A la morgue de Mykolaïv en Ukraine, "cadavres empilés" et "sacs mortuaires" sous la neige

Dans des locaux vétustes et délabrés, les corps sont posés à même le sol, faute de place. L'odeur insidieuse de la mort, mêlée à celle d'un désinfectant douceâtre, est partout. Reportage.

AFP Publié le 16/03/2022 à 07:16, mis à jour le 16/03/2022 à 07:40
La ville de Mykolaïv est stratégique car elle constitue le dernier verrou avant la grande cité portuaire d'Odessa. Photo AFP

Le cadavre gît les mains jointes, comme en prière. En réalité, raconte l'employé de la morgue, il jetait des cocktails molotov quand les Russes l'ont attrapé. Ils lui ont attaché les mains et l'ont exécuté.

Images glaçantes de la morgue de Mykolaïv, ville sur les bords de la mer Noire, sous le feu russe depuis des jours. A l'extérieur, dans la cour de l'institut médico-légal où se trouve la morgue, la neige tombe sans discontinuer sur des cadavres enveloppés dans des sacs mortuaires en plastique gris, en attente d'être évacués.

Dans les locaux vétustes et délabrés, d'autres corps sont posés à même le sol, faute de place. L'odeur insidieuse de la mort, mêlée à celle d'un désinfectant douceâtre, est partout.

Ici, il y a les victimes de la guerre, civils et soldats, mais aussi les morts de cause naturelle.

Des médecins pratiquent des autopsies dans des conditions d'hygiène douteuses. Il faut enjamber des corps nus pour accéder à la chambre froide, où s'empilent les cadavres de victimes d'un bombardement survenu quelques jours auparavant à Otchakiv, dans la région de Mykolaïv.

Vladimir, l'un des employés de la morgue, allume cigarette sur cigarette. "Je n'ai jamais vu une telle chose. Nous pensions que la pire chose qui pouvait nous arriver ici étaient les accidents de voiture", dit-il en secouant la tête. Lui et ses collègues travaillent sans relâche. 

"Si jeunes"

Retraversant la cour, il ouvre une porte sur un spectacle cauchemardesque. Une trentaine de cadavres sont posés à même le sol. Deux soldats en treillis, l'un éventré, sont même empilés l'un sur l'autre.

"Ils sont si jeunes, plus jeunes que mon neveu", grince Vladimir. Au fond de la pièce, il y a aussi un soldat russe, affirme-t-il. "Nous les gardons à l'écart". L'on devine aussi les corps de civils, toujours dans la même pièce. Un employé ôte délicatement la chaîne au cou d'un cadavre, qui servira pour l'identification.

Mykolaïv et sa région sont le théâtre de violents combats et bombardements russes, mais les Ukrainiens résistent et ont même repris l'aéroport au nord, il y a quelques jours. La ville est stratégique car elle constitue le dernier verrou avant la grande cité portuaire d'Odessa.

"Depuis le début de la guerre, nous avons reçu 120 corps, dont 80 soldats et 30 civils", explique d'un air exténué la directrice de l'institut médico-légal, Olga Dierugina, un gilet en laine enfilé sur sa blouse blanche et un bonnet à pompon sur la tête. Parmi les victimes civiles, le plus jeune était un enfant de trois ans et le plus vieux un septuagénaire, poursuit-elle.

Certains corps sont difficilement identifiables, notamment parmi les 19 corps arrivés d'Otchakiv il y a deux jours. Des échantillons ADN sont prélevés, les experts notent les tatouages, les bijoux. 

Les corps des militaires, eux, sont renvoyés dans leur région d'origine. "Ils sont tous très jeunes, nés en 1990, en 2000..." souffle Olga Dierugina. "Ce que je ressens aujourd'hui?" Silence. Puis son visage s'affaisse brusquement. "De la peur. Nous avons tous des enfants."

Cette femme médecin s'efforce de ne pas craquer, essuie ses larmes. "Ici à Mykolaïv, ça va encore, mais mes parents sont à Tchernihiv (dans le nord), ils n'arrivent pas à être évacués".

A l'institut médico-légal, quinze de ses collègues ont fui vers l'ouest, une soixantaine continuent à travailler, dont une vingtaine à la morgue.

"Je ne les remercierai jamais assez", reprend Olga Dierugina. Selon elle, la situation est encore sous contrôle à Mykolaïv, mais "nous allons droit vers un désastre humanitaire si ça continue".

A l'extérieur de la morgue, quelques familles attendent en silence sous la neige.

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Nice-Matin

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