ça se voit pas… », a répondu l’homme. « Au niveau des bailleurs, je pense qu’il y a beaucoup de validisme ordinaire [forme de discrimination, de préjugé ou de traitement défavorable envers les personnes en situation de handicap], et des préjugés misérabilistes », analyse Lili, membre des Dévalideuses, un collectif qui vise à représenter les voix des femmes handicapées. Pour Lili, ces préjugés font que « les personnes valides remettent en question les capacités des personnes handicapées », en l’occurrence, celles d’habiter seul dans un logement, d’en prendre soin et d’y être autonome.

Lorsque Alexandre et Thomas, deux frères autistes de 25 et 26 ans, ont démarché les agences immobilières autour de Caen, « on leur a ri plusieurs fois au nez, rapporte Céline, leur mère. On a dit à Alexandre “Vous êtes sûr que vous voulez prendre un appartement seul ? Vous savez qu’il y a énormément de choses à faire à côté, ce n’est pas juste rester chez soi et jouer aux jeux vidéo… » Sasha, la trentaine, se souvient aussi de propos validistes d’un propriétaire : « On m’a dit une fois “ça ne me rassure pas de vous louer l’appartement parce que vous êtes aveugle, vous allez l’abîmer” ». Il n’a donc pas obtenu cet appartement. « Les préjugés des personnes valides sur les personnes handicapées sont fondés sur un système d’oppression qui est normalisé dans la société. C’est extrêmement complet comme système : il y a des préjugés, des comportements discriminatoires et ça va jusqu’aux violences », explique Lili, des Dévalideuses.

Face au constat de ces discriminations constantes dans le secteur de l’immobilier, le gouvernement a mis en place en 2020 une Charte de lutte contre les discriminations dans l’accès au logement. Une dizaine de représentants du secteur l’ont signée. Le texte mentionne aussi les discriminations liées au handicap. « Les signataires s’engagent à développer des outils de sensibilisation et de formation afin de déconstruire les préjugés à destination de l’ensemble des professionnels », peut-on y lire. Mais au-delà des refus illégaux et discriminatoires, le système administratif lui-même bloque la location de logements.

Quand l’assurance « garantie de loyers » devient un obstacle

Par exemple, depuis plusieurs années, les propriétaires peuvent choisir de souscrire à des garanties loyers impayés, qui leur permettent d’être intégralement remboursés face à un locataire mauvais payeur. Ces contrats sont notamment proposés par des courtiers d’assurances. Parfois, les agences elles-mêmes proposent ce type de garanties aux propriétaire. C’est le cas de l’entreprise Foncia où « plus des deux tiers des clients bailleurs optent pour la garantie de loyers impayés », indique l’entreprise.

Ces contrats ont pour la plupart des conditions strictes : celui de Foncia impose par exemple aux locataires de disposer d’un revenu trois fois plus élevé que le montant du loyer. Ainsi, avec le montant maximal de l’AAH, une personne handicapée ne peut prétendre qu’à un loyer de 300 euros. « Ça rend la vie impossible aux personnes qui ont l’AAH », regrette Nathalie* qui vit avec des handicaps moteurs et psy. Lorsqu’elle a commencé ses recherches de logement auprès des agences, la jeune femme a vite compris que l’allocation qu’elle perçoit ne serait pas suffisante pour pouvoir prétendre à un appartement.

Par ailleurs, depuis la loi Boutin de 2009 sur le logement, seuls les étudiants et les apprentis peuvent prétendre à une caution solidaire (par exemple quand des parents se portent caution) lorsque les propriétaires ont souscrit à ce type d’assurance de garantie de loyers. Pas les personnes à l’AAH. « Vous pouvez avoir des parents millionnaires, si vous avez l’AAH, ils s’en foutent », conclut Nathalie.

Certains choisissent de cacher au maximum leur handicap

Autre blocage : les logements accessibles en fauteuil roulant sont très rares, et bien plus chers. « Quand on est en situation de handicap, on est obligé d’augmenter son budget parce qu’un studio ne convient pas. Dans les immeubles bas prix il n’y a pas d’ascenseur, des marches à l’entrée… », analyse Nathalie. « J’ai cherché pendant deux ans une location accessible. Même dans les petits villages, les coûts sont supérieurs à 200 euros », confirme Éric qui a un handicap moteur. Par ailleurs, la loi Élan de 2019 impose que seulement 20 % des logements neufs doivent être accessibles, et non plus 100 % comme c’était le cas depuis 2005. Même les logements sociaux ne sont pas tous accessibles : « Il ne faut pas compter dessus, confirme Nathalie. Les appartements vraiment accessibles, il y en a très peu… Et les délais de demandes de logements sociaux sont très longs ! » Lili, des Dévalideuses, qui est malvoyante, a mis sept ans pour obtenir un logement social en région parisienne.

Face aux difficultés d’obtenir un logement, certains choisissent de cacher au maximum leur handicap lorsque cela est possible. Pour son précédent appartement, Marie a établi un faux certificat de scolarité pour se déclarer comme étudiante, et avoir ainsi davantage de chance d’être acceptée. Angie a choisi la même méthode au bout de quelques mois de recherches sans résultat. « On mettait tous mes besoins en accessibilité sur le compte de la fainéantise. Et là, tout le monde m’acceptait, c’était moi qui était exigeante », décrit-elle avec une ironie amère.

Également étudiante, Sarah, autiste et souffrant d’une maladie chronique, a abandonné l’idée d’avoir son nom sur le bail de l’appartement qu’elle partage avec une amie. « Les seuls propriétaires ayant répondu favorablement à notre dossier sont ceux à qui je n’ai pas fait mention de mon AAH, ou ceux à qui on a fait croire que l’appart était uniquement pour ma colocataire ». Finalement, elles partagent un appartement où, « aux yeux du propriétaire, je n’existe pas », indique Sarah. Elle ne peut donc pas bénéficier d’aides au logement. « Aujourd’hui, on n’a pas de moyens de recours, on n’a pas de moyens de prouver ces discriminations, conclut Lili. D’où l’intérêt de la lutte anti-validiste en fait ».

* Prénom modifié à la demande des intéressées.

Lisa Noyal

Photo : © Jean de Peña

Notes

[1Soit les revenus qui peuvent être saisis sur décision d’un juge pour rembourser une dette, dont les salaires, indemnités de chômage et de maladie.