Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Arabie Saoudite

La libération du militant Raïf Badaoui couvre une campagne d’exécutions

Le blogueur et activiste des droits humains saoudien condamné fin 2014 pour « insulte à l’islam » a été relâché vendredi dernier. Soumis jusqu’à présent à une interdiction de quitter le royaume pendant les dix prochaines années, il ne peut rejoindre sa femme et ses trois enfants au Canada.

La libération du militant Raïf Badaoui couvre une campagne d’exécutions

La femme du militant des droits humains saoudien Raïf Badaoui, Ensaf Haïdar, tenant une photo de son mari, le 16 décembre 2015. Patrick Hertzog/AFP

Les 50 coups de fouet qu’il avait publiquement reçus le 9 janvier 2015, devant la mosquée al-Jaffali de Djeddah (Ouest) après la prière hebdomadaire, avaient choqué l’opinion publique mondiale. Alors que l’application de la peine de Raïf Badaoui commençait, une ministre suédoise de l’époque avait dénoncé le caractère « médiéval » de cette séance de flagellation. Symbole international de la liberté d’expression, le blogueur et militant saoudien des droits humains a été libéré de prison vendredi dernier, après avoir purgé une peine de dix ans. « Après dix ans mon père est libre ! » s’était empressé de tweeter le jour même le fils de Raïf, Terad, en publiant une photo avec ses deux sœurs et leur père. Alors que le militant devait être relâché de prison le 28 février, selon le calendrier musulman, son sort préoccupait vivement sa famille depuis deux semaines. « Cette attente est insupportable pour lui, pour notre famille et pour notre entourage. Que se passe-t-il ? Quand sortira-t-il ? » s’était inquiétée le 8 mars sur son compte Twitter sa femme, Ensaf Haïdar, devenue citoyenne canadienne. En dépit de sa libération, Raïf Badaoui est toujours soumis à une interdiction de quitter le royaume pendant dix ans une fois sa peine purgée et ne peut donc pas rejoindre sa femme et ses trois enfants qui l’attendent au Canada. Comme prononcé dans sa condamnation, le blogueur est en outre contraint de verser une amende punitive de 335 000 dollars et a été interdit d’utiliser les réseaux sociaux.

L’influence du religieux sur la vie publique

Loin d’être isolé, le cas de Raïf Badaoui est « symbolique de la répression contre toute personne exerçant son droit à la liberté d’expression, souligne Inès Osman, avocate des droits humains, cofondatrice et directrice de l’organisation MENA Rights. Il montre aussi que ce climat de répression n’est pas nouveau, mais existe depuis de nombreuses années ». Si la répression contre les dissidents s’est intensifiée après la désignation de Mohammad ben Salmane (MBS) en tant que prince héritier en juin 2017, des prisonniers d’opinion croupissaient déjà dans les geôles saoudiennes. Âgé de 38 ans aujourd’hui, Raïf Badaoui avait de son côté été arrêté en 2012. S’il n’était pas une figure connue en Arabie saoudite, l’activiste saoudien tenait un blog intitulé « Free Saudi Liberals » dans lequel il publiait des contenus prolaïcité, allant à l’encontre de l’interprétation austère de l’islam par les autorités religieuses du royaume. Récompensé en 2014 par le prix Reporters sans frontières dans la catégorie « Net-citoyen » et par le prix Sakharov pour la liberté d’expression l’année suivante, Raïf Badaoui figurait également parmi les nominés pour le prix Nobel de la paix. Condamné fin 2014 à dix ans de prison et à 50 coups de fouet par semaine pendant vingt semaines, notamment pour s’être exprimé en faveur de la fin de l’influence du religieux sur la vie publique, « son cas reflète un modèle courant en Arabie saoudite de traitement extrêmement dur à l’encontre des défenseurs des droits civils et humains des citoyens », observe Khalid Ibrahim, directeur exécutif du Gulf Center for Human Rights. Face au tollé international provoqué par la première séance de flagellation, les suivantes avaient été reportées avant que l’Arabie saoudite n’abolisse officiellement cette peine dans le royaume en 2020.

