Les boîtes – souvent jaunes – avaient failli manquer dans les armoires à pharmacie des Français. Il y a deux ans, alors que le pays entrait dans le premier et le plus strict des confinements, la crainte de manquer de paracétamol avait provoqué une ruée dans les officines, au point d’imposer un rationnement.

L’exécutif, dès le printemps 2020, avait annoncé le projet d’assurer la production d’une des molécules pharmaceutiques préférées des Français sur le sol national.

180 projets identifiés par des appels à manifestation d’intérêt

L’engagement sera tenu. Le laboratoire Seqens est en train de construire une unité de production de principes actifs du paracétamol à Roussillon (Isère). Avec 10 000 tonnes produites chaque année, elle assurera, à partir de 2023, un tiers des besoins européens, en fournissant notamment notamment le site historique d’Upsa (le fabricant du Dafalgan et de l’Efferalgan), à Agen, les sites de Sanofi (le fabricant du Doliprane) à Lisieux et à Compiègne. Seqens investit 100 millions d’euros dans l’unité de Roussillon, dont près du tiers est financé par le plan France Relance.

Par une succession d’appels à manifestation d’intérêt (AMI) lancés dès le printemps 2020, l’État va aider 180 projets de productions nationales dans les produits de santé, dont une quarantaine concernent les principes actifs, dans toutes les familles de médicaments : outre le paracétamol sont ainsi concernés le curare, utilisé en réanimation, des analgésiques comme le fentanyl, les corticoïdes…

Certains AMI ciblent directement les produits de lutte contre le Covid-19 : Delpharm, qui met en flacon le vaccin BioNTech, reçoit des subsides, ainsi que des fabricants de poches de fermentation des vaccins ARN ou des autotests. Le total des subventions se monte à 800 millions d’euros, soit une petite moitié du 1,7 milliard d’investissement productif consenti par les labos.

Encore une large dépendance à l’égard de l’Asie

L’Hexagone est-il pour autant revenu sur la voie de la souveraineté pharmaceutique ? « Des sommes importantes ont été injectées, estime Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, la fédération des entreprises du médicament. Nous sommes à la croisée des chemins. » Il faut dire qu’entre 2008, année où Rhodia a renoncé à produire les principes actifs du paracétamol en France, et 2020, le pays a connu un net déclassement, rétrogradant derrière le Royaume-Uni ou la Suisse au classement des pays producteurs de médicaments en Europe.

→ ANALYSE. Sanofi est en très bonne santé

« Au cours de cette période, le secteur, en panne de croissance, a fait absorber les chocs d’innovation par les produits matures », rappelle Philippe Lamoureux. Les brevets de ces produits, tombés dans le domaine public, ont accéléré le départ de la production des principes actifs vers la Chine et l’Inde, qui assurent 80 % de l’offre mondiale.

Alors que la crise sanitaire avait mis en lumière la très grande dépendance de l’Europe, le contexte international alimente l’inquiétude. « L’année dernière, l’Agence nationale de sécurité du médicament a recensé 2 446 tensions ou ruptures d’approvisionnement sur les médicaments essentiels, dont 37 % concernent l’approvisionnement en principes actifs, dénombre Pauline Londeix, de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. Le nombre s’élevait à 405 en 2016. Avec sa communication sur le paracétamol, je redoute que le gouvernement n’ait pas pris la mesure de l’enjeu. Qu’arriverait-il si, au nom du soutien à la Russie, l’Inde et la Chine arrêtaient d’exporter ? Nous n’aurions pas de plan B. »

Réformes structurelles

Moins alarmiste, Philippe Lamoureux suggère de « relocaliser sans “démondialiser” », s’accordant avec Bercy, qui concède qu’« on ne pourra pas rapatrier toutes les molécules en France ». Pour inciter à investir ici, un accord-cadre, signé en mars 2021 par le Leem et le Comité économique des produits de santé (CEPS, une instance incluant plusieurs administrations dont la Caisse nationale d’assurance-maladie), prévoit d’inclure l’empreinte industrielle (recherche et développement, capacités de production…) dans la négociation du prix du médicament : à l’industriel qui investit dans l’Hexagone, le CEPS garantit la stabilité de ce prix pour une durée allant jusqu’à cinq ans.

Autre mesure, le raccourcissement des délais entre l’autorisation de mise sur le marché et la commercialisation, qui ont longtemps été jusqu’à trois fois plus longues en France qu’en Allemagne. Un décret en ce sens est en préparation et devrait être publié dans le courant de l’année.

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80 % des principes actifs fabriqués hors d’Europe

L’Hexagone compte 271 sites pharmaceutiques industriels, employant près de 100 000 personnes. En 2020, l’industrie pharmaceutique française avait réalisé 62 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 50 % à l’exportation. L’excédent commercial pour les médicaments était de 8,4 milliards d’euros.

Selon l’Agence européenne des médicaments, 80 % des principes actifs sont produits hors d’Europe, contre 20 % il y a trente ans.

Hors UE, les plus gros fabricants de substances pharmaceutiques actives pour des médicaments commercialisés en Europe sont l’Inde (plus de 4 400 sites), la Chine (2 800), les États-Unis (600), la Suisse (400), le Japon (280) et Israël (155).