"Sur la route" de Kerouac, les secrets du rouleau original

C'est sur ce rouleau que Kerouac a écrit "Sur la route"
C'est sur ce rouleau que Kerouac a écrit "Sur la route"
"Sur la route de Kerouac", les secrets du rouleau original
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"Sur la route" de Kerouac, les secrets du rouleau original

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Jack Kerouac a écrit la première version de "Sur la route" sur un tapuscrit de 36 mètres de long. Le rouleau, longtemps disparu et finalement retrouvé des décennies après, nous en apprend plus sur le projet littéraire de l'écrivain de la "Beat generation".

C’est l’un des romans américains les plus mythiques du XXe siècle. Avec Sur la route, Jack Kerouac a écrit la bible de la “Beat generation” et ouvert la voie au "road-movie".  

L’écrivain a écrit son roman sur un rouleau de 36 mètres de long. Egaré puis redécouvert, cet étrange objet nous propulse au cœur de la furie créatrice de Kerouac.  

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Josée Kamoun, traductrice de Kerouac : "Rien qu’à voir le rouleau, on a une idée d’énergie. Pour tout vous dire, quand on le voit enroulé, on n’a qu’une idée, c’est de le dérouler d’un seul jet." 

Avril 1951, Jack Kerouac, 29 ans, profite d’une convalescence après une phlébite pour se réfugier dans l’appartement new-yorkais d’une connaissance avec sa machine à écrire et un stock de papier.  

Il scotche les feuilles à la suite pour ne pas à avoir à remettre du papier et être freiné dans son élan. Kerouac veut coucher sur papier les quelques années bohèmes qu’il vient de passer à voyager à travers les États-Unis entre vagabondage, nuits d’ivresse, prise de psychotropes, de sexe, de jazz et de divagations poétiques.  

Il veut faire de ses années d'errance un “énorme roman dostoïevskien”, et faire comme Proust, mais en “plus vite”. C’est en jet ininterrompu qu’il tape jusqu’à 15 000 mots par jour, à partir des petits carnets noirs qu’il avait toujours sur lui et sur lesquels il notait tout.  

Son texte défile sans virgule, ni chapitre. Il écrit sous l’influence de la musique jazz qu’il écoute en boucle et sans aucune autre substance… que du café.

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Josée Kamoun : "Il est à sa machine comme au volant d’une voiture et le ruban, lui, se déroule comme la route. On pourrait dire que tout en écrivant, en crépitant comme un furieux, il bouffe de la route. Vous avez l'image du ruban qui se déroule mais vous avez aussi le chariot de la machine qui revient et à chaque fois qu’il revient il fait 'gling'. Donc vous avez un tempo, une pulse qui s’inscrit là-dessus."

Après trois semaines d’isolement, le rouleau de 36 mètres de long montre un texte ordonné, peu annoté, cohérent dans son flot, bien loin de l’image chaotique qu’on associait à l’écrivain.  

"Un véritable déchirement"

Mais aucun éditeur ne sait quoi faire de ce long rouleau de texte. Pendant près de six ans, Kerouac remanie le texte, écrit même d’autres rouleaux semblables. Le nom réel des personnes croisées, comme Allen Ginsberg, est changé par l’éditeur, pour des questions de droits.  Certains passages à connotation sexuelle sont censurés.

Josée Kamoun : "Il est perpétuellement dans des négociations byzantines avec ses éditeurs qui ajoutent derrière lui de la ponctuation, coupent ses phrases. Pour lui c’est un véritable déchirement. Il a une idée du temp, du souffle. Donc si on coupe ses phrases, si on lui met des incises, si on la pacifie, que restera-t-il de cette merveilleuse énergie colérique ?"

Sur la route est publié en 1957. Avec le succès du livre, Kerouac est propulsé, malgré lui, comme écrivain-star et porte-parole de la “Beat generation”, un peu malgré lui.

Josée Kamoun : "Il y a beaucoup de critiques conservateurs qui vont le démolir qui vont dire que ce n’est pas écrit mais tapé à la machine, qu’il n'y a pas d’intrigue, que c’est décadent… La transgression, ce n’est pas le sexe ou les vol de voiture, la transgression ultime c’est la déconstruction de la forme."

Pourtant, cette expérience d’édition laisse Kerouac amer. Le rouleau, conservé dans la famille de sa dernière épouse Stella Sampras, refait surface dans les années 1990.  

Du rouleau à la pellicule

Objet fétiche, il est vendu 2,4 millions de dollars aux enchères en 2001. Mais la forme du rouleau évoque aussi curieusement la forme d’une pellicule de cinéma. Kerouac avait d’ailleurs imaginé adapter Sur la route en film. Il avait espéré la participation de Marlon Brando, en vain.

Josée Kamoun : "On pourrait dire que Kerouac a inventé le road movie. Bien sûr il y a des récits de route bien avant Kerouac, Don Quichotte, des romans picaresques… Mais tout de même, Sur la route préfigure des générations entières de road movies qui, comme Sur la route, hésitent entre le picaresque, le drolatique, le truculent, l'épiphanie, l’initiatique, le mystique…" 

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