C’est une avancée jugée « prometteuse » dans la détection des récidives du cancer de la prostate et leur prise en charge au centre Henri-Becquerel, à Rouen (Seine-Maritime). Le 23 décembre 2021, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a en effet autorisé le département de médecine nucléaire de l’établissement rouennais à produire un nouveau « traceur » : le PSMA marqué au Gallium-68.
Déjà proposée dans une vingtaine de centres de lutte contre le cancer à travers la France, cette méthode de dépistage est mise en œuvre pour la première fois en Normandie. Le centre Henri-Becquerel a bénéficié de l’appui financier de la Ligue contre le cancer pour la développer.
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« On peut changer le devenir des patients »
« Ce protocole apporte un vrai plus, grâce à lui on peut changer le devenir des patients », s’enthousiasme Pierre Bohn, radiopharmacologue au centre Henri-Becquerel.
Actuellement, les patients traités pour un cancer de la prostate sont suivis à travers des bilans biologiques qui permettent, notamment, de surveiller le taux de PSA (antigène spécifique à la prostate) dans le sang. Une élévation de ce taux peut révéler une récidive de la maladie.
Pour s’en assurer, les équipes médicales effectuent des examens d’imagerie (scanner, IRM, fluorocholine) qui atteignent leurs limites lorsque le taux de PSA demeure faible. « Pour un taux de PSA autour de 1, les techniques classiques ne détectent une récidive que dans 20 % des cas », souligne le docteur Agathe Edet-Sanson, médecin nucléaire responsable des unités TEP (tomographie par émission de positrons) et RIV (radiothérapie interne vectorisée).
25 à 50 % de récidive pour le cancer de la prostate
Le cancer de la prostate est le le plus fréquent chez l’homme. 50 000 nouveaux cas sont diagnostiqués en France chaque année. Entre 25 et 50 % des patients vont développer une récidive biochimique et/ou clinique dans les dix ans suivant la chirurgie, selon les chiffres fournis par le centre Henri-Becquerel.
Une capacité de détection élevée pour une prise en charge précoce
« Le grand intérêt du PSMA gallié réside dans son taux de positivité élevé même si le taux de PSA est faible », souligne Agathe Edet-Sanson. Un taux de positivité qui culmine à 80 %, même pour un taux de PSA compris entre 0,5 et 1, selon le médecin. En effet, « la surexpression de la protéine PSMA est très spécifique aux cellules cancéreuses de la prostate ».
Cette méthode est rentable pour la détection des petites masses tumorales et permet une prise en charge précoce des récidives.
Un examen d’imagerie au PET-Scan, qui repère la radioactivité liée au Gallium-68, apporte également une localisation précise des récidives cancéreuses. Et contribue ainsi à mieux orienter le traitement à mettre en place, comme l’illustre le docteur Edet-Sanson : « Si on repère des métastases généralisés, on choisira plutôt une chimiothérapie. Si c’est plus local, on optera pour une chirurgie ou une radiothérapie ciblée afin d’épargner les tissus sains à proximité et d’éviter, par exemple, des effets secondaires digestifs. »
Un dérivé d’un composant importé de Russie
Chaque utilisation de ce nouveau traceur doit recevoir l’aval de l’ANSM, patient par patient. « La fluorocholine reste l’examen de référence en France, rappelle Agathe Edet-Sanson. L’ANSM ne nous autorise à recourir au PSMA que dans un second temps, si le premier diagnostic s’avère négatif ou douteux ». Et la médecin de regretter « le surcoût et l’embolisation de nos machines » que génère ce recours contraint à plusieurs examens plutôt qu’un seul.
Noté 68Ga PSMA, ce nouveau traceur est synthétisé dans le service de médecine nucléaire. Pour ce faire, le centre Henri-Becquerel fait venir du Gallium-68 généré par une société allemande à partir du Germanium-68, un autre composant radioactif importé de Russie. Ce qui pose la question d’un éventuel blocage des approvisionnements, dans le cadre des sanctions consécutives à la guerre en Ukraine. Interrogé sur le sujet mardi 15 mars 2022, Pierre Bohn n’avait pas d’information précise sur le sujet.
Une production largement automatisée
C’est lui le responsable de la production du traceur. Celle-ci est largement automatisée, à l’abri d’une enceinte à flux d’air laminaire qui assure la stérilité du produit et préserve les personnels des irradiations. La synthèse est suivie d’une batterie de tests visant à contrôler l’efficacité de l’insertion du Gallium-68 dans la protéine PSMA, l’intégrité et la pureté du traceur.
La production du traceur (synthèse puis contrôle qualité) ne doit pas prendre plus de deux heures. Sinon « le produit disparait », prévient Pierre Bohn, car le Gallium-68 se désintègre de moitié toutes les heures. Sitôt passés les testes, le traceur est donc injecté aux patients (deux par dose produite). Celui-ci est produit sur commande, afin de prévenir tout gaspillage.
Des perspectives de traitement
D’après le radiopharmacologue, « les injections ont réellement commencé la troisième semaine de janvier ». À date, huit patients en ont bénéficié. L’objectif de l’équipe médicale est de monter à un rythme de « deux patients par semaine à partir d’avril ». Soit « une centaine par an ».
La technique du PSMA ouvre des perspectives qui vont au-delà du seul diagnostic. « On pourrait l’utiliser avec un autre composant radioactif pour détruire les cellules cancéreuses », indique Agathe Edet-Sanson. Le service de médecine nucléaire du centre Henri-Becquerel planche en tout cas sur le sujet. Un travail qui pourrait aboutir « dans les prochains mois ».
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