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ReportageMonde

Au Mali, les agriculteurs tentent de résister au changement climatique

Awa, maraîchère du village malien de Ndjinina, peine à nourrir sa famille en raison du changement climatique.

Sécheresse, inondations, avancée du désert... Le Mali subit de plein fouet les effets du changement climatique. Dans le sud du pays, les agriculteurs d’un village peinent à nourrir tous les habitants. Et la situation risque d’empirer.

Région de Koulikoro (Mali), reportage

Drapée dans son étoffe bigarrée, Awa longe doucement les rangées de laitues, oignons et autres légumes. Malgré ses 70 printemps passés, la maraîchère continue d’œuvrer dans ce potager qu’elle partage avec d’autres cultivatrices. En ce début d’année, le constat est sans appel : « Les récoltes ne sont pas bonnes, souffle-t-elle. Malgré nos prières, la pluie n’a pas été suffisante l’an dernier. Aujourd’hui, nos réserves d’eau sont trop minces et la terre n’est pas favorable à la culture. » Adossée au puits quelques mètres plus loin, Nayouma acquiesce : « Je puise depuis tôt ce matin, mais le niveau est très bas. Je suis fatiguée. »

Nous sommes à Ndjinina, village malien d’une centaine d’âmes situé à près de 130 kilomètres de Bamako, la capitale. Dans cette localité rurale, tout le monde ou presque dépend de l’agriculture et de l’élevage pour se nourrir et espérer générer un petit revenu. Une vulnérabilité face à la météo, exacerbée ces dernières années par les irrégularités saisonnières observées dans cette zone semi-aride, par essence en proie à la sécheresse, mais également dans le reste du pays.

Les habitants du village se servent de puits traditionnels pour arroser les cultures. © Paloma Laudet/Collectif Hors Format/Reporterre

« Quand j’ai commencé il y a dix ans, tout était plus simple, témoigne Awa. Aujourd’hui les cultures sont plus souvent gâchées à cause du manque d’eau ou des inondations. C’est désormais très difficile d’en vivre. Le peu que nous récoltons sert à nourrir nos familles, et encore, c’est insuffisant. Je ne gagne plus d’argent par cette activité. »

Awa, maraîchère : « C’est difficile de nourrir toute la famille avec le peu que l’on récolte. » © Paloma Laudet/Collectif Hors Format/Reporterre

Des aléas « plus fréquents et plus extrêmes »

Au Mali, les signes du changement climatique sont visibles et multiples : « Nous assistons à un bouleversement pluviométrique [1] avec des inondations suivies de vagues de sécheresse anormales, à l’avancée du désert, des épisodes de chaleur ou de vents violents, dit Sekou Nfaly Sissoko, responsable du service changement climatique au sein de l’Agence nationale de météorologie (Mali-Météo), organisme public. Ce dérèglement prend de l’ampleur et impacte les ressources en eau, la qualité du sol et les rendements issus de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Cela entraîne des épisodes de famine. »

« Plus fréquents et plus extrêmes », selon le responsable, ces aléas climatiques laissent entrevoir un risque d’insécurité alimentaire systémique dans ce pays pauvre et enclavé du Sahel, d’ores et déjà touché par une crise politique et sécuritaire multiforme.

Depuis 2012, le pays fait face à un conflit armé désormais étendu sur près de deux tiers du territoire ; et a connu deux putschs successifs, en 2020 et 2021. Le Mali dépend en grande majorité de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche pour nourrir sa population et assurer sa santé économique. Ici, l’agriculture à elle seule représente 45 % du produit national brut (PNB) et occupe environ 80 % de la population active, selon le ministère malien de l’Environnement.

Awa partage le potager avec d’autres maraîchères du village. © Paloma Laudet/Collectif Hors Format/Reporterre

Une coalition d’organisations humanitaires avait d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme en décembre dernier. En 2021, la famine aurait été multipliée par trois dans le pays. En cause : l’insécurité due au conflit armé, contraignant des Maliens à fuir leur domicile, abandonner leurs champs et empêchant des familles de se déplacer librement, d’accéder à l’aide humanitaire ou aux marchés environnants. Autres facteurs : la crise du Covid-19 et la sécheresse, « entraînant la perte de plus de 225 000 hectares de champs et affectant plus de 3 millions de personnes », selon les ONG humanitaires

C’est la période sèche en ce début d’année. © Paloma Laudet/Collectif Hors Format/Reporterre

La radio, une aide aux agriculteurs

Alors que sa population doit doubler en vingt ans, selon le dernier rapport de Mali-Météo, daté de 2019, le Mali se retrouve face à un défi de taille : intensifier et pérenniser ses modes de production, tout en développant des systèmes plus durables et adaptés aux nouvelles normes climatiques.

