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Marche climat : « Mieux vaut dépendre du vent et du soleil que de Poutine »

À la marche climat parisienne du 12 mars 2022.

La marche pour le climat devait à l’origine dénoncer l’absence de cette thématique dans les débats pour la présidentielle. Mais la guerre en Ukraine occupait les esprits de manifestants sans illusions sur un sursaut des politiques à court terme.

Paris, reportage

« Ça fait chaud au cœur de vous revoir. » Perché sur le camion des organisateurs en tête du cortège, Jean-François Julliard, le directeur de Greenpeace France, ne cache pas sa joie face aux milliers de personnes descendues dans la rue pour cette nouvelle marche climat, samedi 12 mars. Près de 32 000 personnes auraient battu le pavé parisien selon les organisateurs pour un total de 80 000 manifestants dans les 135 marches organisées à travers la France.

Les participants à la marche pour le climat souhaitent interpeller les candidats à la présidentielle sur l’urgence d’agir. © Nnoman Cadoret / Reporterre

À l’origine, cette mobilisation espérait remettre la question climatique au cœur des débats électoraux. Beaucoup de participants brandissaient une pancarte avec un chiffre accusateur : 2,7 %. Soit la place minuscule accordée au climat dans les médias ces dernières semaines.

Pourquoi une telle omission ? Beaucoup s’interrogent et constatent avec amertume le mépris des politiques. « Les politiciens ne jugent pas rentable de parler d’écologie, car les résultats des élections ne dépendent toujours pas de leur vision de la protection du climat », explique Pégâh Mâysa Moulânâ, une activiste anglo-iranienne de passage à Paris. « Ils baignent dans un logiciel de croissance qu’ils n’arrivent pas à remettre en cause faute de courage politique », renchérit Irène Colonna d’Istria, une activiste engagée dans l’organisation de l’évènement.

Pégâh Mâysa Moulânâ, une activiste anglo-iranienne de passage à Paris. Elle en a profité pour participer à la marche climat avec sa pancarte : Fuck the Rich. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Pourtant, certains candidats à la présidentielle ont profité de cet événement pour recruter des électrices et des électeurs. Au départ de la manifestation, place de la Nation, il n’était pas difficile de les repérer : il suffisait de suivre l’essaim de caméras qui les entouraient, voire qui les étouffaient. Anne Hidalgo a longé le camion de Yannick Jadot, sans lui accorder un regard, avant d’improviser un point presse quelques mètres plus loin.

« Il vaudrait mieux dépendre du vent et du soleil que de Poutine »

Quelques minutes plus tard, le candidat des Verts a déroulé sa rhétorique électorale et répondu aux nombreuses questions sur la guerre en Ukraine. « Les écologistes anticipent cette crise depuis longtemps. Il vaudrait mieux dépendre du vent et du soleil que de Poutine », a-t-il ainsi déclaré. Yannick Jadot réitère sa proposition d’embargo sur les énergies fossiles russes. Pour compenser, il propose d’accélérer le déploiement des renouvelables « Ce serait un formidable projet de paix et cela aiderait le pouvoir d’achat des Français. » S’il arrive au pouvoir, sa première mesure sera d’installer des panneaux solaires sur tous les toits du pays. « On peut mobiliser nos entreprises pour les construire », a-t-il assuré.

Yannick Jadot, un candidat en campagne à la marche climat. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Son concurrent dans le cœur des électeurs écolos, Jean-Luc Mélenchon, était également présent. Son parti a d’ailleurs profité de l’évènement pour publier son livret consacré à la planification écologique. « Tous les partis se disent écologistes. Mais les solutions que chacun apporte sont-elles les bonnes ? Moi, j’ai un bon programme, sérieux, chiffré, avec le concept de la planification écologique qui au début faisait un peu grise mine. Mais aujourd’hui tout le monde a compris », a déclaré Jean-Luc Mélenchon.


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Le mouvement climat sera-t-il assez convaincu pour se rendre aux urnes ? Dans le cortège, les avis sont partagés. Virginie Couderq est membre du collectif Non à la ligne 18. « Autour de moi, les gens ne pensent pas que c’est en votant qu’on va sauver la planète. » Elle porte autour de son cou un panneau en tissu où elle a tracé en lettres noires « Béton piège à con ». À ses côtés, de nombreux activistes qui luttent contre l’artificialisation des terres en Île-de-France : le collectif pour le Triangle de Gonesse, les Jardins d’Aubervilliers, etc. « Je pense qu’au sein de cette campagne, on ne parle pas de climat parce que cela dérange. Notamment les entreprises du bâtiment qui n’ont pas envie qu’on dise qu’elles bétonnent les dernières terres fertiles de l’Île-de-France », poursuit Virginie Couderq.

Virginie Couderq, membre du collectif Non à la ligne 18, est venue dénoncer le bétonnage des terres agricoles en Île-de-France. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Un peu plus loin, Fatima Ouassak, politologue, défile derrière la banderole de la Maison de l’écologie populaire Verdragon dont elle est cofondatrice. « Le sentiment d’impuissance et de résignation est fort. Il est aujourd’hui difficile de mobiliser les gens quel que soit le thème. L’épidémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ne laissent pas d’espace médiatique pour réfléchir à autre chose », constate celle qui œuvre pour apporter l’écologie dans les quartiers populaires.

Fatima Ouassak, politologue, devant la banderole de la Maison de l’écologie populaire. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Il suffit de balayer la foule du regard pour trouver une multitude de pancartes contre la guerre en Ukraine : « Les éoliennes vont remplacer ton pétrole » ou « Sobriety is sexy ». « C’est dommage qu’il ait fallu une guerre pour parler de sobriété énergétique », regrette Sylvie L., membre de la Convention citoyenne pour le climat. Elle est venue battre le pavé accompagnée d’une douzaine de ses acolytes, histoire de rappeler que le travail colossal produit par les 150 citoyens sur ces questions a été totalement ignoré par le gouvernement. « Ce n’est pas facile de remettre en cause notre mode de vie. Les freins sont les mêmes au niveau de la classe politique ou dans notre entourage proche. »

Sylvie L., membre de la Convention citoyenne pour le climat, est venue dénoncer l’hypocrisie du gouvernement qui n’a pas repris les propositions faites par la convention. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Chez Greenpeace, les pancartes sur l’Ukraine ont également fleuri : « Pas d’écologie pas de paix » ou encore « Pour la paix, plus de renouvelables ». « Bien sûr qu’il faudrait plus de renouvelables, mais cela ne se règle pas en cinq minutes. Et surtout, je crois que les gens ne sont pas prêts à lâcher leur confort. Alors que pour lutter contre Poutine, il faudrait accepter d’avoir froid l’hiver prochain. Mais aucun candidat n’aura jamais le courage de dire cela », remarque Laurence Kohn, militante chez Greenpeace.

Sortir de la dépendance fossile

Le lien entre notre dépendance aux énergies fossiles et le conflit est pourtant flagrant, comme le rappellent les organisateurs de la marche pour le climat. « 40 % du budget du Kremlin provient des exportations de gaz et de pétrole. Sortir des fossiles est une nécessité pour répondre à l’urgence climatique et pour aller vers un monde plus apaisé et stable », a déclaré Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la terre lors de la conférence de presse organisée en amont de la mobilisation.

Dans le cortège, de nombreuses pancartes dénonçaient notre addiction aux énergies fossiles et leur lien avec la guerre en Ukraine. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Le long du boulevard Voltaire, un petit groupe d’activistes ouvre la vitre d’un panneau publicitaire. D’un coup de main habile, ils remplacent l’affiche de réclame par une parodie de leur cru, sous les applaudissements des manifestants. « Il faudrait consommer le moins possible, mais cela, vous ne pouvez pas l’entendre de la bouche des candidats. Les gens ont peur du changement pourtant, c’est quelque chose de joyeux », dit Christine Trax, membre de ce groupe antipub improvisé pour la manifestation. « Même si je ne suis pas optimiste, l’espoir c’est tout ce qu’il nous reste. J’aime mieux être ici et marcher même si cela ne sert à rien, que de rester chez moi. »

Christine Trax, membre d’un collectif anti-pub. Elle dénonce notre addiction à la consommation. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Parmi les manifestants, personne n’est naïf : défiler de Nation à République sous un ciel menaçant ne mettra pas fin à la crise climatique. Mais tous ressentaient un besoin impérieux de se retrouver après des mois enfermés et covidés. Tous avaient besoin de cet instant de communion qui permet de recharger ses batteries et de se convaincre que les choses peuvent encore changer. « Je sais bien que marcher ne suffira pas. Mais cela fait du bien de se dire que je ne suis pas la seule à vouloir que les choses changent. Cela permet de garder l’espoir », dit Morgane Pitette, jeune militante rencontrée place de la République, où s’est terminée la marche.

C’est ici que le cortège pour le climat a rejoint la manifestation contre la guerre en Ukraine. Perchés en haut de la statue qui trône sur la place, deux cordistes ont déroulé une tunique jaune et bleue : les couleurs ukrainiennes. Sur le tissu, le sablier d’Extinction Rebellion et un slogan : « Stop oil, stop war  ». Un symbole qui rappelle, si c’était nécessaire, que le combat contre la crise climatique va de pair avec la lutte contre l’autoritarisme.



Notre reportage en images :




Une seconde marche en Île-de-France

Les collectifs en lutte contre le bétonnage des terres de l’Île-de-France ont organisé une autre marche pour le climat dimanche 13 mars. Ils souhaitaient dénoncer les projets d’urbanisation de la métropole du Grand Paris ainsi que des Jeux Olympiques. L’occasion de célébrer la victoire judiciaire des jardins d’Aubervilliers, qui ont obtenu l’arrêt des travaux les détruisant.

Plusieurs dizaines de personnes se sont ainsi retrouvées et ont percé une brèche dans la palissade des travaux des jardins pour y déposer des plantes. Elles ont ensuite répandu du fumier sur la mairie d’Aubervilliers. Et se sont donné rendez-vous les 2 et 3 avril à Besançon au jardin des Vaîtes pour les Assises des jardins populaires.

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