Pour mémoire

En Arabie saoudite, la révolution sociétale est en marche

Alors que le royaume cherche à améliorer son image internationale en entreprenant diverses réformes sociales et économiques, la libération de Raïf Badaoui serait intervenue « en raison de la pression internationale et aussi pour couvrir la campagne d’exécutions de citoyens innocents qui a eu lieu ces jours-ci », poursuit Khalid Ibrahim. Samedi, le ministère saoudien de l’Intérieur a exécuté 81 hommes dans le cadre de la plus importante exécution de masse organisée dans le royaume depuis des décennies. Parmi ceux-ci, 73 Saoudiens, 7 Yéménites et un Syrien, « reconnus coupables d’avoir commis de multiples crimes odieux » dans le pays, a rapporté l’agence de presse officielle SPA. « Une telle exécution de masse est sans précédent et démontre que la soi-disant volonté et les efforts des autorités de » moderniser « le pays – y compris le système de justice pénale – et être respectueux des droits humains ne sont qu’une façade », fustige Inès Osman.

Pourparlers suspendus

Si les autorités soutiennent que de nombreux partisans de l’organisation jihadiste État islamique, du réseau el-Qaëda ou des rebelles houthis du Yémen figurent parmi les exécutés, plusieurs organisations des droits humains ont relevé le cas de simples dissidents, dont des membres de la communauté chiite, discriminée dans le royaume. « Le prince héritier vient tout juste de dire la semaine dernière à des journalistes qu’il voulait moderniser le système judiciaire pénal, seulement pour ordonner la plus importante exécution en masse de l’histoire du pays », a dénoncé sur son compte Twitter l’ONG britannique Reprieve. Hier, les médias officiels iraniens ont indiqué que Téhéran, soutien des rebelles houthis au Yémen, avait suspendu les pourparlers secrets entamés par l’intermédiaire de Bagdad avec Riyad, alimentant les rumeurs sur une possible corrélation entre ces deux événements.

Lire aussi

Le militant saoudien libéré Raif Badawi interdit de quitter le pays pendant 10 ans

Si Joe Biden – qui avait indiqué sa volonté de recalibrer les relations avec l’Arabie saoudite en raison de son bilan en matière des droits humains – aurait récemment opéré un rapprochement avec le royaume afin de compenser la perte du brut russe depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette récente vague d’exécution pourrait davantage le mettre dans l’embarras. De son côté, l’entourage de Raïf Badaoui espère que le militant bénéficiera prochainement d’une grâce royale, seul recours lui permettant de rejoindre sa famille au Canada, alors que le pays l’a placé sur une liste prioritaire d’immigrants potentiels pour raisons humanitaires.

« Nous n’avons aucun espoir dans le gouvernement saoudien actuel, regrette cependant Khalid Ibrahim. Même nos collègues libérés, comme Raïf Badaoui, Samar Badaoui (sa sœur), Nassima al-Sadah, Loujain al-Hathloul, Adam Koshak et d’autres prisonniers d’opinion, sont privés de tous leurs droits fondamentaux, notamment celui de voyager à l’étranger, d’obtenir un emploi public, de parler aux médias ou d’écrire librement sur les réseaux sociaux, et ils sont strictement surveillés. »

Les 50 coups de fouet qu’il avait publiquement reçus le 9 janvier 2015, devant la mosquée al-Jaffali de Djeddah (Ouest) après la prière hebdomadaire, avaient choqué l’opinion publique mondiale. Alors que l’application de la peine de Raïf Badaoui commençait, une ministre suédoise de l’époque avait dénoncé le caractère « médiéval » de cette séance de flagellation....

commentaires (1)

Regime archaique et fascisant. Le moyen age barbare dans toute sa splendeur...

Michel Trad

20 h 06, le 14 mars 2022

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Regime archaique et fascisant. Le moyen age barbare dans toute sa splendeur...

    Michel Trad

    20 h 06, le 14 mars 2022

Retour en haut