« Cette démographie galopante crée une forte pression autour des ressources, de même que les effets du changement climatique. Il faut pouvoir produire plus, tout en préservant l’environnement. Sinon, c’est le serpent qui se mord la queue », dit Sekou Nfaly Sissoko. L’enjeu est majeur et nécessite d’y allouer les moyens nécessaires : « La situation risque de s’intensifier. D’autant que les prévisions du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont plus inquiétantes ici au Mali, et plus globalement au Sahel, que dans le reste du monde. »

Bourama, éleveur et agriculteur depuis dix-sept ans : « Ce métier a toujours été dur ici, mais la situation s’est empirée et le gouvernement ne nous aide pas. » © Paloma Laudet/Collectif Hors Format/Reporterre

Limiter les pertes passe par une meilleure anticipation des risques. Les agriculteurs peuvent compter sur les prévisions météorologiques, diffusées jusqu’à deux mois à l’avance par Mali-Météo, l’Agence nationale de la météorologie. « C’est incontournable au vu du contexte, dit le responsable. Les paysans peuvent planifier au mieux leur saison et sélectionner les bonnes semences. » Pour ce faire, l’agence dispose d’une flopée d’agents sur le terrain. Disséminés un peu partout à travers le pays, ils font office de relais entre l’institution et les agriculteurs. Une organisation nécessaire pour faire circuler l’information dans les zones rurales.

Modibo Coulibaly, journaliste chez Radio Mambe. © Paloma Laudet/Collectif Hors Format/Reporterre

« Très peu d’entre nous ont un smartphone ou un accès à internet, témoigne Bourama, éleveur et agriculteur à Ndjinina. On consulte les bulletins météo chez ceux qui ont une radio ou une télévision. Tout le monde s’informe comme ça. »

« Avec mes émissions, je conseille les paysans en temps réel »

Au micro de la radio locale Mambe, à quelques kilomètres de là, dans la ville de Fana, se trouve Modibo Coulibaly, journaliste et agent de Mali-Météo. « Avec mes émissions, je conseille les paysans en temps réel, explique-t-il. Je suis en contact avec plusieurs agriculteurs qui possèdent une radio, dans chacune des vingt-trois communes du secteur. Ils informent ensuite leur village et le mot se passe comme ça. »

La radio locale Radio Mambe transmet les prévisions météorologiques à destination des paysans de Fana (la même région que Ndjinina), et sensibilise les habitants aux enjeux du changement climatique. © Paloma Laudet/Collectif Hors Format/Reporterre

En marge de ces activités, le journaliste est lui-même agriculteur. Il cultive du sorgho, céréale largement répandue dans le pays. Cette année, Modibo Coulibaly a semé une variété rapide, nécessitant seulement 70 jours pour arriver à son terme, contre 3 à 5 mois habituellement. « C’est s’assurer d’avoir un petit quelque chose au final. Il y a moins de risque d’être impacté par une saison des pluies trop courte ou irrégulière. »

C’est l’une des pistes étudiées au Mali : « Avec des saisons pluvieuses totalement bouleversées, il est nécessaire de trouver des semences adaptées qui permettent aussi de produire davantage, assurant ainsi un rendement suffisant, déroule Sekou Nfaly Sissoko. Tout cela est déjà mis en place sur le terrain, mais nécessite d’être amélioré et généralisé. »

« Le changement climatique menace la survie et l’existence de nos populations »

Près de 1 % du budget national est aujourd’hui alloué au ministère de l’Environnement, indique à Reporterre Drissa Doumbia, de l’Agence de l’environnement et du développement durable (AEDD), organe gouvernemental en charge de l’application des politiques publiques en la matière. « Cela donne une idée des moyens engagés dans la lutte contre le changement climatique... » soupire-t-il. Cette problématique devrait, selon lui, être propulsée au premier plan.

Au village de Ndjinina, presque tout le monde est mobilisé dans l’agriculture et l’élevage. © Paloma Laudet/Collectif Hors Format/Reporterre

Les pays du Sud, dont fait partie le Mali, n’entendent d’ailleurs pas rester seuls face à ces enjeux. Ils réclament la création d’un mécanisme financier pour les aider à faire face aux pertes et dommages liés au changement climatique : montée des eaux, désertification des sols, dégradation des terres, entre autres. Une demande qui est, pour l’heure, restée lettre morte du côté des États riches. Cette situation est vécue comme une injustice par les pays les moins développés, plus affectés, car moins armés financièrement et dont la responsabilité dans le bouleversement climatique est moindre.

« En plus d’être un danger pour la stabilité économique du pays, le changement climatique menace la survie et l’existence de nos populations », dit Drissa Doumbia.

Ici, l’agriculture ne génère plus assez de revenus à cause des minces récoltes. © Paloma Laudet/Collectif Hors Format/Reporterre

Cette réalité est d’autant plus importante au nord et au centre du pays, où la crise sécuritaire est plus rude, et la zone plus désertique. « Ces populations sont triplement affectées par l’absence de l’État, les conflits et le changement climatique, résume Lemba Bisimwa, responsable du département eau et habitat au Comité international de la Croix-Rouge (CICR Mali). Tous se battent pour leur survie et celle des leurs. Les gens sont prêts à tout pour avoir accès aux ressources. »

Malgré les difficultés à Ndjinina, la solidarité est de mise. « Nous cultivons tous, puis on se débrouille pour partager la nourriture », dit Awa. Cette année encore, la veuve priera pour que la pluie tombe enfin à grosses gouttes au village, à partir du mois de mai.


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