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Qui sont les consultants et pourquoi l’Etat fait appel à eux, en 7 questions

Largement méconnu, le métier de consultant a pris une place cruciale dans la conduite des affaires de l’Etat depuis le quinquennat Sarkozy.

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Publié le 17 mars 2022 à 11h45, modifié le 31 mars 2022 à 16h39

Temps de Lecture 9 min.

On les savait omniprésents dans le privé : on découvre aujourd’hui que le recours aux consultants extérieurs fait aussi partie de la routine des ministères.

Cette petite révolution remonte en grande partie à la révision générale des politiques publiques (RGPP), cette grande entreprise d’économies budgétaires lancée en 2007 par Nicolas Sarkozy, orchestrée par le ministre du budget Eric Woerth, lui-même ancien consultant, main dans la main avec des cabinets de conseil.

Pourtant, l’influence acquise par ces cabinets est longtemps passée inaperçue auprès du grand public. Jusqu’à ce qu’éclate, en pleine pandémie, la polémique sur la place de McKinsey dans la campagne de vaccination. Depuis, le phénomène a été documenté par de multiples articles de presse, par le livre Les Infiltrés, des journalistes Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre (Allary, 2022), et, surtout, par le récent rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’emprise des cabinets de conseil sur la sphère publique. Mais le métier de consultant reste largement méconnu.

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1 – Qu’est-ce qu’une mission de conseil ?

Il s’agit de missions ponctuelles réalisées par des cabinets spécialisés chez un client (une entreprise ou une administration publique), qui estime ne pas avoir les compétences en interne pour répondre à une problématique, ou avoir déjà tenté des approches qui n’ont pas fonctionné. « Le plus souvent, le client recourt à un cabinet de conseil pour répondre à une question », résume Daniela Restrepo, consultante chez EY. Ces questions peuvent être de différents types :

  • Informatique : ces missions de conception et développement représentent de loin les marchés publics les plus coûteux. Il s’agit de pallier les carences en matière de logiciels, d’infrastructures (serveurs, cloud, etc.) et de personnel qualifié. La Caisse des dépôts, le bras armé de l’Etat, a ainsi conclu en 2018 un mégacontrat de conseil d’un milliard d’euros avec plusieurs prestataires pour appuyer son département informatique.
  • Management : il s’agit de revoir l’organisation interne du client pour espérer des meilleures performances, ou pour former les agents à des pratiques plus modernes. En 2015, la CAF de Bobigny a, par exemple, commandé une mission d’accompagnement à Capgemini d’un coût de 55 000 euros, afin de gérer plus efficacement les dossiers traités par les agents.
  • Stratégie : si les frontières sont parfois floues entre conseil en management et conseil en stratégie, l’idée est plutôt ici de répondre à des questions de long terme. Dans le privé, cela peut concerner le développement de l’entreprise à l’international ou la diversification des activités. Dans le public, il peut s’agir de réfléchir à l’évolution des missions ou du fonctionnement d’une institution. Ce sont les missions potentiellement le plus problématiques, car les consultants privés pourraient influer sur une décision publique.

Quel que soit l’objet de la mission, le cabinet missionné n’est pas censé prendre une décision à la place de son client, mais lui fournir une aide à la décision ou des préconisations. Pour cela, « il adopte une approche à 360 degrés intégrant les enjeux politiques, environnementaux, etc., en n’oubliant rien », explique Daniela Restrepo. Le cabinet peut, par exemple, évaluer plusieurs scénarios alternatifs, en exposant les pour et les contre au client.

2 – Qu’est-ce qu’un cabinet de conseil ?

Datant pour certains de la fin du XIXsiècle, les cabinets de conseil sont nés pour la plupart au Royaume-Uni et aux Etats Unis. Les mieux implantés, surnommés les « Big Three », sont américains : il s’agit de McKinsey & Company, du Boston Consulting Group et de Bain & Company. Les « Big Four » de la comptabilité et de l’audit (Deloitte, PwC, EY et KPMG) ont eux aussi très largement développé leur activité de conseil. La plupart des grands cabinets intervenant pour l’Etat français (A. T. Kearney, Accenture, Bearingpoint, Oliver Wyman, Roland Berger) sont anglo-saxons, même si l’Hexagone compte quelques cabinets influents, comme Capgemini Invent ou Eurogroup Consulting.

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Au côté de ces mastodontes, dont le chiffre d’affaires se compte parfois en milliards de dollars, une multitude de petits cabinets se spécialisent dans certaines missions, dont l’évaluation des politiques publiques, à l’image de Citizing (évaluations socio-économiques), Missions publiques (concertations publiques) ou Pluricité (accompagnements de projets).

Il est courant que les organisations qui manquent de moyens confient l’analyse stratégique à de grands noms du conseil, mais préfèrent laisser la mise en œuvre à des cabinets plus modestes ou à leurs équipes internes pour limiter les coûts. Dans les appels d’offres publics, les cabinets les plus prestigieux s’associent souvent à des cabinets plus spécialisés et bien moins coûteux en tant que « cotraitants », pour pouvoir proposer un prix compétitif.

3 – Comment le cabinet est-il choisi ?

Dans le privé comme dans le public, c’est généralement au plus haut niveau que se prend la décision de mandater un cabinet de conseil, car les missions auprès de cabinets prestigieux sont très coûteuses.

Dans les ministères, les hauts fonctionnaires doivent le plus souvent passer par un appel d’offres pour assurer une mise en concurrence des cabinets candidats et éviter le favoritisme. Le ministère formule alors ses besoins, propose un prix indicatif et invite publiquement les cabinets à déposer des candidatures. Après avoir examiné les dossiers, il attribue le marché au cabinet ayant fait la meilleure proposition sur le plan des tarifs et de la qualité.

Il est toutefois possible de s’exempter du système des appels d’offres dans le cas des marchés les moins onéreux (moins de 40 000 euros) ou si l’urgence le justifie.

4 – Comment une mission de conseil se déroule-t-elle ?

Une fois un contrat décroché, la direction du cabinet constitue à sa guise l’équipe qui va réaliser la mission au sein de ses employés. Le plus souvent, un « manageur » haut placé dans la hiérarchie est accompagné de plusieurs consultants dont le parcours et les compétences correspondent à la mission et au client. « Pour une mission dans le public, les consultants qui ont fait l’ENA [Ecole nationale d’administration] ou le Corps des mines seront contactés en priorité », explique Daniela Restrepo.

Le « manageur » décompose alors la mission en tâches réparties entre les membres de l’équipe, qui permettront de répondre à la question initiale : synthèse de documents publics, analyse de documents internes du client, entretiens avec les employés, etc.

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La mission peut s’étaler, selon les cas, de quelques semaines à plusieurs mois. Par commodité, les consultants peuvent s’installer physiquement dans les locaux du client, afin de faciliter les interactions avec les employés.

Les consultants peuvent rendre compte régulièrement de leurs avancées ou présenter leurs résultats en fin de mission. Dans le conseil en stratégie, ces résultats, appelés « livrables », prennent souvent la forme d’un jeu de diapositives ou d’un rapport qui compile toutes les analyses menées, les scénarios envisagés et les préconisations du cabinet.

5 – Quelle est la plus-value des consultants ?

Les consultants sont prisés pour leurs capacités à réunir, synthétiser et analyser un grand nombre d’informations de façon très efficace. A la faveur des moyens alloués par leur cabinet, ils peuvent avoir un accès privilégié à des ressources spécialisées, ou faire appel à des experts extérieurs pour certaines analyses.

On justifie aussi le recours aux consultants par leur positionnement extérieur, qui leur permettrait de formuler des avis plus neutres que les personnes directement impliquées. Daniela Restrepo ajoute que « ce qui se vend, c’est surtout l’expérience des consultants qui ont vu des centaines d’entreprises dans des cas similaires ».

Dans certains cas, le recours au conseil est plus politique. « Avoir un rapport de McKinsey ou du BCG qui accrédite sa position fait toujours bon effet en conseil des ministres, relève Benjamin Polle, journaliste pour le site spécialisé Consultor. Et cela permet aussi de se dédouaner en cas d’échec de la politique conseillée. »

6 – Combien ces missions de conseil coûtent-elles ?

Il est difficile de chiffrer le coût total d’une mission. Selon sa durée et le niveau d’expertise requis, il peut aller de quelques milliers d’euros – comme cette mission de Deloitte pour l’agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes – à plusieurs millions d’euros – comme cette mission de 10 millions d’euros d’EY pour accompagner la direction informatique de Pôle emploi.

D’après les éléments transmis par le gouvernement à la récente commission d’enquête sénatoriale, la journée d’un consultant dans le public est facturée en moyenne autour de 1 500 euros TTC, même si le tarif peut bondir chez les cabinets les plus prestigieux (3 352 euros TTC par jour et par consultant pour une mission de Roland Berger, par exemple). A titre de comparaison, la commission estime qu’un fonctionnaire de catégorie A+ coûte en moyenne 362 euros TTC par jour à l’Etat.

7 – Qui sont les consultants ?

Au sein des grands cabinets de conseil, le pouvoir se concentre dans les mains des partners ou « associés », qui dirigent et possèdent collectivement l’entreprise. Les cabinets s’organisent ensuite par strates hiérarchiques, selon l’expérience.

Dans les cabinets les plus prestigieux, on ne recrute que dans les meilleures grandes écoles (HEC, Sciences Po, Polytechnique, etc.), avec un processus très sélectif : « Il y a jusqu’à huit entretiens différents, où on teste non seulement leurs capacités quantitatives, mais aussi relationnelles », relate Benjamin Polle :

« Vont-ils savoir adopter le bon ton, la bonne manière de parler, de se présenter ? Il faut avoir les codes. »

Daniela Restrepo note toutefois que les cabinets « s’ouvrent de plus en plus aux profils atypiques », comme le sien – elle a suivi une formation de philosophie à l’Ecole normale supérieure avant d’intégrer EY. On recherche avant tout des personnes capables de synthétiser rapidement des situations très complexes dans des domaines nouveaux.

Ces jeunes diplômés à la tête bien faite mais avec une formation généraliste sont attirés par la diversité des missions proposées qui leur ouvrira les portes des industries de leur choix : « C’est la classe prépa de la vie professionnelle », résume Benjamin Polle. Les cabinets offrent aussi une rémunération très avantageuse, autour de 60 000 euros brut annuels en sortie d’école, en augmentation ces dernières années.

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Quelques-uns de ces « juniors » passeront au niveau supérieur, dans un écosystème très stratifié, avec une rémunération et un niveau de responsabilité croissant rapidement. D’autres sont recrutés par les clients qu’ils servaient en tant que consultants. Ce processus d’écrémages successifs s’accompagne d’une spécialisation progressive vers un domaine – énergie, santé, grande distribution, etc. – ou un champ d’expertise technique – restructuration des entreprises, finances, achat-vente d’entreprises, etc.

Les cabinets recrutent parfois aussi en externe, en débauchant des profils très expérimentés. Dans le privé, il n’est pas rare que les cabinets profitent d’une crise dans une entreprise pour reprendre les dirigeants en partance. Dans la sphère publique, nombre de hauts responsables se sont recyclés dans le conseil privé, à l’image du général Pierre de Villiers, recruté par BCG après sa démission de l’armée, ou d’Axelle Lemaire, l’ancienne secrétaire d’Etat chargée du numérique, qui avait rejoint Roland Berger en 2018.

A l’inverse, beaucoup d’anciens consultants irriguent la sphère politique, notamment dans la majorité macroniste, comme l’a documenté le site Consultor. C’est notamment le cas des députés La République en marche (LRM) Pierre Person et Pacôme Rupin. Plusieurs consultants de haut niveau, comme Karim Tadjeddine (McKinsey), s’étaient par ailleurs investis dans la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017.

Correction, le 25 mars à 9h20 : le cabinet Eurogroup n’est pas anglo-saxon, mais français, contrairement à ce qu’indiquait la première version de l’article.

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Ils sont invisibles, mais omniprésents… Quelle est l’influence réelle des consultants privés dans la conduite des affaires de l’Etat ? C’est la question qu’ont fait surgir les révélations sur le rôle de McKinsey dans la campagne de vaccination, en 2021. Parallèlement, Le Monde a mené sa propre enquête, fondée sur des témoignages, des sources ouvertes et des demandes d’accès à des documents, pour tenter de mesurer l’impact de ces cabinets sur le quinquennat d’Emmanuel Macron.

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Retrouvez tous nos articles sur les cabinets de conseil dans notre rubrique dédiée.

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