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"En Ukraine, chaque semaine, deux bébés naissent par GPA de parents français"
Chaque mois, une petite dizaine de nourrissons issus de parents français naît sur le territoire ukrainien.
AFP

"En Ukraine, chaque semaine, deux bébés naissent par GPA de parents français"

Entretien

Propos recueillis par

Publié le

La guerre en Ukraine met au jour le volume de contrats de gestation pour autrui signés par des Français. Anne Genetet, députée LREM des Français établis hors de France et médecin fait le point pour Marianne.

Marianne : Quelle est la situation des parents français, qui ont fait une gestation pour autrui en Ukraine ?

Anne Genetet : Pendant les premières semaines du conflit, des parents partis chercher leur bébé né par gestation pour autrui sont restés bloqués sous les bombes russes. Certains étaient en double situation d'illégalité : ils avaient signé un contrat avec une agence, alors que la gestation pour autrui est illégale en France. Par ailleurs, ils avaient outrepassé la réglementation ukrainienne, qui interdit la gestation pour autrui aux couples homosexuels. Selon le quai d'Orsay, aujourd'hui, ces Français sont tous rapatriés sur notre territoire.

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Mais nous sommes confrontés à une seconde problématique : les naissances à venir d'enfants actuellement portés par des Ukrainiennes. Les chiffres de la gestation pour autrui de Français sont très élevés : chaque mois, une petite dizaine de nourrissons issus de parents français naît sur le territoire ukrainien. C'est en moyenne, l'équivalent de deux bébés par semaine. Cette fourchette est basse, car je ne compte pas les grossesses gémellaires dans ces statistiques.

L'agence ukrainienne Biotexcom a publié une vidéo sur Youtube où elle évoque un « ramassage » de bébés dans les bunkers de plusieurs villes pour les amener vers les pays frontaliers. Savez-vous si des nourrissons sont actuellement bloqués à la frontière ?

Actuellement, je n'ai pas de chiffres exacts. Mais le quai d'Orsay a déjà été contacté à plusieurs reprises par les parents français, qui demandent à aller chercher leurs nouveau-nés sur le territoire ukrainien. Tout sera fait pour faciliter la sortie de ces nourrissons. Ces enfants ne sont pas responsables de la situation d'illégalité dans laquelle leurs parents les ont positionnés. De même, ils n'ont pas de papiers, car les états civils ukrainiens sont actuellement fermés. Des mesures exceptionnelles administratives seront mises en place pour protéger ses nourrissons. Ce qu'ils vivent est une tragédie.

Vous êtes en première ligne pour observer le processus de la gestation pour autrui en Ukraine. Quel est votre retour d'expérience ?

Cette crise met en lumière la misère des mères porteuses, victimes de la marchandisation des corps. Dans un même temps, elle met à jour le désir incommensurable d’avoir un enfant chez des Françaises qui souffrent de stérilité. En tant que médecin, j'établis un parallèle entre ce désir d’enfant et un rouleau compresseur, qui altérerait le raisonnement de celles qui font appel à la gestation pour autrui. Par ailleurs, j'observe que la marchandisation des corps des Ukrainiennes est totalement édulcorée par les agences spécialisées dans la gestation pour autrui. Ces dernières font passer leur démarche pour vertueuse, alors qu'elles ne sont là que pour faire de l'argent.

Est-ce à l’État de répondre à cet incommensurable désir d’enfants, que vous évoquez ?
Hier, la douleur de ne pas avoir d’enfants était acceptée par les couples infertiles. Mais aujourd'hui, elle est considérée comme impossible à supporter. Ce basculement pose plusieurs questions. Quelle est l'origine de cette intolérance à la frustration ? Toute souffrance doit-elle déboucher sur une réponse étatique ? Est-ce la responsabilité de l’État de faire en sorte à ce que chaque citoyen vive sur une Olympe, dans lequel il n’a ni froid, ni chaud, ni mal ? Je ne le crois pas. Je pense même que c'est un écueil.

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Depuis le début de mon mandat parlementaire, je perçois une attente toujours plus forte des Français établis hors de France vis-à-vis de l’État. Ces derniers ont tendance à rejeter leur responsabilité individuelle pour la déléguer à la France, lorsqu'ils ne sont pas sur notre territoire. Cela m'interpelle sur une confusion des frontières entre les responsabilités individuelles et celles de l'État.

Quelle est votre position personnelle ? Dans les derniers débats bioéthiques, vous vous étiez positionnée pour la PMA pour toutes.

Je suis sensible au désir d'enfants et à la souffrance des couples infertiles, mais je suis radicalement opposée à toute marchandisation des corps. En France, le don du sang et des organes sont gratuits. Ce principe-là est pour moi fondamental.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne